Bien qu’attaquée la gauche travailliste renforce sa cohésion

Lors du lancement de son Projet pour la paix et la justice, Jeremy Corbyn a condamné les actions de la Grande-Bretagne au Yémen. Il a donné de l’importance à tous les événements d’Amérique Latine où il soutient les populations ouvrières et les nationalistes progressistes, en Bolivie, en Équateur, au Chili, au Brésil, en Argentine, etc. Il est l’un des rares dirigeants travaillistes qui met les événements en Grande-Bretagne dans le contexte des défaites des guerres impérialistes et des avancées révolutionnaires en Amérique Latine. Les fausses accusations d’antisémitisme contre lui, et contre ses partisans dans le Parti, stimulent des débats sans précédent au sein du Parti Travailliste, et ceci au moment-même où la classe capitaliste et la droite travailliste veulent en finir avec la liberté d’expression.

Le gouvernement conservateur britannique demande la « libération immédiate » d’Alexeï Navalny de sa prison de Moscou. Boris Johnson lui, souhaite que « justice soit faite » et qu’une enquête transparente soit menée pour le disculper. Au Parti Travailliste, le successeur de Corbyn, Sir Keir Starmer et sa collègue Lisa Nandy disent que « Navalny doit être libéré immédiatement » et que   « sa détention en Russie est une insulte ». Mais aucun d’eux n’avait un mot à dire en faveur d’Assange dont ils jugent la détention « dans l’intérêt national » et non comme une insulte.

Il n’est pas rare que des camarades travaillistes apprennent dans la presse leur suspension par le Parti. Les accusés ne sont pas autorisés à savoir qui les accuse, et les raisons de la suspension peuvent rester vagues jusqu’à ce que l’accusé reçoive un questionnaire dont les réponses sont ensuite utilisées comme raisons pour la suspension ! Tout camarade suspendu qui discute de son cas avec d’autres peut être expulsé. Comme nous le voyons dans le cas d’Assange, la situation mondiale et la situation au sein du Parti Travailliste convergent pour prouver que la vision que l’on peut avoir de la « démocratie » dépend de la classe sociale à laquelle on appartient.

Dans un récent discours à la Fabian Society, Keir Starmer a affirmé que « le rôle de la Grande-Bretagne aux côtés des États-Unis est d’affronter la Russie et la Chine, et de rejeter l’autoritarisme ». Mais Starmer n’a jamais rien dit sur « l’autoritarisme » de Narenda Modi de l’Inde, Recept Erdogan de Turquie ou Emmanuel Macron de France. Bien que Jeremy Corbyn ait été légitimement élu député par sa circonscription d’Islington, la direction de Starmer l’empêche de prendre son siège parlementaire. Car, apparemment, Corbyn ne s’est pas suffisamment excusé pour son antisémitisme. Alors que la direction de Starmer a ordonné à l’ensemble du Parti de ne pas discuter le cas Corbyn, des centaines de dirigeants locaux travaillistes dans tout le pays ont refusé de s’exécuter, et ont donc été suspendus eux aussi.

La gauche travailliste rejette les fausses accusations contre elle

Les médias renseignent que le bureau de Starmer a créé un nouveau poste de Responsable de l’Ecoute Sociale et de l’Organisation des Médias – et que le directeur engagé à ce poste est un ancien agent des services secrets israéliens (de l’unité meurtrière 8200) qui s’appelle Asaf Kaplan. Ce genre de chose peut expliquer comment il est arrivé qu’au cours des quatre dernières années des milliers de camarades travaillistes de gauche – souvent Juifs eux-mêmes – aient été réprimandés, suspendus ou expulsés pour antisémitisme (ou autres ‘délits’) découverts sur leurs réseaux sociaux.

Le dégoût pour tout cela a poussé des camarades à quitter le Parti. Mais il est remarquable qu’en dépit de cela, le niveau d’intérêt et de débat politiques s’est fortement renforcé dans le Parti. On sait maintenant que la plupart des centaines d’accusations portées dans les dernières années contre des Corbynistes pour antisémitisme provenaient d’un très petit nombre d’accusateurs. Et que ces accusateurs appartenaient souvent au Mouvement travailliste juif (JLM) ou aux Amis Travaillistes d’Israël (LFI) qui conservent (comme tout accusateur dans le Parti) le droit de rester anonymes. Mais c’est le Parti lui-même, et non ces accusateurs, qui s’arrange pour se débarrasser de la gauche travailliste. L’enjeu est donc la guerre de la droite du Parti contre les socialistes et les progressistes du Parti, c’est-à-dire la lutte des classes dans le Parti.

Depuis l’adoption officielle de l’IHRA[1] par le Parti Travailliste, tout camarade travailliste qui soutient les Palestiniens ou critique ouvertement l’État d’Israël peut s’attendre à une lettre disciplinaire du Parti. Récemment, la direction de Starmer s’est arrangée pour qu’une résolution faisant l’éloge de l’IHRA soit «votée» dans les branches travaillistes avec instruction de punir toutes critiques ! Se sentant sous surveillance, accusés à tort, intimidés et bâillonnés, les camarades créent des cercles pour résister à ce phénomène et s’organiser. L’époque se termine ou l’on ne discutait dans le Parti que des affaires locales et surtout électorales. Chaque branche du Parti se trouve en révolution. Le débat politique s’y élargi, même s’il faut éviter de parler des Palestiniens de Gaza toujours bombardés et du vaccin israélien qui n’est pas pour eux.

En Israël-même, de nombreuses organisations juives ont répudié la conduite criminelle d’Israël face à la manifestation palestinienne du Droit au Retour (mars 2018). Récemment, le Centre d’Information Juif Israélien sur les Droits de l’Homme dans les territoires occupés (B’Tselem) a parlé d’Israël en ces termes : « Un régime de suprématie juive, du Jourdain à la Méditerranée : c’est l’apartheid ».

Dans le Parti travailliste tel qu’il se présente aujourd’hui, quiconque ose parler en ces termes, ou fait référence à la manifestation du Droit au Retour, peut s’attendre à son exclusion. Mais comme il est devenu impossible de discuter de ces questions dans le cadre de la routine du Parti, bien sûr les camarades en discutent en dehors de ce cadre. C’est ainsi que la droite travailliste stimule l’organisation et l’avancée de la gauche qu’elle voulait empêcher. À mesure que l’indignation et la colère grandissent, et que le débat politique s’élève sur le rôle d’Israël dans le Parti et dans le monde, les camarades du Parti se libèrent du pragmatisme étroit coutumier et des préoccupations purement électorales, bien qu’ils ne renient pas la préoccupation électorale.

La gauche du pays s’organise

Des personnalités de premier plan dans le monde comme Jeffrey Bingham QC, Noam Chomsky, Jonathan Cook et John Pilger expliquent que ceux qui confondent la critique d’Israël avec la critique « des Juifs » utilisent l’antisémitisme et en font une arme d’attaque. Ces personnalités ont démontré au public international à quel point cette confusion est elle-même un acte antisémite, car elle noircit « les Juifs » avec les crimes d’Israël. Cette démarche est désastreuse pour les Juifs et pour tout le monde, car un véritable antisémitisme se cache et gagne des forces derrière ses campagnes perfides qui accusent les autres pour cacher ce qu’il fait lui-même.

Suite à son échec aux élections générales de 2019, Jeremy Corbyn a été accusé par Keir Starmer et la droite du Parti Travailliste d’avoir laissé l’antisémitisme grandir dans tout le Parti ! Pour ce crime, Corbyn a donc été suspendu, puis réintégré au Parti, mais non point à son siège de député travailliste au parlement (Corbyn y siège maintenant en tant qu’indépendant).

La base du Parti s’est fortement indignée et même des secteurs centristes trouvent tout ceci inacceptable. Huit des plus grands syndicats britanniques ont appelé Starmer à réintégrer complètement Corbyn. La circonscription d’Islington où Corbyn est député déclare que Starmer n’a pas le droit d’empêcher Corbyn de prendre son poste au parlement, et n’a pas le droit non plus de s’ingérer dans les affaires disciplinaires internes (ce qui est spécifié dans les règles du Parti). En effet, le Parti dans ses luttes antérieures a gagné le droit d’être gouverné par son exécutif, et non par les décrets d’un dirigeant.

UK StopTheWarCoalition  Manifestation Stop the War à Londres

En août-septembre 2020, une déclaration publique a été publiée par vingt associations caritatives, ainsi que de nombreux syndicats, groupes religieux et organisations de la société civile. Elles ont condamné l’intention d’Israël d’annexer encore plus de territoire palestinien en Cisjordanie. La déclaration enjoignait Israël de respecter les droits de l’homme et le droit international en Palestine. En septembre, le Congrès national de la centrale syndicale britannique (la TUC) a voté une résolution en faveur du Droit au Retour des Palestiniens. La résolution a également vu dans Israël un « État pratiquant l’apartheid » – une caractérisation que le gouvernement britannique et la direction travailliste actuelle s’acharnent à nier en soutenant qu’Israël est un « État démocratique » !

Au lieu de se laisser intimider par les espions du bureau de l’Écoute Sociale, les camarades injustement accusés expérimentent de nouvelles formes de résistance. Après un certain déclin, Momentum s’est partiellement régénéré. Plusieurs nouvelles organisations de gauche travailliste se sont formées à l’échelle nationale, et aucune ne cherche à rompre ou former un nouveau Parti. Certains universitaires, journalistes et historiens intègres analysent le rôle d’Israël dans l’OTAN, dans le commerce des armes et dans l’horrible attaque du capitalisme mondial au Yémen. Des organismes comme la Campagne pour le Désarmement National (CND), Stop the War, NoToNato et Counterfire conduisent des débats dirigés vers la gauche travailliste pour que, sans rompre avec le Parti, elle se sépare politiquement des structures et des coutumes de pensée impérialistes qui existent dans le Parti depuis sa fondation.

La gauche travailliste n’est pas encore homogène, et ceci est bien la tâche qu’il faut remplir. Un climat de confiance y règne cependant, avec un sens de compréhension qui grandit en constatant à quel point le capitalisme a eu peur de Corbyn et a peur de la gauche. Ceux que Corbyn appelait « the few » ont très peur en effet.  Le fait qu’un Corbyn ait pu apparaître et gagner 10 millions de voix (en 2017) les suffoquent. Et ce dont ils ont plus peur encore, c’est de la crise infinie de leur système capitaliste.

Sur les 400 milliards de livres sterling que le gouvernement a injecté dans l’économie pendant la pandémie, seuls 100 milliards sont allés au soutien des salaires et des allocations chômage. Le restant est allé augmenter les bénéfices des principaux investisseurs et actionnaires. Il y a maintenant 2,6 millions de chômeurs en Grande-Bretagne – et plus chaque jour. Il y a 22,5 millions de personnes en-dessous du niveau de vie ‘socialement acceptable’, dont 15 millions dans la pauvreté (23% de la population) qui avaient souvent des ‘small jobs’ jusqu’à récemment. Ces pauvres avaient un travail, ils n’étaient pas au chômage.

« The few » dont parlait Corbyn sont une poignée de billionnaires [2] à qui Corbyn voulait faire payer la reconstruction du pays dans l’intérêt public ! Ces gens ne sont évidemment pas d’accord avec un tel plan, ce qui aurait pu être prévu. Leur antagonisme et leur haine n’existent pas qu’au Royaume-Uni. Il s’agit d’une petite couche sociale mondiale qui incorpore Israël dans ses plans de guerre – dans le monde autant que contre les gauches dans tous les pays, comme les USA, la France, l’Allemagne entre autres. La guerre contre la gauche travailliste fait ainsi partie de la guerre mondiale que le capitalisme prépare, en particulier contre la Chine et la Russie, et que les capitalistes considèrent comme essentielle pour essayer de maintenir le système capitaliste moribond.

Solidifier le lien entre les syndicats et le parti

En octobre 2020, le gouvernement conservateur de Boris Johnson a fait adopter le Projet de loi d’Urgence sur le Covid-19 au parlement. Il avait 321 pages que les députés devaient lire en quelques jours. La difficulté de mettre en place un nouveau service zoom au parlement fut invoquée pour expliquer dans ce cas l’absence de préparation avant le vote. Ce projet de loi fut voté surtout parce que les travaillistes n’ont eu aucune objection à donner à l’État le pouvoir de criminaliser toute manifestation, protestation ou mobilisation pendant deux ans.

De novembre 2020 à janvier 2021, le Projet de loi sur les Opérations à l’Etranger, la loi sur les Restrictions pour la Protection de la santé contre le Coronavirus, et le projet de loi sur les Sources Secrètes du Renseignement ont chacun accordé de nouveaux pouvoirs à l’État, à la police et à l’armée. L’un des projets de loi exonérait de poursuites non seulement les crimes commis par des soldats britanniques en Afghanistan et en Irak, mais aussi ceux que des soldats pourraient commettre à l’avenir. Ce projet qui va jusqu’à exonérer la torture et le meurtre a été ratifié par la seconde chambre et est devenu loi.

Le droit aux réunions publiques et aux manifestations est donc annulé pour 2 ans. 20.000 militaires sont actuellement déployés autour des hôpitaux et des centres de vaccination « en cas de désordre ». Au nom de « l’intérêt national », la direction de Starmer avait donné mandat à ses députés de s’abstenir dans tous les votes, ne laissant que 18 députés travaillistes pour s’opposer et se faire limoger en remerciement.  Sur chacune de ces questions, le SNP et les LibDems[3] ont voté à gauche du Parti Travailliste.

Le virage violent à droite de la direction travailliste post Corbyn a creusé un fossé massif entre les fonctionnaires travaillistes (fort ancrés dans les Conseils Municipaux et les structures parlementaires du Parti) et la masse des membres qui se rend compte du bien-fondé des idées de Corbyn. Il est intéressant de noter que malgré les démissions, les expulsions, les suspensions et les intimidations, le Parti conservait encore 496.000 membres (517.000 en 2017) en novembre 2020.

Les camarades travaillistes sentent le besoin de se rapprocher des nombreuses actions sociales, ainsi que des syndicats qui depuis février-mars 2020 ont fait reculer le gouvernement des dizaines de fois. Le Projet pour la paix et la Justice de Jeremy Corbyn ne semble pas viser à créer un courant de résistance systématique au sein du Parti, mais les partisans de Corbyn ont tendance à l’utiliser de cette manière. Tous les courants de la gauche travailliste s’opposent avec véhémence à la guerre contre le Yémen et les Palestiniens.

Le capitalisme répond avec des campagnes médiatique virulentes contre la Russie (Ukraine, Navalny) et la Chine (Hong Kong, les Uigurs) qui cherchent à attiser la peur du « despotisme » dans les secteurs centristes du Parti Travailliste. Cette riposte du capitalisme se nourrit en partie de l’anticommunisme des secteurs sociaux-démocrates du Parti, mais la confiscation du droit à la parole dans le Parti – et dans le pays – aiguise fortement le besoin de construire la résistance dans le Parti et les syndicats : contre la misère, la maladie, la guerre et la mort où le capitalisme et ses alliés veulent entrainer les masses.

La répression, la pandémie et la crise capitaliste rapprochent les syndicats et le Parti. Il n’y a pas eu de débandade après la perte des élections de 2019.  Si une conférence syndicale de gauche travailliste est convoquée, comme cela est vaguement suggéré, la direction de Starmer voudra expulser et écarter encore plus de camarades. Mais il lui faudra agir alors sous les yeux du public et du monde qui observent jusqu’où il va pouvoir aller : chose plutôt embarrassante pour quelqu’un qui prétend s’opposer à l’autoritarisme. Si un front entre les syndicats et la gauche travailliste devait se former, il devrait être possible d’y cultiver la liberté d’expression et d’organisation nécessaires à la remise du Parti – ou au moins ses structures qui centralisent les masses – sur les rails de la transformation socialiste.

Les Posadistes – 28.1.2021

Notes :

[1] IHRA, International Holocauste Remembrance Alliance, organisation intergouvernementale fondée en 1998 qui n’a pas force de loi. Les hautes instances du Parti Travailliste adoptaient le IHRA en Septembre 2018, avec ses 11 exemples, dont la plupart sont fondés sur l’assertion que toute critique dirigée envers Israël est une attaque contre ‘les Juifs’.

[2] Un billion en Angleterre est mille millions. Un trillion est mille billions.

[3] Scottish National Party (qui ont des députés au parlement de Westminster) et Libéraux Démocrates. (qui sont dans tout le pays et dont le nombre tend à fluctuer très fort).