Elections au Royaume-Uni : des fissures irréparables dans l’appareil travailliste en dépit de son succès électoral

Lors des élections législatives du 4 juillet, le gouvernement conservateur a subi une défaite écrasante et Rishi Sunak a démissionné. Le Parti Travailliste dirigé par Keir Starmer a remporté 412 sièges parlementaires sur 650, mais avec 3 millions de voix de moins que Jeremy Corbyn en 2017 !  Les travaillistes ont remporté près de 4 fois plus de sièges que les conservateurs, mais avec moins de 38 % des votants.  Ce n’était pas tant une victoire travailliste qu’une débâcle des conservateurs.

À partir de 2008, le capitalisme a évité l’effondrement en imposant des décennies d’austérité. Dans tous les grands pays capitalistes, et au Royaume-Uni en particulier, la masse de la population a répondu par des grèves, des manifestations et des protestations – dont beaucoup ont encore lieu aujourd’hui. Lors de ces élections législatives, l’électorat a réussi à balayer l’un des gouvernements conservateurs les plus cruellement préparés à la répression étatique contre la population.

Après son coup d’État en catamini contre Corbyn en 2019, la clique travailliste de Starmer n’a pas caché sa volonté de suivre la même ligne politique que les conservateurs. Elle a démontré à plusieurs reprises son soutien à Israël, ainsi qu’à la prise de contrôle de l’Ukraine par l’OTAN. En avril 2024 et de nouveau en juin, Starmer a réitéré sa volonté « de presser le bouton nucléaire » si le Royaume-Uni – capitaliste et impérialiste – s’estimait attaqué, surtout si cette attaque « provenait de la Russie ».

Ainsi pour ceux qui se réjouissent de l’effondrement du Parti Conservateur et saluent ce qu’ils appellent « l’avalanche électorale travailliste », il ne faut pas compter sur l’amélioration des choses.

La presse a déclaré que Gaza « était le problème le plus brûlant de cette élection ».  En effet, ces élections marquent le moment où un mouvement d’Indépendants généralement issus du travaillisme, s’est dressé avec suffisamment de force pour présenter des candidats contre le Parti Travailliste officiel. Ils ont créé un peu partout dans le pays des plateformes pour s’opposer à l’austérité que prône Starmer, et appuyer les Palestiniens contre Starmer qui soutient Israël.  Ces Indépendants ne sont pas particulièrement coordonnés entre eux, mais ils apparaissent pour la première fois électoralement en grand nombre sur la gauche du Parti Travailliste. Ils étaient moins nombreux au Pays de Galles et en Ecosse. En Irlande du Nord, où le Parti Travailliste est minuscule, Sinn Fein a continué à gagner du terrain.

Les Indépendants ont remporté 5 sièges, et presque 5 autres au Parlement. Ils ont détrôné certains dirigeants travaillistes défenseurs inconditionnels d’Israël et de l’OTAN, et ils ont fortement réduit le succès d’autres dirigeants qui sont à présent ministres, tous pro-austérité et pro-guerre dans le gouvernement belliciste de Starmer. Si les Indépendants ont si bien réussi, c’est grâce à une forte croissance de couches populaires, ouvrières et de tradition travailliste, qui ont formé des assemblées électorales un peu partout pour contrer Starmer.

Cinq « Indépendants » détrônent les travaillistes et sept autres y parviennent presque

Ce n’est pas une mince affaire lorsque cinq des Indépendants pro-palestiniens qui se sont opposés au Parti Travailliste de Starmer (avec tout son argent et sa machine électorale) ont réussi à être élus. Il s’agit de Shocket Adam à Leicester South, Adnan Hussain à Blackburn, Iqbal Mohamed à Dewsbury & Batley et Ayoub Kham à Birmingham Perry Barr.

Sept autres Indépendants sont presque parvenus à s’emparer du siège de plusieurs piliers du « Labour Friends of Israël » (Les Amis Travaillistes d’Israël) qui sont maintenant aussi ministres dans le gouvernement Starmer. On relève ici Wes Streeting à Ilford (maintenant ministre de la Santé). Il ne l’a emporté que par seulement 500 voix devant l’Indépendante Leanne Mohammad. Liam Byrne de Birmingham Hedge Hill (un ministre sous Gordon Brown) a tout juste réussi. De même pour Rushanara Ali à Bethnal Green & Stepney (maintenant ministre du Logement) et Shabana Mahmood à Birmingham Ladywood (maintenant Lord High Chancellor of GB).  Jess Phillips de Birmingham Yardley (maintenant ministre des Femmes et des Filles) n’a gagné contre l’Indépendante Jody McIntire que par 693 voix ! Dans ces exemples, on mesure le niveau de conscience politique et de sophistication de l’électorat.

Andrew Feinstein est arrivé 2e avec 7.312 voix à Holborn & St Pancras contre Starmer qui a regagné son siège avec presque 9.000 voix de moins qu’en 2019

Cinq cents candidats se sont présentés comme Indépendants lors de cette élection. Même s’ils n’étaient pas tous de gauche, c’est la première fois dans l’histoire du Parti Travailliste que des dizaines d’Indépendants propalestiniens, issus pour la plupart de ce parti, parviennent à se dresser ainsi contre l’appareil travailliste pour remporter 5 sièges. Corbyn en est l’exemple le plus frappant. Il a gagné en tant qu’Indépendant avec une large majorité à Islington North, contre le patron d’une entreprise privée dans le secteur santé que Starmer avait jugé apte à ce poste (voir note en fin d’article).

Bien que ce ne soit qu’un début, ceci donne une mesure de la profondeur de la compréhension de l’électorat en général, et pas seulement parmi les musulmans et ceux qui appuient la Palestine. Il a fallu des couches d’électorat bien plus larges pour avoir permis de tels résultats, en moins de 6 semaines, sans argent et contre la haine des médias et de la droite. Ceci n’a pu se produire que parce que la population discute et est consciente de l’objectif de guerre de l’OTAN derrière le coup d’État de Starmer. 

D’autres rebelles extérieurs au Parti Travailliste se sont joints au mouvement, souvent au nom de leur propre parti : le Workers Party GB de George Galloway a présenté 152 candidats, la Coalition Syndicaliste et Socialiste TUSC a présenté 40 autres candidats. Il y en avait 14 du Parti Communiste Britannique CPB, 12 du Socialist Workers Party, 2 de Transform et autres. Aucun d’entre eux n’a remporté de siège et George Galloway a perdu le sien à Rochdale. Mais ils ont utilisé l’élection pour expliquer généralement la nécessité de la transformation sociale et d’une véritable représentation de la classe ouvrière.

Les syndicats ont appelé à voter travailliste, bien qu’avec des critiques envers Starmer. Il faut dire à ce stade que le vote travailliste n’a pas cessé d’être un vote de classe. Ceci se constate à Leeds, Bradford East, Salford Town, le Conseil Municipal de Coventry, Poplar & Limehouse, Liverpool West Derby et Hayes & Harlington. Dans ces circonscriptions, les députés travaillistes ont obtenu d’énormes majorités parce qu’il s’agit de zones travaillistes solides et traditionnelles. Dans ces zones, Starmer vient de retirer à sept de leurs députés le droit de voter au parlement pendant 6 mois, pour avoir osé voter contre le plafond aux allocations familiales pour ceux qui ont plus de deux enfants ! Cela montre que les députés travaillistes sont toujours impliqués dans la lutte. Comme le capitalisme se pourrit, il faut les soutenir lorsqu’ils luttent, comme dans ce cas-ci. Il faut aussi s’adresser aux Verts (Green) qui ont recueilli de nombreuses voix de la gauche travailliste désillusionnée.

Starmer veut faire du Parti Travailliste le parti de l’OTAN

Mobilisation du syndicat Unite des Services de collecte des déchets à Coventry

En dépit des changements qui ont lieu au fil des années dans la direction du Parti, l’appareil travailliste n’a jamais cessé, même pour un moment, de participer aux activités « néo-libérales », anti-ouvrières et antisyndicales des Conseils Municipaux. Si les Indépendants parviennent à former une plateforme nationale anti-Starmer (contre l’austérité et la guerre par exemple), ils constateront que c’est bien la structure et le fonctionnement pro-impérialiste du parti qui génère et parraine des dirigeants comme Blair, Mandelson, Starmer, et non l’inverse.  Si les Indépendants continuent à s’organiser, ils ne pourront en rester au niveau de la lutte anti-Starmer, ou même de la lutte simplement parlementaire.

L’accent mis sur Starmer est cependant approprié pour le moment. Deux jours après l’élection, celui-ci s’embarquait pour le sommet de l’OTAN à Washington où il préconisait « une augmentation supplémentaire de la contribution des alliés en appui à l’OTAN ».  Toute plateforme anti-Starmer va devoir discuter avec les organisations anti-guerre existantes (CND, StW, Counterfire) ainsi que celles aux USA et dans le reste de l’Europe.

Le projet de Starmer d’un plus grand financement de l’OTAN est en conflit, par exemple, avec la suppression des allocations familiales à partir du 3e enfant. Sept des députés travaillistes qui ont pourtant accepté la direction Starmer viennent déjà de se rebeller. Il faut compter sur d’autres rebellions à venir. Il faut les soutenir même si elles sont limitées.  

Ces élections législatives ont montré que l’appareil travailliste ne peut plus écarter l’opposition de la classe ouvrière et l’étouffer comme ce fut presque toujours le cas. Les Indépendants viennent de mettre en évidence l’existence de brèches dans l’appareil du parti que les directions comme celle de Starmer ne peuvent plus ignorer. L’impasse du capitalisme élimine toutes les politiques de réforme. Le monopole bourgeois du pouvoir de l’appareil travailliste perd son hégémonie au sein de la représentation ouvrière.

L’expulsion de Corbyn et de milliers de ses partisans a marqué le moment où la structure travailliste bourgeoise, réformiste et bureaucratique, choisit une fois de plus son camp dans l’histoire : le camp de l’OTAN cette fois-ci.

La direction de Starmer se prépare à affronter la classe ouvrière, au Royaume-Uni et dans le monde entier, par l’intermédiaire de l’OTAN, grâce à l’arsenal politique et militaire répressif mis en place par les conservateurs. Il y a du travail qui nous attend pour contribuer à la reconfiguration urgente de la représentation politique de la classe ouvrière, pour faire germer et affermir les tendances socialistes et communistes dans les contradictions du travaillisme.

Posadists Today, 27.7.2024

Photo de Une : Jeremy Corbyn vient de gagner son siège à Islington North en tant qu’Indépendant, et retrouve tous ses amis.

Note : Corbyn a représenté le Parti Travailliste à Islington North pendant 41 ans. En 2019, il obtenait 24.120 voix. En 2024, Nargund Praful – Travailliste nommé par Starmer – n’en obtenait que 16.873. Le Parti Travailliste non seulement perd ce siège jusqu’ici imbattable, mais perd aussi 10.315 voix.

Nargund Praful fut sélectionné candidat pour la circonscription sans en parler à l’équipe travailliste locale. Celle-ci apprenait le nom de la personne qui allait la représenter dans un message internet.  Nargund Praful est le patron d’une compagnie médicale privée, alors que la masse de la population et de la classe ouvrière lutte contre la privatisation du Service National de Santé, NHS. Durant la campagne électorale, Nargund Praful n’assistait pas aux réunions publiques.