Du 13 novembre au 13 décembre 2015 les événements qui se sont déroulés en France ont profondément secoué le pays : les attentats de Saint-Denis et de Paris suivis de le vote quasi unanime des députés en faveur de l’Etat d’urgence, la tenue de la COP 21 – 21e Conférence sur le climat – avec la présence sous haute protection policière des représentants de 195 pays, les élections régionales qui ont vu une recomposition du champ politique dont les résultats sont en train de reposer à l’ensemble de la classe politique les limites de la démocratie parlementaire.
Les attentats du 13 novembre 2015
Les attentats terroristes du 13 novembre ne sont pas très différents de ceux de janvier 2015 contre Charlie Hebdo, avec des terroristes français issus vraisemblablement de la même filière djihadiste, si ce n’est qu’ils ont créé un plus grand chaos et accentué le sentiment d’insécurité parmi la population. Le discours de Hollande disant que « les attentats sont des actes de guerre perpétrés en France » ont eu pour but de rallier l’ensemble des forces politiques de droite comme de gauche dans une sorte d’union nationale contre le terrorisme, jouant sur les peurs et sur l’émotion, mais aussi de faire oublier que depuis plusieurs années c’est la France qui mène la guerre sur un grand nombre de fronts à l’étranger, comme en Syrie, en Irak, en Libye, au Mali et dans d’autres pays d’Afrique, qui soutient une soi-disant « force terroriste modérée » en Syrie, qui vend des armes aux monarchies du Golfe qui favorisent elles-mêmes le soutien aux mouvements terroristes et à Daech.
Ces attentats sont d’un côté les conséquences de la politique de guerre menée par le gouvernement français et ses alliés de l’OTAN au Moyen-Orient, et de l’autre le résultat de l’exaspération du capitalisme face à l’intervention militaire de la Russie dans le conflit syrien, qui a radicalement changé la donne dans la région et marqué clairement leur impossibilité de poursuivre une politique de guerre visant à détruire le pays et à évincer le gouvernement de Bachar Al Assad.
Ces nouveaux attentats ont signifié également une nouvelle escalade de la violence de la part du gouvernement français, montrant que le capitalisme n’a pas d’autre réponse à offrir que de mener une guerre sans fin et d’imposer un terrorisme d’Etat qui recourt au recul des libertés sous couvert de défendre la démocratie ! L’Etat d’urgence a été décrété pour trois mois sans qu’il y ait eu possibilité de débat. Hollande a utilisé au lendemain des attentats du 13 novembre les mêmes arguments que ceux invoqués par G.W. Bush après ceux du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, afin de faire passer des mesures liberticides au nom de la lutte contre le terrorisme.
L’Etat d’urgence en France signifie la suspension des droits constitutionnels et des libertés publiques, il donne aux forces de police et à l’armée des pouvoirs exorbitants et met à l’écart les institutions judiciaires. C’est ainsi qu’il est possible de procéder à des perquisitions administratives permettant des interpellations, des arrestations et des assignations à résidence de tout citoyen exprimant des désaccords quant à la politique de ce gouvernement.
Cette situation de l’Etat d’urgence a été acceptée par la majorité des députés français, 6 d’entre eux seulement s’y étant opposés. Ceci montre les contradictions des partis de gauche qui par leur position, et contrairement à leurs déclarations, justifient les mesures de ce gouvernement cherchant à suspendre tous droits et toutes libertés publiques. Dans ces conditions comment peuvent-ils aujourd’hui se battre contre le fait que l’Etat d’urgence puisse être inscrit dans la Constitution, comme l’a proposé le Conseil des ministres dans sa séance du 23 décembre en vue d’instaurer « un régime civil de crise pour agir contre le terrorisme de guerre » ainsi que le Conseil d’Etat avec l’inscription à l’Article 34 de la Constitution des règles concernant la déchéance de nationalité pour les binationaux nés en France ?
Il est impératif de ne pas accepter ces mesures que veut imposer ce gouvernement socialiste, prises directement dans le programme de l’extrême droite française et que nous avons connues dans la France de Pétain et du régime de Vichy. L’Etat d’urgence signifie la porte ouverte à toutes sortes de dérives droitières de ce type et il est urgent d’agir contre cette situation qui remet en cause les valeurs de la République, entre autres l’égalité de tous les citoyens.
La COP 21 du 29 novembre au 12 décembre 2015
C’est dans cette ambiance que s’est tenue la Conférence sur le climat, sous haut contrôle policier pour les représentants des 195 pays, l’Etat d’urgence interdisant toutes manifestations et mobilisations. C’est ainsi que les mouvements sociaux ont été mis sous contrôle comme cela a été le cas pour de nombreux militants écologistes opposés aux grands projets inutiles tels que la construction de l’aéroport de Notre-Dame des Landes.
Malgré cela la Coalition Climat et les mouvements citoyens ont refusé de se laisser museler et ont trouvé des solutions alternatives pour se mobiliser, partout dans le pays. Ils ont transformé à Paris la marche internationale pour le climat du 29 novembre en chaîne humaine sur le trajet des attentats, avec pour mot d’ordre « L’urgence climatique » ou en déposant des chaussures sur la Place de la République comme un symbole contestant l’interdiction de marcher.
Un village des alternatives s’est monté les 5 et 6 décembre à Montreuil, en région parisienne, et le rassemblement du 12 décembre sur le Champ de Mars à Paris a été maintenu, clôturant la Conférence internationale sur le climat. Ces initiatives ont mobilisé pendant la durée de la COP 21 des centaines de milliers de manifestants qui refusaient de se plier au diktat de l’Etat d’urgence et cherchaient à faire entendre leur voix face à l’Etat d’urgence et face à l’espace énorme accordé autour du business soi-disant vert des grandes entreprises et grands groupes financiers, qui voient aujourd’hui dans la lutte contre le réchauffement climatique un secteur économiquement rentable pour leurs propres intérêts.
Mobilisation Alternatiba à Paris le 12 décembre 2015
Le gouvernement français s’est largement félicité de l’accord réalisé alors que les résolutions prises par les 195 pays n’ont pas été à la hauteur des enjeux posés par le réchauffement climatique. Mais dans cette conférence sur le climat il n’a surtout pas été question des guerres et de l’empreinte carbone que celles-ci génèrent dans le monde, ni du poids des grandes entreprises liées au complexe militaro-industriel, ni celles du secteur des transports aériens, de l’automobile, de l’énergie nucléaire.
Il semble que les modifications du climat ne concernent absolument pas les activités humaines liées de près ou de loin aux forces armées. C’est ainsi que les gouvernements des pays les plus riches, qui ont allumé des brasiers dans le monde entier au siècle dernier et qui continuent à le faire aujourd’hui, ne sont pas remis en cause dans la recherche des responsables des modifications du climat, alors qu’ils devraient être au premier plan des menaces qui pèsent sur la planète, pour les guerres qu’ils mènent comme pour les conséquences engendrées dans le monde par les inégalités de la répartition des ressources.
Les élections régionales des 6 et 13 décembre 2015
Les élections régionales ont eu une importance particulière dans cette situation politique parce qu’elles ont mis en relief la déliquescence de la politique du gouvernement socialiste, tout comme la crise de l’ensemble des partis politiques de gauche.
Le 1er tour de ces élections a mis le Front National en tête dans 6 régions sur 13, avec une augmentation conséquente de ses voix dans certaines régions, même si le niveau d’abstentions a atteint les 50%. Face à cela le gouvernement socialiste a décidé de façon unilatérale de disparaître de la scène politique au 2e tour dans les régions où le PS arrivait en 3e position et Valls a lancé un appel pour faire barrage par tous les moyens au Front National.
Cette position a été reprise immédiatement par le secrétaire du PS mais a créé un grand trouble parmi les militants : se retirer signifiait laisser le terrain politique à la droite et à l’extrême droite et faire disparaître toute possibilité à la gauche de créer une dynamique d’union capable de mobiliser les abstentionnistes. C’est ainsi que dans la région d’Alsace-Lorraine le socialiste arrivé en 3e position au premier tour a décidé de ne pas se plier à cette décision et de se maintenir en s’alliant avec l’ensemble des forces de gauche.
Le résultat du 2e tour a mobilisé une partie de l’électorat abstentionniste ne permettant pas au Front National d’arriver en tête dans aucune région en France, mais ce parti a par contre obtenu pour la première fois un grand nombre d’élus régionaux. Le Parti Socialiste n’a maintenu ses élus que dans 5 des régions, et a perdu une région phare, celle de l’Ile de France, où le parti de droite – Les Républicains – représenté par Valérie Pécresse, a remporté la majorité, le report des voix de la gauche et la mobilisation des abstentionnistes n’ayant pas été suffisants pour lui faire conserver la région. Par contre dans les régions où le PS a refusé la lutte politique aucun élu de gauche n’est plus représenté au Conseil régional et n’a donc plus aucune possibilité d’apporter la contradiction face à la droite et à l’extrême droite.
Avec cette politique suicidaire du PS, et alors que Hollande n’a accompli aucune des promesses pour lesquelles il a été élu, des dissensions importantes se creusent aujourd’hui à l’intérieur du PS suite à ces élections, qui remettent de plus en plus en cause la politique menée par ce gouvernement qui ne répond à aucun des problèmes posés par l’urgence sociale. On assiste au contraire aujourd’hui à une explosion des inégalités, notamment dans les quartiers populaires. Alors que le chômage augmente, qu’on parle de la nécessité d’enrayer la « radicalisation » des jeunes vers le djihad, les politiques d’austérité et de baisse des dotations de l’Etat aux collectivités mènent à l’abandon de structures associatives essentielles qui permettaient une cohésion au niveau local, comme les centres sociaux, les maisons des jeunes et de la culture, les éducateurs de rue. Mais c’est aussi les moyens financiers qui permettaient de maintenir un niveau culturel de qualité qui sont abandonnés aujourd’hui par certains conseils régionaux passés récemment à droite.
Le Front de Gauche subit dans ces élections une perte importante de son électorat. Ceci pose à chacune de ses composantes une remise en question de la politique mise en œuvre jusqu’à maintenant. Une des questions centrales est la nécessaire remise en cause des appareils et de la politique parlementaire dont on vient de voir les limites, où les grands objectifs ne sont pris qu’en fonction des échéances électorales et du nombre de postes à gagner. Il est nécessaire de comprendre que la victoire de la gauche ne peut se concevoir qu’en fonction d’une rupture des institutions créées par le capitalisme. D’autre part il est essentiel de mener un réel débat démocratique au sein de toutes ses composantes, comme le fait d’avoir voté unanimement l’Etat d’urgence sans en référer aux militants.
Il est donc vital de recentrer les objectifs politiques de la gauche et d’ouvrir le débat sur tous ces éléments : le besoin d’en finir avec les guerres pour construire une nouvelle société, revenir à plus de démocratie, à la défense des valeurs d’égalité, de liberté, de fraternité de la République, répondre à l’urgence sociale et lutter contre les mesures d’austérité qui ne conduisent qu’à l’aggravation des discriminations et des inégalités.
3 janvier 2016