La soi-disant crise des réfugiés en Europe et les guerres de l’OTAN

« Elle arrivait des Somalies, Lily
Dans un bateau plein d’émigrés
Qui venaient tous de leur plein gré
Vider les poubelles à Paris…. » (chanson de Pierre Perret)

« On ne peut pas accueillir toute la misère du monde » : voilà un slogan honteux que les gouvernements européens agitent depuis des mois à propos de ce qu’ils appellent « la crise des réfugiés ». Mais de quelle crise s’agit-il en fait ? On ne peut accueillir toute la misère du monde mais par contre, « on » peut provoquer et accroître misère et chaos « hors frontières » ! Rappelons les dernières guerres de l’OTAN auxquelles nos Etats de droit et de démocratie ont participé : Yougoslavie en 1999, Afghanistan depuis 2001 jusqu’à aujourd’hui, Irak de 1993 à aujourd’hui, Libye en 2011, Syrie de 2011 à aujourd’hui. Aujourd’hui : d’où vient un tel afflux de réfugiés et le déplacement de millions de gens ? Au nom soit de la lutte contre « l’épuration ethnique » soit de la lutte contre le terrorisme, l’OTAN a mené des guerres de terreur et ouvert la boîte de Pandore contenant les groupes terroristes chaque fois plus barbares et nihilistes, et provoqué le démembrement d’Etats entiers, détruit les infrastructures et les moyens de subsistance de millions et de millions de gens dans tous ces pays, détruit tous les acquis économiques et sociaux des pays parmi les plus avancés d Afrique du Nord et du Proche Orient, comme la Libye, l’Irak et la Syrie.
Au flot de réfugiés syriens et irakiens viennent s’ajouter les centaines de milliers de « laissés pour compte » des guerres précédentes, tous ceux des Balkans – Kosovo, Monténégro, Serbie, Macédoine, Bosnie, Slovénie -, qui n’avaient aucun moyen de s’échapper et se joignent maintenant aux réfugiés de Syrie, d’Irak, de Libye, d’Afghanistan, d’Afrique centrale.
Il n’y a plus de différence entre « migrants économiques » et « réfugiés de guerre ». Aucun migrant ne quitte son pays d’origine par plaisir : ou c’est la guerre militaire de l’OTAN qui le fait fuir, ou c’est la guerre économique et de rapine provoquée par le capitalisme. Le système capitaliste dans son ensemble est dans une crise telle qu’il ne peut plus se payer de « paix sociale », il ne peut plus concéder des miettes des richesses aux travailleurs des grandes puissances capitalistes d’Europe et des Etats-Unis. Chômage de masse, précarité, régressions économiques, sociales, culturelles, sont devenus le lot de la majorité des populations en Europe également.
Les immigrants « économiques » et les « réfugiés de guerre » qui arrivent à passer les frontières de l’Union Européenne sont ressentis inévitablement par les « autochtones » comme de nouveaux concurrents sur le marché du travail. D’ailleurs les travailleurs « autochtones » sont déjà bien souvent eux-mêmes d’anciens migrants ou des travailleurs venant des pays plus récemment intégrés dans l’Union Européenne. Les patrons des entreprises, qu’elles soient petites, moyennes ou grandes, locales ou multinationales, sont soutenus par la déréglementation sociale et juridique organisée par les gouvernements européens, pour provoquer un dumping social chaque fois plus dur.
Le patronat européen fait la distinction entre les « bons » réfugiés et les autres. Les « bons », ce sont les Syriens, les Irakiens, ceux qui ont des diplômes, qui ont une bonne formation et qui vont accepter de travailler pour un salaire 3 à 4 fois inférieur aux barèmes légaux et pendant un nombre d’heures illimité, dans des conditions insalubres ou dangereuses. L’exemple de l’Allemagne est vraiment clair : le gouvernement Merkel s’est présenté pendant quelques semaines cet été comme le généreux prêt à accueillir près d’un million de « réfugiés ». Mais quand le flot de réfugiés des Balkans s’est amplifié et s’est engouffré sur les routes des réfugiés syriens et Irakiens, les frontières de l’Allemagne se sont fermées, comme celles les autres pays de l’UE limitrophes des Balkans, car cette main d’œuvre n’intéresse plus le capitalisme allemand, qui surexploite déjà depuis longtemps ses « gastarbeiters » turcs, albanais ou yougoslaves.

Réfugiés à Calais

Camp de réfugiés à Calais

Le droit d’asile et le droit à la libre circulation des personnes étaient des piliers des traités fondateurs de la Communauté européenne à la fin de la guerre et de l’actuelle Europe des 28. Ils sont remis en question et vidés de leur sens aujourd’hui par les mêmes dirigeants politiques qui les ont instaurés, les partis démocrates chrétiens et les partis libéraux : cela aussi exprime la profondeur de la crise de la grande bourgeoisie qui dirige l’Europe.
Le droit d’asile, c’était un droit sacré quand il s’agissait d’accueillir les « victimes du communisme », les « dissidents » des pays socialistes de l’Europe de l’Est ou de l’URSS. Mais après 1989, après la « chute du mur de Berlin » et les changements de régime dans les pays socialistes d’Europe de l’Est, tous ces pays ont été considérés comme des « pays sûrs » ou en voie d’intégration dans l’Union Européenne. Donc le droit d’asile n’est plus un principe utile aux gouvernements occidentaux et les démocraties européennes ôtent le masque, les réfugiés des pays d’Europe de l’Est ne sont pas les bienvenus, ils ne servent plus à rien en Europe occidentale. Les réfugiés qui proviennent de Syrie, d’Irak, de Libye ou d’Afghanistan ne sont pas des « bons » réfugiés non plus, dans leur immense majorité. Et les gouvernements de l’UE se refusent à « accueillir toute la misère du monde » !
Par contre, ils adoptent des mesures juridiques anti-démocratiques, ils militarisent les polices des frontières de l’Europe. Ils occupent militairement toute la Méditerranée et confondent de plus en plus les opérations civiles de sauvetage des migrants menée par Frontex (note 1) et les opérations militaires appelées Eunavfor, puis Sofia (note 2) qui se proposent de poursuivre les trafiquants et d’arraisonner les embarcations des passeurs jusque dans les eaux libyennes et même sur le territoire de la Libye.
Une inquiétante militarisation des opérations UE de surveillance et de police en Méditerranée et leurs connexions avec les préparatifs de guerre de l’OTAN se dessinent. L’OTAN vient de mener l’exercice Trident Juncture 2015 (note 3) en Méditerranée, qu’elle-même considère comme le plus grand déploiement de forces militaires communes, aériennes et navales, depuis la fin de la 2e Guerre Mondiale. Le Portugal, l’Espagne et l’Italie servent de bases de lancement et d’entraînement pour des missions de « défense des frontières Est et Sud de l’OTAN », d’autres pays partenaires y participent également, dont Israël, le Maroc, la Jordanie, le Liban. On est loin des missions de sauvetage des migrants !
Les mêmes navires et moyens logistiques militaires sont utilisés soit pour des sauvetages en mer, soit pour poursuivre jusque sur le territoire libyen les trafiquants et les passeurs de migrants clandestins, pour accomplir des « missions UE » ou des « missions OTAN ». Les mêmes ministres des gouvernements européens se réunissent sans cesse depuis des mois pour « se partager le fardeau de l’accueil des réfugiés entre les pays » et participent aux réunions et aux actions de « la Coalition internationale contre Daesh en Syrie et en Irak ».

Migrants et guerres
Refugees Welcome! Bienvenue aux réfugiés ! Ce ne sont pas les gens du peuple qui rejettent les réfugiés, mais les gouvernements de l’UE qui n’en ont rien à faire et le capitalisme qui n’en a plus besoin comme masse de pression sur le marché du travail et les conditions de travail de ceux qui en ont encore, du travail. Les medias et les partis de droite stimulent au maximum les sentiments de peur d’une partie de la population envers les migrants, soit en agitant l’épouvantail de la « montée de l’extrême droite » comme si les quelques manifestations fascistes qui ont eu lieu dans différents pays, en particulier en Allemagne ou en France, étaient le fait d’une grande multitude. Les medias montent aussi en épingle chaque incident isolé de disputes ou d’agressions de la part de migrants ou de résidents européens.
Cependant, les manifestations de solidarité avec les réfugiés ont été très importantes dans les pays méditerranéens et aussi en France, en Belgique, en Allemagne, en Grande Bretagne. Des milliers de réfugiés ont été sauvés de la noyade dans la Méditerranée grâce aux interventions de la population, les gens se sont mobilisés avec tout le matériel à leur disposition, pour pallier aux terribles manques, à l’immobilisme et à l’hostilité des autorités locales et nationales, apportant nourriture, vêtements, repas, tentes sur les lieux où échouaient les migrants.
En même temps, les populations pauvres qui sont la majorité en Europe subissent elles aussi, du nord au sud, les conséquences de la crise capitaliste, dont elles n’ont aucune responsabilité, de même qu’elles ne sont pas responsables des guerres que leurs dirigeants répandent tous azimuts au moyen de l’OTAN. Comme le décrit Bertolt Brecht dans une œuvre de théâtre : le grand Saint Martin a déchiré son chaud manteau pour en donner la moitié au pauvre gelant de froid sur le bord du chemin… et ils sont morts gelés tous les deux.
Il faut donc lutter dans chaque pays de l’Union Européenne pour que les gouvernements stoppent immédiatement tout soutien et participation aux guerres de l’OTAN, pour que l’argent de la guerre soit employé pour combattre la misère, celle des sans emploi, des sans papiers, des sans domicile, et celle des réfugiés. Il faut défendre de toutes ses forces les acquis sociaux et culturels des travailleurs, construire un contre-pouvoir des partis de gauche, des syndicats et des mouvements de paix et faire payer sa crise par le capitalisme.
11.11.2015

Notes
1. Frontex : institution de l’Union Européenne chargée de coordonner l’activité des Etats membres pour le contrôle des frontières maritimes, terrestres et aériennes. Depuis sa création en 2004 elle a beaucoup évolué en développant mesures et moyens de protection des frontières et réduisant l’accueil des réfugiés (exemple : entre 2007 et 2013 deux milliards d’euros pour protéger les frontières et 700 millions pour l’accueil des réfugiés).
2. Eunavfor Med : Opération militaire lancée par l’UE le 22 juin 2015 en Méditerranée centrale en vue d’identifier, de capturer et de neutraliser les navires et les embarcations ainsi que les ressources qui sont utilisés ou soupçonnés d’être utilisés par des passeurs ou des trafiquants de migrants. 3 phases sont prévues, la 3e étant une intervention dans les eaux territoriales de la Libye pour y démanteler les réseaux de passeurs.
3. Trident Juncture 2015 : L’OTAN rassemble 36 000 militaires provenant de 30 pays membres de l’Alliance et partenaires, afin qu’ils s’entraînent ensemble dans le cadre de la Nato Response Force (NRF). Cette force d’intervention rapide se compose d’unités terrestres, navales et aériennes qui doivent être capables de mener des opérations conjointes. Le but étant de tester la capacité de l’OTAN à faire face « aux menaces de sécurité venant de l’Est et du Sud » selon la déclaration de J. Stoltenberg secrétaire général.