La victoire de Arauz y Rabascall en Equateur et les nouvelles avancées révolutionnaires de l’Amérique Latine

A la suite des récentes victoires électorales de la gauche au Venezuela et en Bolivie, celle que vient de remporter le binôme de la gauche Arauz – Rabascall (dirigeants du Mouvement Révolution Citoyenne de Rafael Correa) avec 32,5% des voix  en Equateur, vient renforcer la remontée des Etats révolutionnaires qui confirment leur objectif d’intégration latino-américaine et du « Socialisme du 21e Siècle ». Lors de ce premier tour des élections présidentielles en Equateur, les peuples indigènes se sont exprimés en force dans le mouvement Pachakutik, de même que plusieurs autres listes écologistes et féministes. Ensemble, ces organisations ont obtenu quasi 60% des voix .

La droite avec son candidat banquier Guillermo Lasso, et le misérable Lenin Moreno (ancien colistier et ministre de Rafael Correa, et auteur du coup de force qui avait chassé Rafael Correa de la présidence et du pays), ont obtenu moins de 25% des voix. C’est une défaite sur toute la ligne ! Mais c’est aussi un grand défi pour Andrés Arauz et toute la gauche équatorienne, y inclus pour les dirigeants du mouvement indigène. A cette étape-ci, il s’agit de développer la direction en mesure d’élever le caractère socialiste de l’Etat révolutionnaire, de proposer des mesures socialistes radicales. C’est avec cette détermination, unitaire et révolutionnaire, que la gauche peut emporter la victoire au second tour (en avril 2021).

Malgré d’immenses difficultés, le « corréisme » a montré son énorme potentiel : un électorat ferme qui inclut la classe ouvrière, la petite-bourgeoisie, des secteurs paysans et indigènes.  Ces gens qui étaient submergés par la pauvreté, qui avaient souffert des conséquences de la politique néo-libérale du gouvernement de Lenin Moreno, ont voté pour le mouvement de la Révolution Citoyenne. Les persécutions et les attaques subies par les dirigeants de Revolution Citoyenne sont innombrables, beaucoup d’entre eux sont encore en prison, ont dû se réfugier dans des ambassades ou quitter le pays. Malgré tous ces coups portés à la direction politique, celle-ci a tenu bon dans sa décision de participer aux élections, ce qui lui a fait acquérir une grande adhésion populaire.

Les persécutions et poursuites judiciaires contre Rafael Correa et son mouvement

L’instrumentalisation politique de la Justice (lawfare) qui a été pratiquée en Equateur est complètement stupide. Elle a été copiée d’autres pays latino-américains et programmée et dirigée par le gouvernement des Etats-Unis. Tous ces procès et ces accusations contre des dirigeants de la gauche tombent à l’eau l’un après l’autres, à mesure que le processus progressiste et révolutionnaire reprend force en Amérique Latine.

Les dirigeants du mouvement qui sont sur le front de cette campagne électorale, affaiblis par ces lourdes persécutions et répressions, n’ont pas pu intervenir pleinement, ni contrôler l’ensemble des bureaux électoraux. Ils sont conscients de ces insuffisances et les ont eux –mêmes reconnues. Ils ont été très déçus et découragés par le fait de ne pas avoir gagné dès le premier tour.

Le Conseil Electoral revient à la charge, avec le concours des candidats arrivés seconds : Lasso et Yaka. Il a fait recompter la moitié des votes, sans aucune justification légale, dans 6 régions, et leur totalité dans la région de Guayaquil. Il n’a pas permis que les autres partis surveillent ce recomptage. Comme en Bolivie en 2019, il prépare les conditions pour faire annuler le second tour et voler sa victoire à Arauz, comme en Bolivie avec Evo Morales. La justice colombienne y a mis du sien, en invoquant un soi-disant financement de la guérilla de l’ELN par Arauz.

Equateur élections fév 2021 Grandes mobilisations de la campagne électorale à Quito contre Lenin Moreno

« Révolution citoyenne » prépare des propositions plus radicales

La faiblesse du Mouvement de la Révolution Citoyenne ne se doit pas seulement à la répression et persécution dont elle est victime, mais aussi à ses propres limitations en tant que direction politique, ainsi que ses 10 années de participation au pouvoir  (2007-2017). Il y a de grandes discussions au sein du mouvement. La pratique politique du passé consistait à mener de l’avant la révolution à partir du gouvernement, sans tenir compte des organisations sociales populaires existantes ou à créer.

Il a manqué un parti de la révolution recueillant la profonde expérience sociale et populaire et ouvrant un grand débat national pour se libérer de la dépendance du pétrole et des ressources minérales et naturelles, pour reconvertir l’industrie et la production, appliquer la réforme et la révolution agraire qui étaient inscrites dans la Constitution, mais aussi se baser sur un rôle central de l’Etat et sur une vaste coopération caribéenne et latino-américaine.

L’abandon de ces grandes aspirations a déçu de nombreux activistes et provoqué une dispersion dans les élections actuelles. Beaucoup de petites listes de gauche se composent de militants qui étaient passés par le « corréisme » ou avaient collaboré avec le premier gouvernement de Correa. Certains secteurs environnementalistes se sont éloignés des luttes au moment du brusque changement de politique dû à la brutale chute du prix pétrole, au fait de recourir à l’exploitation des gisements de pétrole dans le Parc National de Yasuni et de faire des concessions à certaines entreprises minières. Il y a aussi eu des affrontements avec le mouvement féministe qui n’a pas accepté l’abandon du droit à l’avortement (déjà très réduit) et la soumission aux autorités religieuses. Une crise a surgi dans le mouvement syndical conduisant à une scission et à la création d’une centrale syndicale qui a fini par passer du côté de Lenin Moreno.

L’événement le plus important, c’est le soulèvement du mouvement indigène, grand protagoniste de la rébellion contre le gouvernement Moreno en octobre 2019. Ce gouvernement était sur le point d’appliquer un programme établi par le FMI, qui contenait des augmentations du prix des combustibles et des principaux services, ainsi que des coupes sombres dans les salaires et les pensions. La population indigène et paysanne a marché massivement sur Quito, entraînant la classe ouvrière et les travailleurs informels de la ville. De nombreux dirigeants du mouvement corréiste se sont mis également à la tête de la révolte urbaine. Malgré une sauvage répression, le gouvernement a été obligé de faire des concessions et de négocier.

L’héritage du gouvernement Moreno est insupportable. A cela, s’ajoute sa gestion catastrophique de la pandémie qui a fait de l’Equateur un des pays les plus impactés du monde. La pandémie a camouflé sa politique de dépendance de l’impérialisme, de l’agro-industrie, des multinationales. Le peuple équatorien n’a pas pu réagir à fond. Le gouvernement avait activé également un plan de privatisations d’une partie importante des raffineries de pétrole, d’importantes centrales électriques, des télécommunications. Le nouveau gouvernement devra garder à tout prix ces secteurs sous le contrôle de l’Etat, sinon aucune programmation d’un autre futur ne sera possible pour l’Equateur. Il devra aussi renégocier le remboursement de la dette, et décider quand et comment il sera possible de le faire. Arauz a proposé de mettre en route, dès son installation au gouvernement, une aide d’urgence de 1000 dollars à un million de familles, c’est important de le faire. Il faudra aussi taxer les grandes fortunes, récupérer les fonds des paradis fiscaux et des placements offshore.

Avec ce processus électoral, les conditions s’ouvrent vers un grand progrès anti-impérialiste et des mesures socialistes. La gauche latino-américaine, l’Internationale progressiste, le Forum de Sao Paulo et de Porto Alegre, doivent faire une coordination, bâtir des ponts avec la gauche européenne, promouvoir des mesures avancées d’intégration, de planification, de participation populaire. Il faut dans l’immédiat établir un programme de secours mutuel face à la pandémie, construire un système latino-américain de santé, une Banque de production et de distribution massive de médicaments contre le coronavirus et de vaccins.

Les liens avec Cuba et le Venezuela doivent être établis et renforcés. L’Etat ouvrier cubain a démontré l’efficacité de l’organisation sociale et scientifique face à la pandémie, sa capacité d’organiser une assistance internationaliste, de produire les médicaments et les vaccins pour toute la population de Cuba et d’autres pays et continents. Une vision alternative et progressiste mondiale se dessine. Cette vision peut compter sur l’expérience scientifique internationaliste de Cuba. Il faut aussi ranimer la coordination solidaire latino-américaine, l’ALBA, UNASUR, créer une banque latino-américaine de vaccins afin de contrer les spéculations des multinationales.

Le second tour des élections qui devrait se tenir en avril est mis en question par les manœuvres de la droite équatorienne. Il faut que Arauz s’engage résolument à construire un front de toutes les forces sociales militantes, même celles qui ont soutenu d’autres candidats au premier tour, la classe ouvrière, les populations indigènes, les jeunes, les écologistes, les féministes. Il doit se prononcer clairement pour une transformation sociale radicale du pays et son union avec toute l’Amérique Latine.

Les Posadistes – 20 février 2021