Les défis et les opportunités pour mettre en échec le coup d’Etat.
C’était à prévoir : la majorité des sénateurs de la « Commission Spéciale » a décrété le début du processus de destitution et d’éloignement de la Présidente Dilma Rousseff, complétant ainsi le triste spectacle de la Chambre des Députés. La situation actuelle est un coup très dur : c’est un putsch institutionnel, il n’existe pas la moindre justification légale à l’éloignement de la Présidente.
C’est le résultat d’une volonté politique de cette nouvelle majorité parlementaire de s’imposer sans le moindre argument juridique ou constitutionnel. C’est aussi un putsch « politique » qui se manifeste par la constitution du nouveau « gouvernement », doté d’un sinistre programme ultralibéral et pro-privatisations, antipopulaire et réactionnaire (voir ci-dessous), composé de ministres sans représentativité sociale, d’une bande de malfaiteurs dont la plupart ont des problèmes avec la Justice.
Que sa présidence ait été bonne ou mauvaise, Dilma Rousseff a été élue sur un programme de maintien et d’extension des droits sociaux conquis au cours de ces 12 dernières années. Les chacals du nouveau gouvernement, par contre, n’ont de cesse de démolir toute la plateforme programmatique qui fut la base de la réélection de Dilma.
Cependant, le plan sinistre élaboré par les putschistes pourrait finir plutôt mal pour eux. Le Brésil de 2016 n’est pas celui de 1964 (année du coup d’Etat militaire de droite), ni même celui de la Constitution de 1988 (à la fin de la dictature militaire). Les progrès sociaux de l’époque « pétiste » (gouvernements successifs du PT, Parti des Travailleurs) se sont consolidés pendant des années et ont engendré une montée en puissance des masses populaires qui ne tardera pas à se manifester. Les résistances se multiplient dans le pays parmi les différents secteurs sociaux, y inclus au sein de la classe moyenne qui s’était laissée « embobiner » pendant un certain temps par les offensives médiatiques. Le gouvernement putschiste qui vient de s’imposer est perçu aux yeux de différentes couches de cette classe moyenne comme une gifle en pleine figure. La résistance populaire dans les rues sera en tout cas déterminante.
C’est un fait important, bien que symbolique, que Dilma refuse de démissionner, appelle à lutter et qu’elle veut utiliser la période de son éloignement pour se consacrer à la résistance. A la différence de nombreux dirigeants au cours de l’histoire du Brésil qui face aux coups de force ont démissionné, ont choisi l’exil ou se sont suicidés, Dilma promet de se battre. On ne peut dire encore si elle va sortir du strict plan légal, mais son attitude ferme, qui a été alimentée par le soutien de la population, est un encouragement à aller de l’avant et à défier les putschistes. Il faut souligner également les prises de position contre le coup d’Etat de la part des pays progressistes d’Amérique Latine.
Maintenant, il s’agit de prendre cette attitude de Dilma comme un levier pour récupérer la Présidence et pour approfondir la révision générale que la gauche est en train de faire de ses erreurs. La constitution du « Frente Brasil Popular » (Front Brésil Populaire), les débats au sein même du PT pour réapprendre tout ce qui a été oublié pendant des années, sont des moyens pour avancer.
Il faut reprendre la lutte pour un Projet Brésil Populaire, démocratique et transformateur, il faut briser les tabous de la dictature capitaliste-financière : par exemple en finir avec les taux d’intérêt usuriers, émettre de la monnaie en fonction de projets de développement, destiner les réserves du Trésor à des investissements publics, renationaliser les entreprises d’Etat qui ont été privatisées, remettre Petrobras au service de l’intérêt national, nationaliser les réserves stratégiques d’uranium et de niobium, renforcer l’alliance des BRICS et l’unification latino-américaine, éradiquer totalement la pauvreté, réduire les inégalités sociales, faire payer les plus riches, gouverner pour les majorités.
Il faut tirer les conclusions de toutes les illusions construites autour des alliances parlementaires et coalitions gouvernementales qui montrent aujourd’hui si clairement leurs limites. La politique des compromis à tout prix pour que le pays soit gouvernable, le frein mis en permanence à la lutte des classes étaient considérés comme des « prouesses » du PT et de Lula pour éviter des affrontements « entre Brésiliens ».
Et maintenant, c’est la bourgeoisie, ce sont les élites les plus réactionnaires et conservatrices qui aiguisent la lutte des classes, qui organisent la haine de classe, principalement au travers des medias et au moyen de ce nouveau gouvernement arrogant et destructeur des conquêtes sociales. Pendant deux ans, les campagnes de haine se sont déchainées, jusqu’à cette opération « Lava Jato » (l’enquête de la police fédérale sur des corruptions et blanchiment d’argent au sein de l’entreprise Petrobras »).
Maintenant, c’est l’heure de la Résistance !
Cet aiguisement de la lutte des classes doit conduire à revaloriser le rôle des syndicats. La CUT (Centrale Unique des Travailleurs) a bien fait de boycotter la première réunion convoquée par le gouvernement putschiste, dans le but d’attaquer la Sécurité Sociale. Elle mène de nombreuses mobilisations mais elle doit encore beaucoup faire pour organiser la classe travailleuse pour la lutte et non pour la négociation et la conciliation de classes. Les événements actuels mettent en évidence que la « gouvernabilité » n’est pas éternelle, ni les conquêtes définitives. La face odieuse du capitalisme montrée par ce gouvernement putschiste ne laisse pas de place aux doutes : rien n’est acquis, tout se gagne et se regagne dans la rue, dans les luttes et dans les mouvements populaires.
La CUT doit revenir à ses racines de classe, c’est-à-dire politiser le mouvement syndical et discuter quel modèle de société nous voulons, et surtout, prendre la responsabilité de lutter pour une autre société, pour la souveraineté nationale, pour l’approfondissement des transformations sociales. Nous sommes à un moment historique décisif.
Dilma n’a pas d’obligations de rendre des comptes à « cette » légalité. Même si elle parvient, grâce au soutien de la mobilisation populaire, à empêcher le gouvernement putschiste d’obtenir sa destitution, à stopper l’acharnement des juges du Lava-Jato et revenir à la tête de l’Etat, elle ne peut pas continuer à utiliser les méthodes antérieures de « gouvernabilité » qui ont donné la preuve de leurs limites.
Les intérêts du peuple des travailleurs, de la majorité de la population, des femmes, des jeunes et des vieux, des millions de brésiliens qui construisent le pays : voilà l’intérêt suprême ! Et le principe de la Souveraineté Nationale est aussi une loi suprême, cette souveraineté a été violée par la loi du gouvernement putschiste qui permet l’exploitation du Pre-Sal (réserve de pétrole et gaz dans des roches sous-marines) par des firmes multinationales, elle est violée par la rupture annoncée de l’unité Sud-Américaine.
Dilma pourrait, si elle récupère la Présidence, gouverner par décrets, créer une nouvelle majorité au Congrès avec le poids du peuple dans la rue, former des organes populaires de mobilisation permanente, décréter la fin de la dictature des medias, ouvrir la véritable chasse aux corrompus et aux corrupteurs, aux traîtres à la patrie que sont les patrons et les juges, les politiques à la solde des intérêts internationaux les plus obscurs. On peut inaugurer une nouvelle République, plus ouverte, plus démocratique, plus avancée, unie aux BRICS, à UNASUR (Union des Nations Sud-Américaines), au CELAC (Communauté d’Etats Latino-américains et Caraïbes) et jeter à la poubelle de l’histoire tous les actuels et futurs putschistes.
La lutte se mène dans les rues, dans les institutions qui sont encore sur pied, dans la construction du Front de Gauche pour élaborer et établir un Projet de Nation, et dans la détermination de ne pas accepter de compromissions néolibérales ni d’ambigüités sociales. Ce n’est qu’un début ! Résistance et Projet !
Editorial du Journal REVOLUCAO SOCIALISTA, 15 mai 2016
www.revolucaosocialsista.org
LE PROJET DE TEMER RADICALISE LA GUERRE SOCIALE
Le programme économique du gouvernement installé par Temer, accélère la précarisation générale des travailleurs et la dénationalisation de l’économie. Ce projet néolibéral est une déclaration de guerre contre les travailleurs. Son profil, du point de vue du monde du travail, est démoniaque et producteur de tensions sociales croissantes et source de conflits politiques:
- suppression de droits du travail
- démantèlement de conquêtes sociales inscrites dans la Constitution sous prétexte d’ajustements budgétaires
- fixation de plafonds de dépenses dans les domaines de la santé et de l’éducation + privatisation de ces deux secteurs, en vue de détruire le système unique de santé, qui est une des conquêtes sociales les plus avancées du monde, selon l’ONU
- primauté des négociations sur les législations dans les relations capital-travail, qui réduisent la portée des lois du travail établies par Getulio Vargas (président nationaliste brésilien des années 1950), dans le but de développer l’industrialisation du Brésil et de garantir un fort marché intérieur de consommation
- suppression du salaire minimum comme facteur de réajustement des indemnités des retraités, pour le remplacer par la loi du marché dans les négociations salariales, c’est-à-dire précarisation radicale du pouvoir d’achat des travailleurs retraités
- privatisation de la sécurité sociale, augmentation de l’âge minimum pour prendre sa retraite, réduction des revenus disponibles pour la consommation
- blocage des ressources de la Banque de Développement (BNDES) pour les stériliser dans les caisses du Trésor public, sous prétexte de paiement d’intérêts de la dette, priorité numéro I du gouvernement intermédiaire
- accélération des privatisations et, en particulier, celle du pétrole dans le PreSal, en changeant les lois de répartition par des lois de concessions, fragilisation des politiques d’éducation qui étaient les bénéficiaires de la distribution des royalties
- privatisation de banques publiques et spécialement la Caixa Economica Federal, liée aux grands programmes d’investissements sociaux
- décapitalisation de la Banco do Brasil pour ouvrir son capital aux investisseurs extérieurs, et transformation de la BNDES en banque collectrice de ressources publiques pour des banquiers privés, sous forme de paiement d’intérêts de la dette publique.
Voilà l’ensemble de mesures préparées par le gouvernement putschiste de Temer, un projet inconstitutionnel, avec un contenu politiquement explosif.
(extraits du site Independencia Sulamericana, 26.5.2016)