Transformer le Parti Travailliste en balayant sa droite impérialiste

L’échec des travaillistes aux élections de 2019 a donné une certaine force au gouvernement conservateur de Boris Johnson, tout en déclenchant une crise profonde au sein du Parti Travailliste. Encouragé, Johnson a traité l’épidémie de Covid-19 de la manière la plus cavalière. En dépit des conseils de l’OMS, il a permis au virus de se répandre et laissé le contrôle aux employeurs qui licenciaient les travailleurs qui tombaient malades. Aujourd’hui, il ose déclarer que ce sont les maisons de retraite et de soins elles-mêmes qu’il faut blâmer pour les 30.000 décès excédentaires [1] qui s’y sont produits.

En dépit du sentiment de danger que le gouvernement répand par son mépris pour la vie, et par son arrogance, la confiance de la classe ouvrière se maintient et augmente. La classe ouvrière a dirigé la résistance de la société par son comportement organisé et collectif, et aux pires moments de la pandémie elle a contribué à établir un climat général de savoir-faire et de compétence. Ceci a été beaucoup renforcé par l’exemple donné par la Chine et par Cuba lorsque ces pays ont répondu immédiatement suite à l’appel à l’aide de l’Italie.

La défaite électorale de Corbyn a entraîné une crise dans le Parti Travailliste, mais peu de désertions. Et aux endroits où elle a pu s’exprimer, aucune démoralisation n’est apparue dans la classe ouvrière. Car ce sont en effet les travailleurs et leurs syndicats (Santé, Éducation, Industrie et Divertissement en particulier) qui ont pratiquement dirigé le pays en prenant les mesures que le gouvernement oubliait de prendre. Et ce sont les travailleurs qui ont dirigé le gouvernement en le forçant continuellement à se rectifier et à faire marche arrière. Ce sont eux aussi qui, dans une lutte très acharnée avec le gouvernement, ont sauvé les enfants d’un retour général prématuré à l’école.

Le nouveau leader travailliste Sir Keir Starmer [2] est un avocat que l’on dit spécialiste des Droits Humains, bien que selon lui, Julian Assange est un criminel qu’il faut extrader aux États-Unis.  Starmer vient de limoger Rebecca Long-Bailey de son Cabinet fantôme où Corbyn l’avait promue au poste de l’Éducation.  Starmer a justifié cette mesure en disant que Long-Bailey venait de publier un document contenant une théorie de complot antisémite [3].

Il faut noter ici que le ministre actuel de l’Éducation, le très conservateur Gavin Williamson (Ministre britannique de la Défense sous Theresa May qui avait commandé 138 avions F35 à Lockheed Martin au prix de £98 millions chacun) a tout fait pour faire céder les enseignants. Outrés par l’absence quasi totale de protections anti-virus dans les écoles, les enseignants ont  menacé de poursuivre le gouvernement en justice. Plein de furie et de rage, Johnson a fait une fois de plus marche arrière. Rebbeca Long-Bailey qui se trouvait encore dans l’équipe de Starmer a pris vivement la défense des enseignants, alors que Starmer les attaquait à la télévision en donnant raison à Johnson et à Williamson !

Long-Bailey n’a pas été limogée pour avoir publié un document contenant une théorie. Starmer l’a limogée pour se débarrasser d’une femme, de surcroit Corbyniste, qui venait d’obtenir gain de cause contre lui, et ceci avec l’appui des syndicats qu’il venait de condamner en public ! Par cette action, Starmer a  aussi voulu rassurer la classe capitaliste en lui confirmant que la transformation sociale n’est plus à l’ordre du jour et que le Corbynisme n’est pas près de revenir. Reste à savoir cependant si la transformation sociale est une nécessité de Corbyn, ou bien une nécessité objective qu’aucun homme de loi ne va pouvoir éliminer.

La droite travailliste se plie aux fauteurs de guerre

La crise que tout ceci provoque dans le Parti Travailliste n’est pas une crise de désespoir ou d’abandon. La gauche travailliste se tourne avidement vers les idées plus larges du reste de la gauche. Elle renforce aussi ses liens avec les syndicats. Elle s’insurge contre la municipalité de Tower Hamlet (Londres) ou la majorité travailliste licencie ses employés pour les réembaucher à moindres salaires. Une gauche forte se développe dans Momentum (que le parti n’a pas su expulser) ; elle critique Corbyn pour son constitutionalisme, mais elle reprend les positions transformatrices du Labour Manifesto 2017 : maintenir le Green New Deal [4], défendre les immigrés et continuer à exiger la réélection automatique des députés.

Le ministre des Affaires étrangères de Russie, Sergueï Lavrov, avertit que les États-Unis justifient désormais [pour eux-mêmes] l’utilisation limitée de l’arme nucléaire. Au Parti Travailliste, l’idée monte que la gauche doit faire reculer les forces qui ont ‘bulldozé’ Corbyn pour pouvoir continuer à avancer ou même exister en tant que gauche. Avec le renvoi de Long-Bailey, le sentiment est qu’une guerre est en marche non seulement contre Corbyn, mais contre le parti basé sur les syndicats. Bien que d’une façon encore diffuse et timide, la réalisation grandit que cette guerre émane des forces de l’impérialisme (USA, Royaume-Uni, Union Européenne, OTAN), et que ce sont les alliés de cette guerre dans le parti qui ont combattu Corbyn non pas pour l’écarter, mais pour l’abattre.

Pour mesurer la très grande autorité du projet Corbyn, il convient de rappeler qu’il remportait 10 millions de votes aux élections générales de 2017. Il a fallu près d’un an pour que la presse reconnaisse que, jeu électoral mis à part, Corbyn n’avait manqué que de 2.227 voix !  Ce succès était remporté avec un Labour Manifesto qui préconisait certaines nationalisations, la production pour le besoin humain, la nécessité de liens entre les travailleurs européens, le soutien à l’Accord de Paris sur le changement climatique, l’opposition à toute guerre – et plus important encore, l’opposition à l’OTAN et au renouvellement du sous-marin nucléaire Trident à Faslane (Ecosse).

 

Putréfaction et trahison dans l’appareil travailliste

Un rapport d’origine travailliste a récemment été divulgué à la presse sous forme de ‘fuite’. Il révèle que le Secrétaire Général du parti, Iain McNicol, et les principaux administrateurs autour de lui (des salariés payés sur la contribution des membres) ont organisé une cabale anti-Corbyn qui a fonctionné pendant les quatre ans de son leadership. Par leurs échanges enregistrés sur l’ordinateur du parti, on apprend qu’ils venaient au bureau « pour n’y faire aucun travail », qu’ils souhaitaient du malheur pour des femmes et des noirs, qu’ils espionnaient certains membres pour les faire expulser, et qu’ils œuvraient de concert avec les journaux de droite pour faire intercepter et diffamer l’équipe Corbyn.

Si Corbyn avait gagné en 2017, ce qui est presque arrivé, il aurait eu au moins deux ans pour stopper, et peut-être même commencer à inverser, la privatisation du National Health Service (Service National de Santé) qui se révèle si terriblement funeste dans la pandémie en cours. Les membres de la cabale portent donc ainsi une lourde responsabilité dans les 30.000 décès excédentaires. Il ne s’agit pas d’une malfaisance de leur part, mais d’une connivence avec la pourriture meurtrière du capitalisme qui a menti chaque jour avec effronterie sur les vrais bilans de morts, et qui blâme à présent les maisons de repos et de retraites « pour n’avoir pas suivi les conseils du gouvernement ».

Les acteurs de la cabale n’étaient pas que des employés. Leur chef était le Secrétaire Général McNicol (il a démissionné mystérieusement en février 2018), le plus haut cadre politique dirigeant du parti après Corbyn. Deux élections générales ont eu lieu (2017 et 2019) sans que la photo ou le nom de Corbyn n’apparaisse sur les documents électoraux. Avec l’appui des médias, la droite imposait silence aux objecteurs sous menace d’accusations sans droit de se défendre en public. Tous ces cercles anti-Corbyn se sont entendus pour faire expulser les plus importants cadres de gauche [5].

Le fait de n’avoir plus qu’une ‘fuite’ anonyme dans les journaux pour se renseigner sur ces sujets indique les niveaux alarmants d’opacité et d’intimidation qui prévalent dans un parti dont le devoir est de défendre les millions d’ouvriers qui ne mangent plus à leur faim, au lieu de se ranger du côté du gouvernement contre les enseignants comme le fait Mr Starmer.

Starmer dit qu’il va punir les coupables, mais il dit surtout qu’il veut trouver les auteurs de la fuite. Tous les gens dont Starmer dit qu’il veut les punir sont, comme Starmer lui-même, des ardents opposants de Corbyn. Ce ne sont donc pas ceux-là qu’il va punir, et à la lumière du limogeage de Long-Bailey pour antisémitisme, il ne punira pas non plus les institutions comme le JLM et le BoD [6], à qui la droite du parti a remis les clefs de son bureau disciplinaire.

Lorsqu’il a limogé Long-Bailey, Starmer a creusé la distance déjà trop grande entre le parti et les syndicats, particulièrement les syndicats enseignants sur lesquels Long-Bailey s’appuie. Cette action écarte la classe ouvrière des structures internes du parti où elle cherche à communiquer ses idées d’égalité, de justice sociale, d’organisation collective et de solidarité de classe. D’écarter le syndicat des Enseignants comme le fait Starmer n’est même pas dans son intérêt, car il a besoin de la classe ouvrière dans le parti pour continuer à jouer le rôle que lui assigne le capitalisme d’endiguer et de contrôler cette classe ouvrière.

UK anti-Trump demo 2019-TowerHamlets

 

Non au Trident, Non à l’OTAN !

La réintroduction du soutien à l’OTAN et au Trident dans le Labour Manifesto 2019 est venue de la pression que l’impérialisme britannique et mondial exerce sur le Parti Travailliste, avec les USA qui attisent la haine belliciste contre la Russie et la Chine, ainsi qu’à partir d’Israël au service de l’impérialisme mondial qui intervient ouvertement dans le parti pour en faire évacuer la gauche. Ces forces mondiales ont l’opportunité d’agir ainsi parce que les couches droitières du parti le leur permettent avec l’aide des moyens de répression du capitalisme (presse, services secrets, extrême droite). Il y a aussi le fait que la gauche travailliste est insuffisamment claire sur ces sujets et a besoin d’en discuter. Il y a enfin le fait que cette gauche demeure encore trop isolée de la classe ouvrière dans le pays, dans le reste de l’Europe et dans le reste du monde.

L’affrontement droite-gauche au sein du parti est de plus en plus lié à la lutte ‘pour’ ou ‘contre’ la transformation du pays, c’est à dire ‘pour’ ou ‘contre’ la transformation du Parti Travailliste. Le discours de Lavrov et la façon dont Corbyn a été traité donnent toutes raisons de penser que la classe capitaliste dirigeante se prépare à utiliser toutes ses forces pour maintenir son régime de rivalités, de concurrence, de haine et de guerre.

Les Posadists Today souhaitent voir ces questions discutées dans le parti et dans la gauche. Il faut utiliser le Labour Manifesto 2017 qui oppose le Trident et l’OTAN comme document de base pour unifier toutes les tendances actuelles dans la gauche travailliste. Il faut revenir au mot d’ordre : Non au Trident, Non à l’OTAN !

Posadists Today – 15.7.2020

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Postscript :

Extrait du rapport parlementaire britannique du 3 août 1914. « A cause de notre honneur » veut dire « pour défendre notre honneur ». Le « très honorable gentleman » était un dirigeant du Parti Libéral qui cherchait l’accord du Parti Travailliste pour faire entrer le pays en guerre :

« Ramsay Macdonald (président du Labour) a déclaré : ‘Nous avons mené la guerre de Crimée à cause de notre honneur. Nous nous sommes précipités en Afrique du Sud à cause de notre honneur. Le très honorable Gentleman fait appel à nous aujourd’hui à cause de notre honneur’.

Trois jours plus tard [cependant], le Parti Travailliste décidait de voter pour les crédits de guerre, et Macdonald démissionnait de son poste. »

 

Notes :

[1] Ce chiffre découle de la différence entre les décès dans ces maisons entre février et mai 2020, et la moyenne des décès qui s’y sont produits entre les mêmes mois des 5 années précédentes.

[2] Le titre de ‘Sir’ pour Keir Starmer provient du fait qu’en 2013, la reine le nommait “Chevalier Commandeur de l’Ordre du Bain” pour services rendus dans le domaine du Droit et de la Justice Pénale. L’Ordre du Bain fondé en 1725 par le roi Georges 1er est une décoration militaire ayant pour origine la cérémonie médiévale du bain rituel qui précédait l’adoubement.

[3] Long-Bailey aurait approuvé un document qui affirme que les policiers du Minnesota ont appris les techniques utilisées par les forces israéliennes contre les Palestiniens lors de conférences organisées par le Consulat israélien à Chicago.

[4] Le ‘Green New Deal’ figure dans le Labour Manifesto 2017. Il veut construire « un nouveau système économique » ou l’État investit massivement pour sauver la planète et non plus les banquiers. Les programmes élaborés sous Corbyn sont aujourd’hui ignorés et moqués par les dirigeants actuels du Parti.

[5] Pendant toute une période, il suffisait d’appuyer les Palestiniens ou de critiquer certaines actions d’Israël pour être accusé d’antisémitisme. C’est ainsi que les socialistes des plus capables et des plus érudits comme Ken Livingstone, Jackie Walker, Mark Wadworth, Chris Williamson, Tony Greenstein ont été chassés du Parti Travailliste, en plus de dizaines de milliers d’autres, surtout pour les empêcher de devenir conseillers municipaux ou députés. Chiffres exacts toujours pas connus.

[6] Jewish Labour Movement et le Board of Deputies of British Jews. Notons ici que JLM n’est qu’une organisation affiliée au Parti Travailliste (inactive pendant des années) et que le BoD lui est complètement extérieur.