Pour les médias occidentaux, les seuls coups d’Etat sont contre… Guaido !

Les médias internationaux sont entrés en crise à la suite du remplacement du leader de l’opposition vénézuélienne Juan Guaidó à la tête de l’Assemblée Nationale du Venezuela. Le Washington Post (1/5/20) décrit l’élection parlementaire qui a choisi un autre candidat que celui de Washington au perchoir de l’assemblée nationale comme une “sédition interne de l’opposition.”

De manchette en manchette, c’est le président vénézuélien Nicolás Maduro qui “prend le contrôle” (NBC1/6/20), “revendique le contrôle” (New York Times1/5/20 ; CNBC1/6/20) ou “se saisit” du parlement (Reuters1/5/20 ; NPR1/6/20), quand il ne “s’empare” pas de Guaidó (Wall Street Journal1/5/20)… Le Washington Post (1/5/20) porte l’hystérie à un niveau supérieur, proclamant de façon hyperbolique que “la dernière institution démocratique du Venezuela tombe car Maduro tente de prendre de facto le contrôle de l’Assemblée nationale”.

De tels titres masquent le fait élémentaire, certes gênant, que Guaidó n’a pas réussi à obtenir les votes nécessaires des députés de sa propre coalition de droite pour continuer à exercer la présidence de la législature, ce qui l’a conduit à convoquer une session parallèle, ad hoc, dans les bureaux… du journal de droite vénézuélien El Nacional.

Servir la propagande de l’État

Les journalistes des médias privés répètent la litanie du Département d’Etat pour qui l’élection parlementaire du 5 janvier, qui a vu les députés élire Luis Parra comme nouveau président du corps législatif, était “bidon” car Guaidó et ses fidèles n’ont pu assister à la session, rendant le vote nul. “Le gouvernement socialiste du Venezuela a installé un nouveau chef du Congrès dimanche après que des troupes armées ont empêché les législateurs de l’opposition d’entrer au Parlement” déplore ainsi Reuters (1/5/20).

Comme l’a rapporté Venezuelanalysis (1/5/20), ce récit est réfuté par le législateur pro-Guaidó William Davila, qui, après s’être rendu à l’assemblée législative, a déclaré à la presse qu’à quelques exceptions près, pratiquement tous les députés ont été autorisés à prendre leur siège. D’autres législateurs de l’opposition de haut niveau, dont les premier et deuxième vice-présidents sortants de l’assemblée, étaient  visiblement présents à l’intérieur du parlement.

De plus, les nombreuses preuves vidéo révèlent que Guaidó n’a pas été le moins du monde “empêché”, comme l’affirme le New York Times (1/5/20), d’entrer dans le parlement, mais a refusé de le faire si ne pouvaient entrer avec lui quelques députés de droite dont l’immunité parlementaire a été révoquée il y a longtemps pour diverses infractions pénales. Sachant probablement qu’il n’aurait pas les voix nécessaires pour être réélu, M. Guaidó a usé de ce stratagème. Puis a refusé d’entrer par la porte principale pour rejoindre les députés de son camp et assister à la session, arrivant en retard, et allant jusqu’à escalader une grille latérale : un show publicitaire à usage exclusif des caméras des médias occidentaux qui ont par ailleurs ignoré les faits cruciaux à l’origine de ces événements.

Les médias privés ont renforcé leur mensonge sur “l’interdiction” de l’opposition pro-Guaidó au Parlement en prétendant bizarrement que le vote qui a suivi dans les bureaux d’El Nacional était lui… “officiel”. Le Washington Post (1/5/20) a d’ailleurs déclaré : « Avec un score de 100 contre 0 – assez pour le mettre au sommet lors d’une session complète de la chambre de 167 sièges – les personnes présentes ont réélu Guaidó à la tête de la législature » . Les journalistes ont manifestement négligé de vérifier le décompte des votes, qui contenait des irrégularités flagrantes, comme les votes… par Skype de législateurs étrangers qui ont fui des poursuites pénales, ainsi que ceux des suppléants de députés… qui avaient déjà voté pour le rival victorieux de Guaido, élu nouveau président de l’assemblée, le député de droite Luis Parra. Comme l’a souligné depuis Miami la journaliste de droite radicale Patricia Poleo, José Regnault Hernandez (suppléant du nouveau second vice-président de l’Assemblée nationale José Gregorio Noriega) a été autorisé à voter pour Guaidó alors que Noriega s’était lui-même présenté aux élections au sein de l’équipe rivale plus tôt dans l’après-midi…

Il y a une certaine ironie dans le fait que des organes de presse occidentaux s’empressent de déclarer la légitimité d’un vote irrégulier tenu dans les bureaux d’un journal local, compte tenu des efforts qu’ils ont déployés pour nier l’existence de la liberté de la presse au Venezuela (FAIR.org5/20/19). Et ce alors qu’un des responsables du massacre des familles paysannes d’El Mozote au Salvador (1981), Elliott Abrams, nommé en 2019 par Trump “envoyé spécial pour le Venezuela” vient de révéler que les Etats-Unis ont versé des millions de dollars à la presse et aux partis de droite en 2019 et qu’ils continueront à le faire en 2020.

Pourquoi Guaidó n’est-il pas en prison ?

Au-delà des formalités de procédure, la vraie question, que les journalistes des grands médias ne se posent jamais, est de savoir pourquoi une figure de l’opposition qui s’est autoproclamée “président intérimaire” avec l’appui de puissances étrangères hostiles, et qui a exhorté les militaires à se soulever pour l’aider à s’emparer du fauteuil présidentiel, reste imperméable à un emprisonnement au Venezuela (alors qu’il serait arrêté dans n’importe quel autre Etat de Droit) et, après sa défaite à l’assemblée nationale, puisse se faire réélire à la tête d’un “parlement” parallèle et virtuel.

Le problème est qu’y répondre supposerait d’admettre que cette violation évidente de la souveraineté d’un Etat de droit n’est tolérée qu’en raison de la menace constante, violente et illégale, des Etats-Unis, que les médias privés de ce pays acclament avec le même enthousiasme lorsqu’elle s’exerce contre d’autres États indépendants du Sud comme l’Iran.

Au lieu de quoi, les journalistes occidentaux préfèrent continuer à blanchir le coup d’Etat parrainé par les Etats-Unis – la sixième tentative majeure depuis 2002 – en accusant le gouvernement démocratiquement élu de Maduro d’être “autoritaire” ou d’être une “dictature” (FAIR.org4/11/198/5/19), terme qui remplace aujourd’hui “cible légitime pour des bombardements et/ou des sanctions meurtrières”.

Jetant aux orties toute apparence de neutralité, le New York Times (1/5/20) nous explique :

« Le leader autoritaire du Venezuela, Nicolás Maduro, a entrepris dimanche de consolider sa mainmise sur le pouvoir en prenant le contrôle de la dernière institution indépendante du pays et en mettant sur la touche le législateur qui avait déclaré sa rivalité à la présidence ». « Le chaos politique survient à un moment où le Venezuela est confronté à un effondrement économique » ajoute le journal comme pour mieux justifier un renversement de Maduro. « La faim est répandue, et des millions de personnes ont fui le pays ». Comme la plupart des médias privés (FAIR.org6/26/19), le New York Times se contente de parler des effets, mais pas de la cause principale : les sanctions économiques états-uniennes qui ont aggravé la crise et provoqué la mort de dizaines de milliers de personnes depuis 2017, se contentant de qualifier les mesures illégales et inhumaines de “sanctions contre le gouvernement de M. Maduro”.

Pour les grands médias, il semblerait que le “coup d’État” soit perpétré… par Nicolas Maduro parce que celui-ci s’entête à exercer son mandat d’élu (Washington Post1/6/20Wall Street Journal1/6/20Forbes1/7/20).

Dissimuler la corruption de Guaido

Dans leurs élégies pour la “dernière institution démocratique de l’État autoritaire sud-américain” (Washington Post1/5/20), les journalistes occidentaux n’analysent que rarement les causes de la débâcle électorale de Guaido. Bien qu’admettant la chute de popularité de Guaidó, suite à son échec total à renverser Maduro, les médias mainstream ferment les yeux sur le feuilleton de scandales humiliants pour l’ex-chef de l’opposition. Même des journaux anti-Maduro comme El Tiempo ou El Espectador (Bogotá) ou le PanamPost ont apporté les preuves (et les photos) des liens de Guaidó avec des barons de la drogue et assassins paramilitaires en Colombie, et sur le détournement par son entourage de centaines de milliers de dollars de fonds d’aide “humanitaire” de l’ONG de la CIA (la USAID), entre autres actes illicites révélés par Humberto Calderón Berti, « l’ambassadeur » nommé par Guaido à Bogota, puis limogé par ce dernier à la suite de ces révélations.

Fait révélateur, les seules allégations de corruption mentionnées dans la dernière couverture de l’entreprise sont celles contre le nouveau président de l’assemblée Luis Parra et ses collègues de la droite dissidente. Sans faire guère d’efforts pour dissimuler ses préjugés, la CBC  (1/6/20) décrit le nouveau président de l’Assemblée nationale comme “un député d’arrière-ban jusque-là inconnu et empêtré dans des accusations de pots-de-vin” et dont les “commentaires décousus” ont été contestés par des journalistes.

Le double standard est d’autant plus frappant que ces mêmes médias occidentaux ont consacré d’intenses efforts au cours de la dernière année pour oindre un “député d’arrière-ban jusque-là inconnu” en tant que président du Venezuela : un certain… Juan Guaido. Les attaques contre Parra surviennent au milieu des menaces de sanctions américaines contre lui et d’autres politiciens de l’opposition qui ont dénoncé la corruption et les dérives de Guaidó. Le même chantage des menaces impériales avait déjà été déclenché contre le candidat à l’opposition à la présidence Henri Falcón, lorsque celui-ci avait défié le boycott électoral de l’opposition de 2018 – un boycott qui a servi de prélude aux tentatives de coup d’État de 2019.

Le découragement des “journalistes” des grands médias face aux échecs de Guaidó (FAIR.org7/23/19) est de plus en plus perceptible (voir Reuters03/12/19Washington Post17/12/19New York Times1/6/20). Mais sans doute ont-ils trop investi dans cette figure technocratique et lisse pour l’abandonner brutalement, ou pour remettre en cause le mécanisme impérial du “changement de régime qui a présidé à sa création.

LUCAS KOERNER (FAIR. ORG)

Article publié par Venezuela infos  le 12 janvier 2020

Source: https://fair.org/home/for-western-press-the-only-coup-in-venezuela-is-against-guaido/

Traduit de l’anglais par Thierry Deronne

Photo : à Caracas, se sachant abandonné par la majorité de ses ex-partisans de droite fatigués de sa corruption, Juan Guaido pose pour les caméras du monde entier sur une grille puis sur le trottoir du parlement sur le mode « on ne me laisse pas entrer« . Les médias européens ne faisant plus que remixer en langues diverses la Weltanschauung des médias états-uniens, on gagne un temps précieux à analyser l’original plutôt que la copie. C’est ce que fait FAIR.ORG, un des meilleurs sites d’analyse critique du champ médiatique.

« J’ai pour norme de vie de ne pas rire du malheur d’autrui mais aujourd’hui le terme « ridicule » a un synonyme en Amérique Latine : Juan Guaido » Rafael Correa, 6 janvier 2019.