La Belgique est sans gouvernement depuis plus d’un an : en effet, en décembre 2018 déjà la coalition de centre-droit qui dirigeait le pays [alliance entre la NVA (nationalistes flamands) l’Open VLD (libéraux flamands), le MR (libéraux francophones) et le CD&V (démocrates-chrétiens flamands)] avait éclaté suite à la démission fracassante de la NVA, qui refusait de signer le Pacte de Marrakesh (Pacte de l’ONU sur les questions d’immigtation mondiale, 2018).
Depuis cette date, une alliance minoritaire, dirigée par le libéral Charles Michel gouvernait en « affaires courantes » le pays, en attendant les résultats de nouvelles élections. Celles-ci ont eu lieu en mai 2019. Rien n’était pourtant résolu par ces élections, vu que les rapports de force restaient plus ou moins les mêmes, avec une particularité : la forte poussée de la gauche radicale (PTB-PVDA en Flandre et en Wallonie) et celle de l’extrême droite flamande (le Vlaams Belang).
Depuis mai 2019, ce gouvernement en affaires courantes a cependant pris de nombreuses mesures allant dans le sens de poursuivre la « régionalisation » de plusieurs secteurs importants de l’économie et de la vie sociale en Belgique, de même que des engagements importants dans la politique de guerre de l’Otan (participation aux coalitions internationales dites de lutte contre le terrorisme, participation prolongée à la guerre en Afghanistan, dans les grandes manœuvres militaires contre le Venezuela, dans l’achat de nouveaux avions de chasse F-35, acceptation du maintien des bombes atomiques à Kleine Brogel et acceptation de leur modernisation, participation à Defender 2020 etc…).
« Régionalisation » va de pair avec « privatisations » accrues des services publics, dont essentiellement, celui de la Sécurité Sociale, et gouvernement « en affaires courantes » va de pair avec la politique ultra-libérale et de restrictions importantes des droits démocratiques.
Le démantèlement et la privatisation accrue des services publics ont eu des conséquences désastreuses, notamment dans l’enseignement (de l’école maternelle jusqu’à l’université), dans la Sécurité Sociale et dans l’organisation des soins de santé. De nombreuses grèves ont eu lieu de la part notamment des travailleurs des hôpitaux qui refusaient les « fusions » entre les hôpitaux publics et privés (en faveur de ces derniers), et les réductions de personnel qualifié, l’exploitation à outrance des infirmiers, du personnel de nettoyage, le racolage de médecins, chirurgiens, spécialistes médicaux dans les ex-pays socialiste d’Europe de l’Est, prêts à travailler au moindre coût.
Il en était de même en ce qui concerne les « maisons de repos ». Ceci permet de comprendre pourquoi le nombre de personnes décédées dans celles-ci est si important : dans les hôpitaux il fallait de « la rentabilité » à tout prix. Aucun malade âgé ne pouvait rester dans un hôpital si on ne lui donnait que des soins « ordinaires », donc pas assez rentables, les départements « gériatrie » des hôpitaux se réduisaient au minimum. Il était donc inévitable que dans les maisons de repos se trouvaient un grand nombre de personnes en fin de vie, et dans les maisons de repos « service public », les personnes qui n’avaient pas beaucoup de moyens financiers et qui recevaient une allocation des services sociaux des municipalités, celles servant à payer leur « loyer » à la maison de repos. Donc les hôpitaux ne voulaient pas de ces personnes parce que, du point de vue d’une gestion privée elles ne rapportaient pas assez, tandis que les directions des maisons de repos étaient intéressées à garder ces personnes chez elles puisqu’elles mettaient la main sur l’allocation publique attribuée par les services sociaux des communes.
C’est dans ces circonstances que la pandémie du Covid19 a atteint la Belgique et causé une telle crise sanitaire. Dans tous les pays du monde, où les populations subissent encore l’oppression et la crise capitaliste, la pandémie est devenue une crise majeure, elle n’a fait que mettre en évidence et accélérer fortement la crise économique sociale et politique du système capitaliste mondial.
Ce n’est pas pour autant qu’il y a eu « un avant le covid19 » et qu’il y aura « un après le Covid19 », comme si le virus était un ennemi contre lequel il fallait faire la guerre, comme si on disait : « l’avant-guerre » et « l’après-guerre ». Nous étions sous un régime capitaliste et nous le serons encore demain si nous ne parvenons pas à construire un front de gauche déterminé à procéder à des transformations sociales très radicales.
Cependant l’actuelle pandémie n’a pas produit les mêmes effets partout dans le monde. Et les différences qui apparaissent ne séparent pas nécessairement les « pays pauvres » et « les pays riches ». Dans des pays « pauvres » (du point de vue du PIB moyen) comme Cuba, le Venezuela, le Vietnam, les personnes décédées à cause du coronavirus sont très peu nombreuses. Dans un pays « riche » comme la Belgique, qui compte 11 millions d’habitants comme Cuba, le nombre de morts monte à près des 10.000 .
Ce qui explique le mieux ces différences, c’est la façon dont la population a pu s’organiser pour répondre à la pandémie, c’est l’organisation sociale collective : dans ces trois pays, les services de santé ne sont pas simplement « performants », ils sont le fait de la majorité de la population, avec une attention très importante d’un Etat non gangrené par la course au profit privé, par la rentabilité commerciale, ou soumis à la domination des grands consortiums pharmaceutiques.
Il y a aussi un autre facteur important : c’est la détérioration énorme et continue des conditions de vie d’une majorité de la population dans les pays capitalistes « riches ». Les media semblent découvrir qu’il y a vraiment beaucoup de gens au bord de la misère en Belgique, des travailleurs pauvres qui y ont basculé car ils ont perdu le petit boulot qui leur permettait encore de survivre. En Belgique, comme dans d’autres pays européens dits « riches » l’économie informelle, c’est-à-dire le travail au noir, concerne des centaines de milliers de gens, inclus les sans papier, les sans domicile, les demandeurs d’asile, les réfugiés en attente de régularisation. Des centaines de milliers de jeunes ont des emplois précaires, ou travaillent à mi-temps ou moins. Cette grande précarité était plus ou moins cachée, elle est maintenant apparue au grand jour avec les mesures précipitées et tardives de confinement imposées aux gens. On constate que ce n’est pas la même chose pour une famille avec des enfants de vivre dans une grande maison 4 façades avec jardin et piscine ou dans un trois pièces en ville.
La pandémie a également révélé la profonde incurie et l’arrogance de ce gouvernement minoritaire de Charles Michel. La ministre libérale de la Santé disait encore en mars que le covid-19 n’était qu’une petite grippe, que ce n’était pas de sa faute si on manquait de masques, de respirateurs, de tests, mais celle des gouvernements précédents qui, depuis la crise de la grippe aviaire, n’avaient pas fait de réserves stratégiques. Les dirigeants politiques belges et européens étaient aussi persuadés qu’une telle pandémie ne pouvait pas les atteindre, eux, au summum des connaissances médicales.
Finalement, le gouvernement fantôme, et les partis de droite, tant flamands que francophones, ont été obligés d’accepter de constituer un gouvernement avec des « pouvoirs spéciaux », incluant un large éventail de partis, de la droite à la gauche, uniquement pour s’occuper de la crise sanitaire et d’être contrôlés et orientés par un Conseil National de la Santé, qui comportait également pas mal de gens de la gauche réformiste (socialistes et écolos). Le mot d’ordre : La Santé d’abord. Plusieurs des scientifiques, experts porte-parole du Conseil auprès des media, ont pris publiquement exemple sur la Chine, Cuba, le Vietnam, soulignant la conscience collective de leurs populations.
La crise économique n’est pas la conséquence de la pandémie. Celle-ci n’est qu’un révélateur. Elle n’a fait qu’accélérer le processus de concentrations et regroupements des entreprises, la liquidation des plus petites. Mais la droite de ce gouvernement n’a pas manqué de recourir aux sacro-saintes associations patronales, tant flamandes que francophones pour mettre en avant : « pas de santé possible sans relancer l’économie, donc l’économie d’abord ».
Le grand patronat, comme dans les autres pays industrialisés européens, refusait de fermer les portes des entreprises et voulait obliger les travailleurs à se rendre au travail, sous menace de licenciements en cas de refus. Il y a eu une très forte mobilisation des travailleurs pour imposer de ne travailler qu’avec des conditions de sécurité sanitaire et d’avoir droit au chômage temporaire, payé en partie par le patronat, sans risque de licenciements et avec le maintien de 70% du salaire (en principe…), l’obligation de reprendre les travailleurs mis au chômage et autres mesures .
La pandémie a par contre mis en évidence et permis à des forces populaires très puissantes de se manifester. Il y a eu 10.000 morts, surtout dans les maisons de repos, vu l’impossibilité pour les travailleurs de la santé de remédier tout d’un coup à cette situation désastreuse provoquée par la droite au gouvernement depuis des années. Mais il y a eu aussi des milliers de personnes accueillies dans les hôpitaux, et sortant guéries de ceux-ci, parce que les travailleurs de la santé se sont dévoués pendant des jours et des nuits pendant près de trois mois. Ce sont aussi ces travailleurs qui ont forcé les hôpitaux du secteur privé à s’organiser avec les hôpitaux publics pour soigner tout le monde de la même façon.
Mille et mille manifestations de solidarité se sont produites, depuis les applaudissements et les concerts improvisés aux fenêtres dans les quartiers, et les entraides spontanées entre les gens dans les immeubles et les rues des villes, jusqu’aux actions incessantes des travailleurs de la culture, eux-mêmes très fort touchés par les confinements et les interdictions de rassemblements publics, pour maintenir l’entente entre les personnes, le plaisir de se sentir ensemble même en étant contraints de suivre « la distanciation sociale ».
L’incapacité du capitalisme à restructurer l’économie apparaît clairement aux yeux de secteurs de plus en plus importants de la population. C’est important de soutenir et renforcer le front de la gauche qui est en train de se former, au niveau de tout le pays. Pour le front de gauche avec un programme de transformations sociales à l’échelle de tout le pays et de l’Union européenne et de toute l’Europe.
Les Posadistes – 6 juin 2020
Photo : la « haie du déshonneur » organisée par les travailleurs lors de la visite du 1er ministre à l’Hôpital Saint-Pierre de Bruxelles.