Le 23 mai 2024 le gouvernement conservateur de Sunak a annoncé des élections législatives anticipées pour le 4 juillet, ne laissant que six semaines pour la campagne.
Le blairiste Peter Mandelson (aujourd’hui devenu Lord pour services rendus) affirme que Sunak souhaitait des élections rapides pour mettre un terme à la popularité croissante de l’extrême droite de Farage et son « Reform Party ». Il y a aussi le fait que la situation économique et politique va de mal en pis.
Dans la circonscription électorale du nouveau dirigeant du Parti Travailliste, Keir Starmer, des Forums Populaires sont apparus qui s’appellent désormais Assemblées de Citoyens. Les ex-travaillistes expulsés par Starmer ont construit ces Assemblées et promettent qu’elles vont continuer à fonctionner après les élections du 4 juillet.
Des dizaines de plateformes électorales alternatives à Starmer viennent de naitre dans tout le pays
Après la crise financière de 2008-2010, 14 années de gouvernements conservateurs se sont consacrées à faire payer à la population le sauvetage des banques dont le montant officiel est à plus de 137 milliards de livres sterlings. Les conservateurs sont détestés dans le pays, il n’y a aucune chance qu’ils remportent ces élections. Les travaillistes vont sûrement revenir au gouvernement mais leur Manifeste électoral n’est pas meilleur que celui des conservateurs.
Le 11 avril, le leader travailliste Keir Starmer a déclaré pour la troisième fois à la presse que, une fois au pouvoir, il autoriserait l’utilisation de l’arme nucléaire « si le pays était attaqué ». Le 3 juin, il a qualifié le Parti Travailliste de « parti de la sécurité nationale qui va consacrer 2,5 % du PIB à la défense ».
Starmer appuie la vente d’armes britanniques à Israël et interdit toute référence propalestinienne au sein du parti. Non, son gouvernement ne nationalisera pas l’eau, car le pays n’a pas les moyens de payer des compensations aux actionnaires. Maintenant qu’il a exclu du parti, et sans débat, la majeure partie de la gauche (quelques 223.000 membres depuis 2019), il rassure la haute finance internationale en disant : « on peut compter à présent sur le Parti Travailliste pour une sérieuse politique de défense ».
Dans l’ensemble du pays – hormis l’Irlande du Nord ou il n’y a pas un Parti Travailliste de masses – des dizaines d’organisations anti-Starmer sont apparues. Elles sont souvent composées d’anciens travaillistes contraints à s’auto-qualifier « indépendants » du fait de leur éviction du parti. Ils se disent aussi « indépendants » parce que, lorsqu’ils ont été exclus, ils n’ont trouvé aucune alternative socialiste nationalement préparée à l’avance pour les accueillir et les soutenir. Certains camarades se tournent encore vers Jeremy Corbyn dans l’espoir de pouvoir créer une telle alternative. A l’inverse, d’autres rejettent et la direction Starmer et le Parti travailliste dont ils ne veulent plus entendre parler. Ils veulent « un autre parti de masses ».
La ligne qui sépare ce que l’on pourrait appeler l’hostilité générale à l’égard de Starmer d’une part, et la colère des camarades contre le parti lui-même, est loin d’être claire. Ce facteur, en plus des grandes variations politiques entre camarades, comme à propos de la Russie et de l’Ukraine, explique partiellement pourquoi les dizaines de plateformes anti-Starmer qui se sont formées n’ont pas souhaité se réunir nationalement avant les élections.
La variation politique entre ces nouvelles organisations issues du travaillisme n’est pas amoindrie par l’intervention de toutes sortes de communistes, trotskystes et anarchistes qui offrent leur soutien. Le positif néanmoins est que des candidats qui auraient pensé se présenter comme indépendants commencent à penser en termes socialistes ou communistes. Les communistes (CPB) présenteront 14 candidats ; le Parti Socialiste (SP) 40 candidats, le Parti des Travailleurs (WPB) 152 candidats. L’organisation anti-guerre « Counterfire » se présente aussi, comme les Verts et d’autres formations.
Qui sont les courants qui se présentent sur les plateformes électorales ?
Voici quelques-uns de ces courants, mais il y en a beaucoup d’autres. « We Deserve Better » a été lancé par le chroniqueur du Guardian, Owen Jones. Cette organisation présente des candidats indépendants à Worthing et Manchester, l’un d’eux étant originaire de Momentum. « No Ceasefire No Vote » a été mis en route par des conseillers municipaux (exclus), a présent indépendants. Cette organisation est soutenue par la Coalition « StopTheWar » ainsi que par George Galloway et Craig Murray. « The Muslim Vote » est soutenu par 10 organisations de la société civile musulmane formées spécialement pour ces élections.
La plateforme appelée « Collective » a été lancée dans la circonscription de Holborn & St Pancras (Londres) par un ancien député sud-africain de l’ANC, Andrew Feinstein. Lui-même ancien membre du Parti Travailliste, il en est amené à se présenter comme indépendant, tout comme Corbyn.
Holborn & St Pancras est la circonscription de Keir Starmer. Le plan d’Andrew est de gagner le siège et d’en déloger Starmer qui ne manque pas de moyens financiers et d’amis haut placés. Même si le plan ne se réalisait pas, l’expérience est formidablement riche. Andrew a contribué à la création des Forums Populaires dans cette zone électorale. Ces Forums ont changé de nom pour s’appeler désormais « Citizens’ Assemblies » (Assemblées de Citoyens).
Andrew Feinstein s’engage à maintenir ces Assemblées en activité. Il dit à leur propos : « nous continuerons au-delà du jour des élections. Nous pouvons ainsi offrir au pays un avenir plus démocratique, plus engagé et plus prospère ». Son Manifeste électoral est issu des discussions des Assemblées qui ont retenu les points suivants :
- Les députés doivent consulter leurs électeurs de manière transparente.
- L’eau doit être nationalisée et les pollueurs punis.
- Les services hospitaliers ne doivent pas être fermés faute de financement gouvernemental.
- Des éliminations des déchets plus adéquates sont requises.
- Il faut plus de recours pour la santé mentale.
- Les terrains vacants et les propriétés vides doivent être utilisés pour le logement.
- S’il est élu, Andrew « discutera avec les Assemblées avant tous les grands votes ».
Toujours avec des indépendants, le Collectif présente également des anciens membres travaillistes corbynistes très respectés, comme Pamela Fitzpatrick et Claudia Webbe ; il présentera Lindsey German de Counterfire-StopTheWar ainsi qu’Andrew Murray, Salma Yaqoob, Jamie Driscoll. Une autre plateforme politique appelée « Transform » a ses origines dans les grandes campagnes électorales de Corbyn ; avec Ken Loach, Transform cherche un modèle dans le Parti Travailliste de 1945. Un autre groupe londonien, « For the Many », reprend de la même façon certains aspects des Manifestes électoraux de Corbyn.
Dans tous ces milieux, le rejet de Starmer est total. Mais le rejet du Parti Travailliste est loin d’être unanime. Les syndicats appellent à voter pour lui, bien que sans enthousiasme. On ne sait pas clairement si les grands changements dans le parti ont bien été notés par la population. Jeremy Corbyn n’intervient pas visiblement sur la scène nationale. Le sentiment de respect pour lui est toujours fort, et continue à lier la campagne de la gauche avec un certain espoir de le réanimer, ou peut-être de créer un autre Corbyn. Des camarades font des déplacements importants pour soutenir sa candidature à Islington Nord. Les sondages indiquent que les votes en sa faveur pourraient être égaux à ceux de Praful Nargund, son remplaçant « starmeriste ». Nargund est directeur d’une clinique privée de Fertilité FIV. C’est sur X-twitter que le Parti Travailliste local a appris que Nargund était devenu leur candidat pour Islington North !
La grande faiblesse du capitalisme et sa grande peur
Le programme de Corbyn n’était même pas contre l’OTAN, mais le capitalisme et tous ses agents l’ont détruit pour ne pas avoir à y faire face. Ceci révèle une grande vulnérabilité ainsi qu’une grande peur – la peur que ressent un capitalisme en pleine chute. Le violent traitement réservé à Corbyn suggère qu’il doit y avoir dans le pays suffisamment de forces qui lui sont dangereusement favorables.
C’est tout un événement lorsque l’appareil travailliste – qui a maintenu le monopole de son pouvoir sur la gauche travailliste au fil de générations et de dures batailles avec elle – fuit la moindre transformation sociale au point de sentir le besoin d’abandonner son emprise hégémonique sur le parti, et de se retrancher dans un travaillisme plus petit, plus facile à dominer. Ceci n’était pas l’intention, mais le résultat c’est que les expulsés sont à présent libérés. La gauche travailliste peut à présent parler, former des Forums Populaires et des Assemblées de Citoyens.
A présent que l’ex gauche travailliste s’associe aux partis traditionnels de gauche, ses représentants se retrouvent à même d’adopter les idées socialistes de transformation. Dans ce processus, l’aspect traditionnellement travailliste de leurs idées, l’aspect réformiste et social-démocrate, reçoit des coups. Les débats politiques finissent par identifier le rôle des États-Unis et de l’OTAN dans les guerres constantes, particulièrement en Ukraine et en Palestine.
L’exemple de la ténacité des Palestiniens joue un rôle central et explosif dans la mobilisation des centaines de candidats qui veulent faire échouer les députés de Starmer. (Il y a 650 sièges à la chambre). Dans l’évolution politique qui commençait en 1900 avec le travaillisme, et qui à présent se dirige vers les idées socialistes, les rythmes vont dépendre de la vitesse ou de la lenteur relative de la révolution mondiale. Selon le cas, ceci peut requérir ou ne pas requérir la formation d’un nouveau centre de centralisation ouvrière.
Au cœur du Parti ouvrier bourgeois Travailliste, basé sur les syndicats, l’histoire a créé le champ de bataille entre capitalisme et prolétariat. La classe ouvrière et ses syndicats d’un côté – et de l’autre, mais au même endroit, la classe capitaliste qui sombre et dégénère dans le vortex nazi et génocidaire de l’impérialisme de la haute finance.
Pour éviter de se disperser, les nouveaux groupes et organisations de gauche qui viennent de se former vont avoir besoin de se réunir au niveau national, et pour mieux se souder ensemble de bases programmatiques. Dans son Manifeste électoral, Andrew Feinstein s’engage à contribuer à la poursuite du fonctionnement des Assemblées de Citoyens après les élections. Ceci est certainement un guide pour tout le pays.
Vivement la création des Forums Populaires là où ils n’existent pas encore et où il faudra veiller à leur continuation après les élections. Il faut des réunions de masse où tous les députés doivent consulter avant les votes majeurs au Parlement. Il faut projeter les deux films The Big Lie de Norman Thomas (documentaires sur l’utilisation frauduleuse de l’antisémitisme). Il faut privilégier les décisions collectives, incorporer les syndicats, les travailleurs, la population et organiser des grèves.
Une consigne est vitale pour tous les forums populaires : Le Royaume-Uni hors de l’OTAN, et l’OTAN hors du pays.
Posadists Today, le 23 juin 2024
Photo de Une : Manifestation le 7 juin 2024 du syndicat des pompiers de Londres contre sa direction qui n’a rien fait pour améliorer la vie et s’est soumise à la politique des conservateurs