Fin de l’hégémonie de la droite et du bipartisme et perspectives pour une coalition de gauche

Les élections régionales et les élections nationales ont mis en évidence plusieurs éléments communs. C’en est fini de l’hégémonie des grands partis, du PP (Partido Popular) et du PSOE (Parti Socialiste), aucune de ces deux organisations n’a obtenu la majorité absolue. Il va falloir faire des pactes et des compromis dans un sens ne favorisant pas la droite, vu qu’une grande partie de la population a voté contre la politique d’austérité imposée par l’Union Européenne. Les partis « émergents » ont gagné un tel nombre de députés qu’ils deviennent indispensables pour la formation d’un quelconque gouvernement.

La baisse des voix des partis régionalistes et indépendantistes, de droite comme de gauche représente également un fait intéressant. En Catalogne, il devenait impossible d’imposer une majorité absolue, tant du côté des partisans de l’indépendance que de ses opposants. Après trois mois de négociations, d’exigences programmatiques, de la démission du Président de Catalogne, Arturo Mas, et de l’élection d’un nouveau candidat, les indépendantistes de gauche (CUP) ont décidé d’appuyer ce qu’ils appellent « la voie souverainiste vers l’indépendance ». Ce pacte est très fragile et va dépendre beaucoup de l’intervention du mouvement ouvrier qui a organisé ces jours-ci à Madrid un très grand rassemblement en défense du droit de grève, au cours duquel ont parlé des artistes, des porte-parole de diverses luttes et des dirigeants nationaux des grands syndicats.

La baisse du vote « nationaliste » est un fait important dans ce processus. Au Pays Basque par exemple, les indépendantistes de gauche ont perdu 100.000 voix. De même en Catalogne, le parti de la bourgeoisie catalane, Convergencia, a baissé. Tant au Pays basque qu’en Catalogne, c’est Podemos qui est devenu la force politique principale.

Les élections nationales du 15 décembre 2015 ont abouti à un éventail politique encore plus large et plus ouvert que celles de Catalogne : le PP a obtenu 123 sièges de députés, le PSOE 90, Podemos 69, Ciudadanos (nouveau parti de droite) 40, Izquierda Unida 2.

Ni la droite ni la gauche n’obtient une majorité pour gouverner. Mais le plus important à signaler, c’est que ces résultats montrent une rupture du bipartisme et laissent la porte ouverte pour une coalition de la gauche avec des secteurs indépendantistes.

La droite s’est fortement affaiblie, le PP a perdu 3,5 millions de voix, et cette perte n’a pas été compensée par Ciudadanos qui  n’a obtenu que 40 députés.

D’autre part, la gauche a montré une certaine faiblesse programmatique, et de ce fait elle n’a pas pu capitaliser suffisamment le rejet des politiques d’austérité imposées par l’Union Européenne. Cela lui crée de sérieuses difficultés pour présenter valablement une issue à cette crise.

Catalogne et indépendantistes

Indépendantistes en Catalogne

La gauche, dans son ensemble, a obtenu plus de voix que la droite, même si le Parti Socialiste a perdu 1,5 million de voix, c’est-à-dire la pire élection pour lui depuis le début de la démocratie. La possibilité d’aller au gouvernement au moyen d’un front avec Podemos, avec les Indépendantistes et Izquierda Unida, a déclenché une énorme vague de déclarations divergentes parmi les leaders des différentes familles socialistes.

Le secrétaire général Pedro Sanchez et son équipe sont disposés à former un gouvernement avec Podemos, à faire des concessions aux partis régionalistes. En plein milieu de ces discussions, il s’est rendu au Portugal à la rencontre du gouvernement de gauche, avec la claire intention de faire le même gouvernement en Espagne.

Par contre Felipe Gonzalez, faisant le jeu de la bourgeoisie, soutient la formation d’un gouvernement de coalition entre les deux grands partis « pour donner stabilité au pays et confiance aux marchés ». Il a rallié plusieurs dirigeants du PP et toute la droite du PSOE ainsi que, bien sûr, le grand patronat et les banques.

Podemos a obtenu de bons résultats, malgré les difficultés et le manque d’une équipe cohérente, et malgré le fait qu’il avait perdu une partie de l’appui social obtenu après les élections européennes. En effet, les dirigeants de Podemos ont fait une régression programmatique, se sont éloignés du soutien au Venezuela, ont abandonné la revendication des nationalisations et mis un bémol à la question de la restructuration de la dette publique. Le fonctionnement des cercles de base s’était fortement réduit, ainsi que la participation aux mouvements sociaux et l’activité politique se centrait essentiellement sur une politique électoraliste.

Izquierda Unida, qui n’a obtenu que 900.000 voix, a pratiquement disparu du panorama politique. Tout en ayant de bonnes positions à propos de la Grèce, de la Syrie et des conflits dans les pays arabes, IU ne s’est pas prononcé publiquement sur la victoire de la droite au Venezuela et en Argentine. Tout ceci est une expression de la crise du mouvement communiste, de son incapacité à tirer des conclusions et de son manque de confiance dans l’intervention du mouvement ouvrier et des masses.

Les syndicats sont à peine intervenus dans ces élections. Cependant, en janvier, ils ont organisé un important rassemblement à Madrid, avec la présence de représentants syndicaux européens, en défense du droit de grève, sous la pression de la base syndicale qui se mobilise pour défendre les syndicalistes mis en jugement pour leur participation à des piquets lors des dernières grèves.

La réforme du travail, menée par le PP au gouvernement, fut un des thèmes centraux de la campagne électorale. Cette réforme a permis des licenciements massifs sans justification et avec des indemnisations très faibles. La bourgeoisie en a profité pour mettre dehors les travailleurs plus âgés bénéficiant de salaires plus élevés, et les remplacer par des travailleurs avec un contrat précaire.

Mais un très grand nombre des activistes syndicaux se sont lancés dans la campagne électorale et dans des activités de propagande. Beaucoup de dirigeants des mouvements sociaux et syndicaux étaient candidats sur les listes, c’est ce qui a affaibli la mobilisation populaire. Aujourd’hui, ces secteurs sont à la tête de nombreuses municipalités et institutions régionales et sont députés au Parlement. Ils y accomplissent une tâche importante, mais il n’y a pas suffisamment de forces de rechange dans leurs organisations par manque d’une vie politique et d’une préparation antérieure.

Ces quelques conclusions montrent la maturité exprimée par les gens dans ces élections, c’est un exemple de l’avancée du processus de changements sociaux, malgré le manque d’une direction pour proposer ces perspectives de façon consciente et constante.

Janvier 2016

De notre correspondant Posadistas Hoy en Espagne