La violence et la guerre sont les conséquences du développement de la société capitaliste, un système fondé sur la propriété privée, des logiques de production basées sur le profit et la concurrence. Les guerres ne sont pas que le résultat de la production d’armes, même si cette production s’accroit de façon exponentielle d’années en années, et ce notamment depuis les attentats du 11 septembre 2001 qui fut un prétexte pour l’impérialisme américain et ses alliés à ouvrir de nouveaux conflits comme en Irak, en Afghanistan, en Yougoslavie, au Mali, en Syrie, en Libye.
Ces guerres s’expriment aussi sous d’autres formes, à travers l’économie et le commerce, la compétition pour les marchés et les ressources en matières premières, entre pays capitalistes eux-mêmes mais aussi avec les anciens pays dits socialistes. Elles s’expriment encore dans ce qu’on nomme aujourd’hui « crise sanitaire » qui fait de la pandémie un ennemi à abattre et donne lieu à de nouvelles mesures sécuritaires, ou bien la « crise des migrants » avec les transferts de population dus aux conflits, au réchauffement climatique et aux catastrophes naturelles qui sont le produit de la propriété privée dans cette compétition à échelle mondiale.
Cette situation démontre l’incapacité totale de ce système à gérer et à anticiper ce qu’il nomme crises, qui sont en fait des situations dont il est responsable. Cependant dans la course aux armements les dépenses militaires battent aujourd’hui des records : plus de 2000 milliards de dollars dans le monde, les Etats-Unis étant en tête, suivis de la Chine, de l’Inde, de la Russie, de l’Arabie Saoudite et de la France, les pays membres de l’OTAN réalisant plus de la moitié de ces dépenses. Et cette course effrénée se fait sur terre, sur mer, dans les airs et dans l’espace, à la recherche d’innovations technologiques et d’armements toujours plus sophistiqués, y compris nucléaires.
La France a réintégré le commandement militaire de l’OTAN (qu’elle n’a en fait jamais quitté) en 2009. Elle participe activement au programme de grandes manœuvres « Defender Europe 2020 », qui a été renforcé et amplifié en 2021 et n’a même pas été suspendu pour cause de pandémie, permettant le débarquement de soldats et de matériel de l’armée américaine dans le port de La Rochelle en juillet dernier, et leur traversée du pays à destination de l’Allemagne et de la Pologne. Le projet de ces grandes manœuvres des Etats-Unis, de leurs alliés de l’OTAN et autres partenaires, qui vont se poursuivre au cours de l’année 2021, a pour objectif de conduire le monde vers une mobilisation contre la Russie et maintenant la Chine, jugés comme de graves menaces pour les pays capitalistes qui se considèrent comme les seuls défenseurs de la liberté et de la démocratie. C’est ce qui ressort des missions de l’OTAN pour les prochaines années résumées dans le dossier « OTAN 2030 ».
Alors que l’OTAN aurait dû être dissoute à partir de 1990, après la disparition de l’Union Soviétique et la dissolution du Pacte de Varsovie, elle s’est au contraire renforcée avec 800 bases et 220.000 militaires dispersés dans 150 pays. Sans aucune concertation ni débat à l’Assemblée nationale la France possède aujourd’hui deux bases de l’OTAN, une base aérienne franco-allemande située à Evreux et s’occupant du transport aérien, une autre située à Mont-Verdun près de Lyon pour la surveillance des vols civils et militaires en lien avec celle d’Aix en Provence. En février 2021, le ministère des armées annonçait l’installation prochaine du centre spatial d’excellence de l’OTAN à Toulouse, nouvelle saluée très favorablement par le maire de la ville et les élus de la métropole au motif que « celle-ci va contribuer au développement de l’économie et de l’emploi local ».
Quand on sait que les secteurs de l’aviation comme Airbus sont en pleine crise, avec des plans sociaux importants, et que de nombreux emplois sont menacés par la crise économique qui fait suite à la pandémie, cette question est bien sûr politiquement stratégique. L’armée est devenue aujourd’hui le premier employeur de France en termes de recrutement des jeunes et de développement économique des territoires, ce qui pose quand même beaucoup de questions quant à l’avenir de notre pays.
Le rapport « OTAN 2030 » présente 138 propositions censées relever les défis de la prochaine décennie, qui seront discutées au prochain sommet de l’OTAN qui se tiendra à Bruxelles le 14 juin 2021. L’objectif est de rassembler l’ensemble des pays membres derrière une vision stratégique commune qui met en avant le défi de la sécurité face aux actions dites agressives de la Russie, aux menaces du terrorisme, de la cybercriminalité, des effets du réchauffement climatique ou de la montée en puissance de la Chine. Pour arriver à cela il faut bien évidemment une maîtrise de l’armement, y compris nucléaire, et maintenir les pays européens membres sous domination militaire et politique, dans un souci de cohésion, de paix et de stabilité !
La crise dans l’armée française
La question de l’OTAN et de sa feuille de route pour 2030, avec la participation active de la France à ses projets, crée d’importants remous au sein de l’armée française. Deux groupes de militaires se sont exprimés publiquement, le premier en début d’année 2020 – le « Cercle de réflexion interarmées » qui représente des militaires de haut rang ayant quitté le service regroupant des officiers généraux et supérieurs des trois armées, qui se revendiquent indépendants du gouvernement et de la hiérarchie militaire – s’insurgeait contre les positions de la France et de l’Europe inféodées aux Etats-Unis et à son instrument militaire qu’est l’OTAN. Ils revenaient au bien-fondé des positions de Charles de Gaulle qui en 1966 avait pris la décision de cesser sa participation au commandement intégré et de ne plus mettre de forces à disposition de l’OTAN.
Ce groupe de militaires a ensuite publié en novembre 2020 un manifeste intitulé « Vers une stratégie française utile à l’Europe » dans lequel ils argumentent sur la dangerosité du lien transatlantique qui oblige les pays membres à s’équiper d’armement et de matériel américains, qui fait de la Russie et maintenant de la Chine les ennemis principaux à combattre, dans le but de justifier son outil militaire et l’emploi de la force nucléaire, alors que la vraie menace est pour eux le terrorisme. Ils concluent dans ce document que la France doit retrouver sa souveraineté – seul pays en Europe à détenir l’arme nucléaire depuis le Brexit – et quitter l’organisation militaire de l’Alliance Atlantique. « Vous voudriez pour l’avenir, justifier l’outil militaire de cette alliance en le transformant en un instrument politique, incontournable, de gestion de vastes coalitions internationales, au profit d’une véritable gouvernance planétaire, allant même jusqu’à passer outre les décisions de l’ONU et écrasant les souverainetés nationales » accusent-ils par ailleurs.
Emmanuel Macron et le gouvernement ont décidé de consacrer un budget de 39,2 milliards d’euros à la modernisation des armes atomiques. La France est plus que jamais engagée dans la course à la militarisation du monde, aux côtés des Etats-Unis et de l’OTAN. La lutte contre le terrorisme sert de prétexte à l’intervention militaire à l’étranger, en Afrique comme ailleurs, pour la préservation des intérêts économiques des multinationales et des ressources naturelles (pétrole, gaz, eau, minerais, métaux rares) qui vont être vitales dans les années à venir.
Récemment, le deuxième groupe a fait paraître une tribune signée par 20 généraux, 100 hauts gradés et des centaines de militaires dans Valeurs Actuelles, publication d’extrême droite. Elle défend le patriotisme face au délitement qui frappe le pays, dénonce le développement de zones de non-droit, la criminalité et l’afflux des migrants, appelle à l’insurrection et au coup d’Etat militaire. Il semble que des sanctions aient été prises par les hautes autorités militaires, mais ceci reste encore à prouver puisqu’elles doivent passer par un décret d’Emmanuel Macron pour être officialisées.
Ces prises de position, qui peuvent sembler contradictoires au sein de l’armée française, expriment la grande faiblesse du système capitaliste et la perte de confiance dans son pouvoir. Les courants politiques traversent inévitablement l’armée, il ne devrait donc pas exister que des oppositions de droite ou d’extrême droite. La gauche pourrait aussi s’y exprimer et gagner une bonne partie des militaires en appelant à sortir de l’OTAN ou à ratifier le traité sur l’interdiction des armes nucléaires.
Même si le Général Lecointre, Chef d’Etat Major des armées, affirme qu’il n’y a pas de radicalisation d’extrême-droite au sein de l’armée et que l’armée républicaine n’est absolument pas politisée, les enquêtes menées par Médiapart sur la filière néonazie en son sein, sur les cas de violences graves et de harcèlements avérés contre de jeunes recrues, montrent une institution et une société en pleine désintégration.
Alors que le pays avance à toute allure dans les réformes répressives, que l’Assemblée nationale n’a plus de moyens pour arrêter l’accumulation des lois liberticides, que les citoyens se font agresser de plus en plus régulièrement dans leurs actions pacifiques et leur participation aux manifestations, comme on l’a constaté pour le 1er mai à Paris, à Lyon ou à Montpellier où les cortèges de la CGT ont été sauvagement attaqués par des groupuscules très organisés, que les services publics et notamment l’hôpital courent vers leur privatisation, que la gauche dans son ensemble est complètement laminée et incapable de faire front commun pour construire une véritable alternative à cette société libérale, l’extrême droite a devant elle une voie largement ouverte. Il suffit de suivre les médias trop contents de faire de l’audience en annonçant la montée du Rassemblement national dans les sondages aux prochaines échéances électorales pour en être réellement inquiets.
Les enjeux que pose la préparation de la guerre aujourd’hui sont beaucoup plus importants que les élections départementales et régionales de juin, ou la présidentielle de 2022, qui font partie des préoccupations majeures de la sphère politique. Les Etats-Unis et l’OTAN sont en train d’avancer à vive allure dans la mobilisation des pays membres en Europe et sont prêts à utiliser tous les moyens dont ils disposent pour atteindre leurs objectifs, même en prenant le risque d’un conflit nucléaire. Cette possible guerre nucléaire serait-elle moins dangereuse que le Covid ?
Il est absolument nécessaire que les partis de gauche arrêtent de se déchirer sur des questions de postes et sur des positions de lutte d’égo et de pouvoir et qu’ils prennent conscience de l’impérieux besoin du rassemblement, du front uni anticapitaliste pour construire une société plus humaine, responsable de l’environnement et capable de développer la paix.
Les posadistes – 9 mai 2021
Référence bibliographique : J.Posadas « La crise capitaliste, la guerre et le socialisme » – Editions Sciences Culture et Politique
Photo : Emmanuel Macron et le Chef d’Etat Major des armées François Lecointre lors du défilé militaire du 14 juillet 2018 à Paris