Durant ces derniers mois l’ensemble de la gauche en France a montré dans la discussion autour des élections présidentielle et législatives de 2017 ses faiblesses, ses contradictions, ses différences de vision, pour finir par exprimer une position de bon sens à travers le vote majoritaire au soutien à la candidature de Jean-Luc Mélenchon. C’est une étape importante qui vient d’être franchie par les partis du Front de Gauche, notamment le PCF et Ensemble, mais qui ne signifie pas la fin de la bataille politique puisque ce soutien reste conditionné à trouver un cadre commun en dehors du mouvement de la France Insoumise.
En effet, ce mouvement créé par Jean-Luc Mélenchon, visant à intégrer le maximum de monde en dehors des cartels politiques qui existaient jusqu’à maintenant, laisse peu de place à l’expression des partis en tant que tels et annule de fait l’existence même du Front de Gauche. Il a élaboré une charte ayant un cadre rigide, posant des conditions spécifiques de fonctionnement comme l’obligation de mener campagne pour l’étiquette France Insoumise, de soutenir son programme « L’avenir en commun », d’imposer une discipline de vote en tant que groupe ou d’intégrer son association de financement de la campagne. Autant de points qui, avec quelques positions non partagées notamment au niveau de la politique européenne et internationale, ne faisaient pas de cette adhésion à la candidature de Jean-Luc Mélenchon une chose naturelle et logique pour les autres composantes de la gauche.
C’est en novembre que tout s’est joué, d’abord avec les militants d’Ensemble qui devaient voter pour la première fois depuis la création du parti – alors que toutes les décisions étaient prises jusqu’à présent au consensus – et prendre position par rapport à 3 options : soutenir la candidature de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle en poursuivant la construction d’une alliance plus large, s’inscrire dans la France Insoumise, ou bien attendre parce que les conditions n’étaient pas réunies. C’est la position pour le soutien à Jean-Luc Mélenchon qui a obtenu la majorité, avec 42% des votes, ce qui n’était pas évident suite aux âpres discussions qui ont eu lieu lors du Conseil National d’octobre et qui pouvaient laisser présager un risque d’explosion avec des groupes de militants déjà inscrits au sein de la France Insoumise.
C’est ensuite le vote des militants du PCF qui s’est exprimé fin novembre à 53,6% en faveur de l’option 1 pour le soutien à Jean-Luc Mélenchon tout en laissant au PCF son autonomie critique et constructive, alors que l’option 2 pour une candidature communiste indépendante recueillait 46,4%. Cette issue du vote des militants communistes n’était pas non plus gagnée d’avance, car lors de la Conférence Nationale du 5 novembre une majorité de la direction s’était prononcée à plus de 55% pour une candidature communiste, désavouant son secrétaire national Pierre Laurent favorable au soutien à Jean-Luc Mélenchon.
Ceci montre le poids de la base militante qui a été fondamentale dans le soutien aux luttes menées durant des mois dans la rue contre la Loi travail, qui a participé aux mobilisations unitaires des mouvements Convergence des luttes, Nuit debout, à la recherche de nouvelles formes collectives d’interventions et de résistances face à la politique d’austérité de ce gouvernement. C’est aussi le résultat du travail mené par l’Appel des 100 ou celui de Front Commun, incorporant l’ensemble des composantes politiques de gauche, des syndicalistes et des universitaires, qui n’ont pas arrêté de poser la nécessité de se battre dans le cadre d’un large mouvement unitaire pour un autre choix de société, une autre répartition des richesses et un nouveau projet économique, politique et social.
La gauche est en train de se réorganiser peu à peu, alors que la crise du Parti Socialiste s’approfondit de jour en jour. Elle s’exprime par le fait que 80 députés socialistes ont décidé de ne pas se représenter aux prochaine élections législatives, la moitié pour des raisons d’âge avancé mais l’autre moitié pour des raisons politiques. Ils préfèrent retourner à la vie locale plutôt que continuer une représentation nationale qui ne leur a apporté qu’humiliation et mépris, le sentiment de n’avoir servi à rien face à la volonté du gouvernement de passer ses réformes en force sur des sujets qu’ils ne partageaient pas, comme la déchéance de nationalité ou la loi travail. Mais c’est surtout la déclaration de François Hollande de ne pas se représenter à la présidentielle en 2017 suivie de la candidature de Manuel Valls qui ont été un catalyseur important.
La colère et le dégoût exprimés par ces 80 députés s’expriment aussi parmi une grande partie des militants qui ne croient plus à ce PS qui ne défend plus les valeurs socialistes. Le renoncement de François Hollande a été ressenti par certains comme un abandon et un lourd constat d’échec. La candidature de Manuel Valls quant à elle, très loin de susciter l’enthousiasme, est apparue comme une agression, lui qui se fait traiter de « Sarkozy bis », lui qui « a divisé la gauche avec la déchéance de nationalité » et a développé la théorie « des deux gauches irréconciliables », ne peut pas décemment incarner le candidat de l’ensemble de la gauche ! Même Martine Aubry déclare que « s’il y a deux gauches c’est qu’il y en a une qui est devenue de droite ».
C’est pourtant en tant que rassembleur que voulait apparaître le mouvement pour les primaires socialistes intitulé « La Belle alliance populaire ». Alors que la direction du PS pensait mobiliser 10.000 personnes lors de sa convention nationale, elle n’a pu en mobiliser que 3.000 et doit revoir à la baisse la prévision de participation au vote des primaires qui tournerait autour de 1,5 à 2 millions de personnes. C’est dans cette situation que surgit une nouvelle candidature, Vincent Peillon – ex ministre de l’éducation dont on n’a plus entendu parler depuis deux ans -, qui vient se poser en personnage de compromis entre une droite socialiste représentée par Manuel Valls et Arnaud Montebourg annoncé comme l’homme de la gauche du parti.
Le vote de ces primaires citoyennes auront lieu les 22 et 29 janvier 2017 et 7 candidats sont en lice pour la présidentielle : 4 pour le PS avec Manuel Valls, Arnaud Montebourg, Benoît Hamon et Vincent Peillon, 2 pour les Verts (en rupture avec Europe Ecologie les Verts – EELV, qui par ailleurs a son propre candidat à l’élection présidentielle) François de Rugy et Jean-Luc Benhamias et 1 pour le PRG (Parti Radical de Gauche) Sylvia Pinel. Ceci montre déjà l’étroitesse de cette « Belle alliance populaire » qui, contrairement aux objectifs de large rassemblement fixés lors de sa constitution, ne compte en dehors des socialistes que de petits partis de peu de poids. D’autre part, un représentant de la gauche socialiste, Gérard Filoche, ex inspecteur du travail, a été éliminé par la direction socialiste en faisant tout pour qu’il ne puisse pas obtenir le nombre de parrainages souhaités, au motif de « règles communes applicables » qui n’auraient pas été suivies et contre lequel il a entamé une action en justice.
Cette situation de crise profonde à l’intérieur du PS est le résultat de la politique libérale menée par François Hollande et son gouvernement, qui tend à transformer le citoyen en acteur économique, à considérer la société comme un immense marché qui n’aurait pour objectif que d’accroître la productivité, les profits, la concurrence. La question sociale n’est plus à l’ordre du jour puisque la question économique doit tout solutionner, y inclus un chômage qu’on nous montre en baisse sur des graphiques alors qu’il ronge la société, tout comme l’extension de la pauvreté, de la précarité et des inégalités. Ceci s’accompagne de mesures sécuritaires, d’atteintes aux libertés fondamentales, d’un Etat d’urgence constamment renouvelé, parce que pour se maintenir et assurer sa domination ce système a besoin de s’armer contre toutes formes de résistance citoyenne, comme il a besoin de mener des guerres et d’intervenir militairement au sein de l’OTAN, ce qu’il fait depuis des années du Mali jusqu’au Moyen-Orient.
C’est ainsi également qu’on a vu entrer en campagne le mouvement « En marche » créé par Emmanuel Macron, bras droit de Manuel Valls au gouvernement pendant un temps. Il est devenu un phénomène médiatique, celui de la « modernité », et se place comme l’homme providentiel dans une situation où il n’y aurait plus de clivage entre la gauche et la droite. Son 1er meeting de campagne qui s’est tenu à Paris le 10 décembre a mobilisé 12.000 personnes, venant pour une partie des déçus du Parti Socialiste et de jeunes centristes de l’UDI. C’est Emmanuel Macron qui, à travers différentes lois qui portent son nom, passées en force à l’Assemblée Nationale, a contribué entre autres choses depuis août 2015 à la privatisation des transports et à la création de ce qu’on a appelé les « bus Macron ». Il a permis à des entreprises d’autocars européennes de s’implanter sur le marché français, en proposant des tarifs très bas, afin de concurrencer le monopole de la SNCF. 15 mois après 50% de ces nouveaux opérateurs ont disparu du paysage et l’une de ces entreprises, Megabus, numéro un au Royaume-Uni, se retrouve en cessation d’activité et s’apprête à licencier 175 salariés !
Pendant ce temps la droite reprend du terrain et se recompose. Des primaires est sorti le candidat François Fillon, celui que personne n’attendait, avec une participation de plus de 4 millions de votants. Il représente le secteur de la vieille droite conservatrice catholique, celle de la « manif pour tous » qui s’oppose au mariage mixte et au droit à l’avortement, pas très éloignée des positions du Front National. Le programme qu’il annonce s’attaque à la Sécurité sociale, aux syndicats et notamment la CGT, il veut réduire de 100 milliards les dépenses publiques et annoncent 500.000 licenciements dans la fonction publique, il dénonce les chômeurs et leurs allocations, pose de nouvelles conditions pour l’immigration et veut réviser le droit du sol, il veut supprimer les 35h et retourner aux 39h sans augmentation de salaire, abolir l’impôt sur la fortune, réduire les cotisations patronales et porter l’âge de la retraite à 65 ans.
Le bilan des nouvelles majorités à la tête des régions, recomposées par la réforme territoriale, où la droite s’est imposée lors des élections de 2015, doit nous aider à comprendre vers quoi nous allons si nous laissons le champ libre à la droite et à l’extrême droite. Des reculs importants sont constatés dans ces régions en matière de santé, de transport, de culture. Ces nouvelles équipes régionales ont appliqué partout la même politique : réduction des dépenses publiques, réduction des budgets aux associations et aux partenaires sociaux, destruction des emplois, élimination des mesures sociales concernant en premier lieu les jeunes, développement des aides aux entreprises et à l’enseignement privé, refus de prendre en compte les règles environnementales…
Les médias affichent déjà que François Fillon serait en tête des intentions de vote des français lors de l’élection présidentielle de 2017. Cependant certains sondages comme le dernier de l’IFOP révèlent que 72% de la population ressentirait une grande inquiétude face au programme ultralibéral de François Fillon, qui signifie le démantèlement d’une grande partie des avancées sociales gagnées par les luttes de la classe ouvrière, et en particulier notre système de Sécurité sociale.
Cette tendance est en partie confirmée par le succès qu’obtient le film de Gilles Perret « La sociale » qui retrace les 70 ans de cette conquête d’après guerre et du Conseil National de la Résistance que fut notre système de Sécurité sociale, qui aboutira à l’ordonnance de 1945 instituant la Sécurité sociale et aux lois de 1946 sur sa généralisation et les allocations familiales, que l’on doit au ministre du travail communiste de l’époque Ambroise Croizat. C’est grâce à ce militant au service des autres qu’ont été également mis en place les comités d’entreprises, la formation professionnelle, la médecine du travail, le statut des mineurs, des électriciens et des gaziers, de la fonction publique, etc. Ce sont des millions de gens qui l’ont accompagné lors de ses funérailles à Paris en février 1951 alors que l’histoire officielle avait tout fait pour l’oublier !
A l’heure où sont remis en question les principes de solidarité de notre système social, avec la privatisation de notre système de santé, la réforme des minima sociaux, de l’organisation du travail et tant d’autres conquêtes, il est important de redéfinir les valeurs de la gauche. L’échéance électorale de 2017 n’est pas l’objectif déterminant en soi, par contre ce qui l’est c’est le travail sur le terrain pour faire avancer les valeurs de la gauche, les choix de société définis par le programme de transformations économiques et sociales, quel que soit le nom qu’on donne à ce programme, et les combats à mener pour les imposer face à une droite et à une extrême droite que nous ne voulons pas.
30 décembre 2016