A rebours des post-démocraties de Musk et Trump, Nicolas Maduro renforce la démocratie au Venezuela

Qu’importe si les drones médiatiques occidentaux nous bombardent d’images de « dictature-au-Venezuela » quand Nicolas Maduro, réélu en juillet dernier face à l’extrême droite, prêtera serment le 10 janvier (1). Parlons de l’originalité vénézuélienne. Projeter le jeu politique classique empêche de comprendre le dynamisme bolivarien qui allie résistance anti-impérialiste à création démocratique. Conscients de l’anachronisme d’un système représentatif émietté dans des corruptions à tous les niveaux, Chavez puis Maduro ont érodé avec patience les bases de l’ancien monde. C’est dans l’Agenda Bolivariana anticolonial, le Libro Azul, et la réflexion stratégique des « Tres Raices » menée dès les années 1990, dans l’histoire non écrite des milliers d’esclavisé(e)s affranchi(e)s qui traversèrent les Andes avec Bolivar pour libérer d’autres peuples, qu’ils ont mis leurs pas. L’année 2024 en aura marqué de nouveaux, et non des moindres.

A commencer par la nomination-surprise, en juin 2024, d’un communard venu de la base, le paysan Angel Prado, comme nouveau Ministre des Communes et des Mouvements Sociaux. Au Venezuela, les communes sont des autogouvernements populaires pouvant compter de 1.000 à plus de 50.000 personnes, organisées dans les quartiers urbains comme dans les collectivités rurales (2). « Surtout, ne joue pas au ministre, ne deviens pas un personnage de VTV » lui a soufflé Maduro (3). Aux réunions ministérielles, Prado a rappelé que la communication populaire consiste à participer aux assemblées, là où personne ne parle pour les autres et où chacun exprime son opinion et ses critiques. En novembre, quand Maduro et Prado ont rencontré ensemble cinq mille producteurs(trices) de café, le président ne leur a pas seulement parlé « crédits » ou « exportation » mais aussi « culture à renforcer partout dans les territoires, nouveaux narratifs à créer ». Se tournant vers son ministre de l’information, Maduro a précisé : « Nous devons construire des systèmes de communication de plus en plus efficaces avec toutes les forces de base, avec tous les conseils communaux, les voisins, toutes les communes, les circuits communaux. »

2025, année de la démocratie communale

En décembre, le président bolivarien a de nouveau surpris : « Messieurs les ministres, vous qui êtes responsables de la préparation du budget 2025, nous devons atteindre l’objectif que j’ai fixé lors de la dernière réunion : nos dépenses et nos investissements doivent atteindre 70 % de transferts directs afin que les conseils communaux et les communes soient ceux qui appliquent le budget de la nation ».

Dès avril 2024, Maduro avait accéléré le rythme des élections nationales par lesquelles les populations des communes choisissent leur projet prioritaire (4). Qu’il soit socio-productif, culturel, sanitaire ou infrastructurel, l’État est dans l’obligation de le financer. La prochaine « consulta popular » aura lieu le 26 janvier 2025, et il y en aura cinq autres en 2025. Une méthode de fond pour attaquer la corruption, et une école de pouvoir pour les citoyen(ne)s appelé(e)s à définir leurs projets dans des assemblées préalables, ouvertes à tous, au-delà de tout signe politique. Avec un fonds extraordinaire de 600 millions de dollars qui s’ajoute aux 200 millions de dollars déjà disponibles pour les communautés à travers le Conseil Fédéral de Gouvernement, « l’année 2025 sera l’année du big bang de l’investissement territorial et communal dans les besoins de la population ; en combinant le débat, la consultation, la démocratie directe, et l’assignation directe des ressources de l’État aux autogouvernements communaux » a insisté Maduro (5).

Avec 31 élections dont 7 référendums en 24 ans de révolution, le Venezuela battait déjà tous les records en nombre de scrutins. L’émergence des communes fait qu’il ne se passe plus trois mois sans que le Centre National Électoral n’installe des bureaux de vote dans tout le pays. Le modèle communal a aussi permis de créer et de tester un nouveau modèle de justice. Le 15 décembre, les vénézuélien(ne)s ont voté pour élire 28.486 juges de paix communaux chargés d’arbitrer les conflits entre citoyen(ne)s (6). Conflits de voisinage, dettes des entreprises ou occupation illégale de terrains sont de leur ressort. Si les parties ne trouvent pas d’accord, les affaires sont portées devant les tribunaux. Autre chantier : l’Université des Communes en tant que centre de formation intégrale (économie politique, agroécologie, communication populaire, etc..), en particulier pour la jeunesse communarde. « De 2025 à 2026, nous devrions pouvoir atteindre au moins 5000 autogouvernements communaux consolidés, organisés, structurés, légalisés, formés » a dit Maduro au Ministre des Communes. Pour penser ces politiques, le président bolivarien fait constamment appel à la participation citoyenne. En novembre, le Congrès Bolivarien national fut l’aboutissement de 101.587 assemblées populaires dans tout le pays. Résultat : 580.000 propositions exprimées par plus de 3.600.000 hommes et femmes pour nourrir le plan de gouvernement 2025-2030. « C’est le débat le plus libre, le plus égalitaire et le plus nourrissant que nous ayons organisé en 25 ans pour réfléchir aux politiques de l’avenir » a expliqué le chef de l’État. (7)

2025 sera l’occasion d’un autre chantier alimenté par les propositions populaires. Une grande réforme constitutionnelle qui, explique le mandataire, « construira une démocratie moderne basée sur la participation directe des citoyen(ne)s, le pouvoir des mouvements sociaux, de la collectivité. Nous allons vers un grand processus de démocratisation élargie de la société vénézuélienne, de la vie politique, institutionnelle, économique, sociale, culturelle et éducative. Un système qui élit celui qui a le plus d’argent pour contrôler TikTok, Instagram ou la radio et la télévision, n’est pas une démocratie mais une farce, un théâtre de l’absurde. Le Venezuela n’en veut pas, parce que toute son Histoire est imprégnée de l’idée et du désir d’une démocratie authentique ». (8)

Caracas, rendez-vous des mouvements du Sud Global

Les 10 et 11 septembre 2024, lors du premier Congrès international contre le fascisme, plus de 1200 participant(e)s de 95 pays ont discuté de la lutte contre le fascisme contemporain, notamment du rôle des réseaux sociaux de la Silicon Valley dans la propagation du modèle « muskien » de post-démocratie (9). Les présidentielles de juillet au Venezuela ont servi de banc d’essai à cette méthode occidentale qui consiste à refuser le verdict des urnes en mêlant les violences d’extrême droite à une blitzkrieg digitale. Pendant que Musk menaçait personnellement Maduro à travers des millions de bots sur son réseau « X », l’extrême droite a assassiné 27 personnes, pour la plupart des militant(e)s chavistes. Les médias français ont participé à cette énième tentative de coup d’État contre les électeurs vénézuéliens (10). La finalité politique est la suppression de l’État et des médiations républicaines, pour instaurer un sorte de Moyen Age sous gouvernance digitale dont les régimes brutaux de Trump, Milei ou Bukele sont les avant-postes.

En décembre, Nicolás Maduro a accueilli le sommet de l’ALBA à Caracas (11). L’Alliance Bolivarienne pour les Peuples de notre Amérique – Traité de Commerce pour les Peuples fêtait son 20ème anniversaire, et a concrétisé une étape importante de son développement : la création du Conseil des Mouvements Sociaux. Celui-ci définit un agenda unitaire d’actions concrètes proposées aux présidents de l’ALBA-TCP sur des axes tels que l’unité et l’internationalisme; la bataille idéologique et culturelle; la nouvelle économie; la défense de l’environnement; la démocratisation et la construction du pouvoir populaire; les féminismes populaires (12).

Pour la secrétaire générale d’Alba Movimientos, l’argentine Laura Capote, l’Alba-TCP gouvernemental et le conseil des mouvements sociaux partagent le même horizon : « Nous ne sommes pas un comité qui applaudit les gouvernements de l’ALBA. Nous sommes les défenseurs de ces processus, en comprenant qu’il s’agit de processus révolutionnaires avec des contradictions, des tensions, avec des choses que nous aimons et d’autres que nous n’aimons pas, mais qui sont nos réussites en tant que peuples. C’est une chose. Mais nous allons aussi construire les fondations qui nous permettront de nous développer et d’avoir du pouvoir. Nous voulons le pouvoir. Nous voulons le socialisme dans notre région ».

Le document envoyé aux mouvements pour la mise en œuvre des projets dans les 30 pays représentés au sommet de l’ALBA parle d’abord de créer des brigades temporaires. L’idée a été avancée par la dirigeante du Mouvement des Travailleurs ruraux Sans Terre (MST), Messilene Gorete. Le projet est basé sur les brigades du MST, qui sont organisées dans différents pays : brigades d’échange, de solidarité et permanentes. Dans les brigades d’échange, l’objectif est d’échanger des expériences et des connaissances entre les mouvements de différents pays sur des questions telles que l’agroécologie et la production, les féminismes populaires et les politiques publiques. Les brigades de solidarité se concentrent sur la vie des gens dans des aspects tels que les droits humains et la vigilance quant aux violations de ces droits. Les brigades permanentes ont pour but de stimuler la coopération du point de vue des peuples. L’objectif est de renforcer les organisations politiques qui existent déjà dans des pays comme le Venezuela, Haïti et la Zambie.

La journaliste Florencia Agustina a proposé la création d’une école et d’une agence de presse des mouvements populaires. Ces deux outils permettraient de rompre avec la concentration capitaliste de l’information, avec des correspondants dans différents pays et, sur le plan théorique, de constituer une nouvelle théorie de la communication. Enfin, les mouvements sociaux de l’ALBA soulignent la nécessité d’un réseau de formation politique et la nécessité d’élaborer des stratégies de production basées sur le coopérativisme dans une perspective de solidarité et de complémentarité.

Tout autant que son pétrole, ce sont cette démocratisation en profondeur et cette coopération avec les mouvements du Sud global qui expliquent pourquoi les empires médiatiques doivent transformer depuis vingt ans le Venezuela en « dictature » et pourquoi les USA et l’UE veulent étrangler son économie avec leurs 936 sanctions. La droite vénézuélienne, engoncée dans son racisme, l’a compris : tant d’outils d’émancipation aux mains d’un peuple longtemps exclu, mais conscient, critique, la rendent chaque jour plus anachronique. Ses député(e)s ont voté systématiquement contre les dizaines de lois qui, depuis 2006, transfèrent le pouvoir aux organisations populaires. Mais pour qui désespère de voir s’incarner la démocratie – au sens étymologique –, le Venezuela montre que le rêve reste permis.

Thierry Deronne, Caracas, 2 janvier 2025.

Notes:

  1. Conformément à la doctrine Estrada de non-ingérence et de respect de la souveraineté et de l’autodétermination, le Mexique a annoncé son respect des institutions électorales vénézuéliennes et a refusé de céder aux pressions qu’exerce Washington sur ses alliés pour qu’ils refusent de reconnaitre le président Maduro. Comme la Colombie, la présidente mexicaine enverra son représentant diplomatique à la prise de fonctions de Nicolas Maduro le 10 janvier 2025. Face à l’indignation d’une partie de la gauche latino-américaine pour sa position vis-à-vis du Venezuela (et notamment le veto d’un diplomate brésilien à l’entrée du Venezuela dans les BRICS), le président Lula a esquissé une rectification après la validation des résultats par la Cour Suprême du Venezuela. Les principaux mouvements sociaux du Brésil lui ont écrit deux fois pour lui demander de reconnaître clairement la victoire de Maduro. Finalement, le Brésil enverra aussi son représentant diplomatique à l’investiture de Maduro. L’image charismatique de Lula ne doit pas occulter ses difficultés. L’ex-députée du Parti du Travail Margarida Salomão, récemment élue mairesse, critique le centrisme de son parti : « ce serait une tragédie que le PT abandonne ses engagements programmatiques originels ». Analysant la victoire de Trump, Frei Betto, ex-ministre de Lula et responsable en son temps du programme « faim zéro », considère que « si la gauche brésilienne ne descend pas Paulo Freire des étagères, ne rouvre pas les équipes et les écoles d’éducation populaire, ne forme pas des militants aux côtés des classes populaires, n’assume pas l’éthique comme un principe non négociable et ne substitue pas au projet du pouvoir le projet du Brésil, elle subira en 2026 sa pire défaite depuis la fin de la dictature en 1985 ». Pour sa part, le Mouvement des Sans Terre critique ouvertement l’extrême lenteur de la réforme agraire. Le contraste est frappant avec le Venezuela qui a distribué 13 millions d’hectares aux petits et moyens producteurs, et où le président Maduro vient de signer de nouveaux accords avec les Sans Terre brésiliens pour créer une zone de culture agroécologique de 10 mille hectares au sud du pays.
  2. « Révolution dans la révolution : Maduro nomme un leader communard ministre des Communes » https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/06/11/revolution-dans-la-revolution-maduro-nomme-un-leader-communard-ministre-des-communes/
  3. VTV est la chaîne de télévision publique où les ministres (notamment) expliquent leurs politiques.
  4. « Au Venezuela les communard(e)s continuent à créer l’État nouveau »,  https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/04/23/au-venezuela-les-communardes-continuent-a-creer-letat-nouveau/
  5. « Maduro aprobó Ley de Presupuesto 2025 », https://ultimasnoticias.com.ve/noticias/politica/maduro-firmo-ejecutese-de-ley-de-presupuesto-2025/ et « Presidente Maduro instruye destinar 70% del presupuesto nacional a Comunas y Consejos Comunales », https://www.comunas.gob.ve/2024/10/21/presidente-maduro-instruye-destinar-70-del-presupuesto-nacional-a-comunas-y-consejos-comunales/
  6. « Venezuela propõe transformação da justiça a partir de juízes de paz nas comunas »,  https://www.brasildefato.com.br/2024/12/17/venezuela-propoe-transformacao-da-justica-a-partir-de-juizes-de-paz-nas-comunas
  7. « Cabello a alcaldes y gobernadores: Es el momento del Poder Popular »,  https://ultimasnoticias.com.ve/noticias/politica/cabello-a-alcaldes-y-gobernadores-es-el-momento-del-poder-popular/
  8. « Venezuela está en paz, tranquila y segura de su destino y su camino”: Maduro »,  https://www.jornada.com.mx/noticia/2025/01/01/mundo/201cvenezuela-esta-en-paz-tranquila-y-segura-de-su-destino-y-su-camino201d-maduro-2739
  9. Sur ce Congrès: « Appel pour une internationale antifasciste et anti-impérialiste », https://investigaction.net/appel-pour-une-internationale-antifasciste-et-anti-imperialiste/ et « Le fascisme revient : l’appel de Caracas aux peuples du monde », https://investigaction.net/le-fascisme-revient-lappel-de-caracas-aux-peuples-du-monde /
  10. « Comment les médias français préparent la violence de l’extrême droite au Venezuela »,  https://venezuelainfos.wordpress.com/2024/06/20/comment-les-medias-francais-preparent-la-violence-de-lextreme-droite-au-venezuela/
  11. « Alba completa 20 anos mirando defesa do socialismo e novos desafios para articulação regional », https://www.brasildefato.com.br/2024/12/30/alba-completa-20-anos-mirando-defesa-do-socialismo-e-novos-desafios-para-articulacao-regional
  12. « Cúpula da Alba celebra 20 anos e discute propostas de articulação das esquerdas latino-americanas »,  https://mst.org.br/2024/12/16/cupula-da-alba-celebra-20-anos-e-discute-propostas-de-articulacao-das-esquerdas-latino-americanas/

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Article publié par Venezuela Infos le 2 janvier 2025

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