Du 22 au 24 octobre 2024 s’est déroulée à Kazan la 16e Conférence des BRICS, groupe de 5 pays fondé en 2009 par le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Le groupe des BRICS s’est agrandi de l’Iran, l’Egypte, les Emirats Arabes Unis, l’Ethiopie, l’Arabie Saoudite, et cette nouvelle conférence intègre de nouveaux partenaires comme la Turquie, Cuba et la Bolivie.
Le Venezuela était candidat pour intégrer les BRICS mais Lula, président du Brésil, a refusé son intégration. Ce veto est une des expressions des problèmes de concurrence que ces pays très différents d’un point de vue économique et social vont devoir affronter. Une des difficultés sera de trouver ensemble une planification commune sans qu’il y ait une remise en question du système capitaliste.
Nous publions ci-dessous deux points de vue qui nous semblent intéressants : un article d’un journaliste de la télévision communautaire Telesur donnant une explication du veto de Lula contre l’entrée du Venezuela dans les BRICS, ainsi qu’une déclaration du Réseau de défense de l’humanité contre ce veto du Brésil.
Le veto du Brésil au Venezuela et les vraies raisons de la diplomatie de la punition
« Abus de confiance ». Par cette phrase, le conseiller spécial international de la présidence, l’ancien ministre des Affaires étrangères Celso Amorim, entend justifier le veto du Brésil à l’entrée du Venezuela dans l’alliance des BRICS, qui compte désormais 13 nouveaux partenaires, dont deux partenaires latino-américains, Cuba et la Bolivie. Mais quels sont les critères pour le veto du Brésil ? S’agit-il d’un veto punitif ? Il convient de rappeler qu’il y a quelques mois, lorsqu’il a reçu le président Nicolás Maduro à Brasilia, le président Lula a soutenu la demande du Venezuela d’adhérer aux BRICS. Qu’est-ce qui justifierait un changement aussi radical dans la diplomatie brésilienne ?
Il ne fait aucun doute que le gouvernement brésilien aura de nombreuses divergences en politique internationale avec les gouvernements de l’Arabie saoudite et de la Turquie, par exemple. Le président turc Erdogan a été accusé en grande pompe d’avoir organisé un coup d’État préventif pour se défendre contre une tentative de coup d’État déstabilisateur parrainée par les États-Unis pour le déloger du pouvoir, comme cela s’est produit au même moment avec l’ancienne présidente Dilma Rousseff, qui a été destituée sans pratiquement aucune réaction, contrairement au gouvernement turc.
Rien de tout cela ne constitue un abus de confiance pour la diplomatie brésilienne à l’égard du nouveau partenaire des BRICS. Que dire de la confiance d’Itamaraty (1) dans le gouvernement saoudien, accusé de ne pas soutenir sincèrement la cause palestinienne, si chère à la diplomatie brésilienne ? L’Arabie saoudite a également rejoint les BRICS, sans objection brésilienne.
Oxygène solidaire
Itamaraty inaugure-t-il une diplomatie de la punition ? Le Venezuela bolivarien a été la cible constante de coups d’État, de sabotages, d’agressions, de sanctions et de mesures coercitives qui ont drastiquement coulé son économie, avec de graves conséquences sur le niveau de vie des Vénézuéliens et nuisant à ses remarquables programmes sociaux. Parmi les agresseurs, on retrouve l’innommable Jair Bolsonaro. Cela n’a pas empêché le Venezuela bolivarien d’envoyer des tonnes d’oxygène solidaire pour sauver des milliers de vies brésiliennes en Amazonie, lorsque cet État devenait un cimetière à ciel ouvert en raison de la négligence criminelle du gouvernement Bolsonaro, qui prévoyait même de participer à une invasion du pays voisin.
Lorsque Lula a été injustement emprisonné, l’un des pays qui a le plus défendu l’innocence de Lula, avec Cuba, devant les médias internationaux guidés par la Maison Blanche, était le gouvernement de Nicolás Maduro ! Ce même critère de diplomatie punitive a déjà été appliqué au Nicaragua, autre veto latino-américain d’Itamaraty, qui, comme le Venezuela, peut se targuer d’excellentes relations avec la Russie, la Chine et l’Iran, ce qui irrite la Maison Blanche.
Mais en ce qui concerne Israël, n’y a-t-il aucun signe d’un changement dans la position du Brésil, qui continue d’envoyer du pétrole et de la viande pour maintenir en marche la machine israélienne de meurtres de Palestiniens et de Libanais ? Quels sont donc les critères pour punir un pays qui pourrait être le meilleur partenaire du Brésil dans l’intégration de l’Amérique du Sud, en violation de la Constitution brésilienne elle-même, qui établit le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d’autres pays, le respect de l’autodétermination des peuples et la construction d’une communauté des nations latino-américaines ?
Le véritable critère du veto du Brésil est que le Venezuela possède les plus grandes réserves de pétrole au monde et que les États-Unis font pression pour leur privatisation. Ils n’acceptent pas qu’un pays doté d’un tel potentiel énergétique se coordonne avec la Russie, la Chine et l’Iran, renforçant ainsi les pays du Sud, ce qui contredit le discours du président Lula lui-même aux BRICS.
Le veto brésilien – négocié par l’ambassadeur de Bolsonaro, Eduardo Saboya – sert les intérêts de la doctrine Monroe des États-Unis, toujours en cours de mise à jour. Après tout, s’ils ont réussi à obtenir du Brésil qu’il dénationalise le Presal – une dénationalisation obtenue après le coup d’État contre Dilma et l’emprisonnement de Lula – ils veulent maintenant aussi dénationaliser le très riche bassin pétrolier de l’Orénoque. C’est le vrai critère du veto brésilien !
Enfin, pour comprendre le contexte de la position du Brésil, il suffit de citer les déclarations de la générale Laura Richardson, chef du commandement sud de l’armée américaine, qui a déjà fait des commentaires critiques sur la coopération croissante du Brésil avec la Chine, qui ont eu de vives réactions, non pas d’Itamaraty, mais de l’ambassade de Chine au Brésil. Selon le chef militaire américain, « notre région », a-t-il dit, « possède les plus grandes réserves de pétrole léger et non corrosif, découvertes au large des côtes du Guyane il y a plus d’un an. Il possède également les ressources du Venezuela en pétrole, en cuivre, en or. Nous avons l’Amazonie, 31 % des réserves mondiales d’eau douce se trouvent également dans cette région ».
De Beto Almeida pour Telesur – 26 octobre 2024
Déclaration du Réseau de défense de l’humanité sur le veto du Brésil au Venezuela au Sommet des BRICS 2024
Le Réseau des intellectuels et artistes pour la défense de l’humanité (2) condamne la décision du gouvernement brésilien de mettre son veto à l’incorporation du Venezuela en tant que pays associé au bloc des BRICS.
Nous considérons que cette décision retarde l’avancement du projet d’intégration et de résistance des pays d’Amérique latine et des Caraïbes avec le reste des nations du Sud, pour faire face aux politiques néocoloniales de l’impérialisme américain et européen, ainsi qu’aux risques liés aux actions guerrières et impunies de l’OTAN.
En ce sens, le veto du Brésil contre le Venezuela implique l’existence d’un mécanisme méprisable de pression de la part des États-Unis. Les États-Unis et leurs partenaires internationaux ont été confrontés au gouvernement brésilien au pouvoir, montrant l’extrême fragilité ou complicité de ce gouvernement face aux forces conservatrices internes, ce qui l’amène à agir selon les diktats de la droite nationale et internationale.
Le veto contre le Venezuela indique que le gouvernement brésilien ne cède pas seulement à la pression de Washington pour exclure le Venezuela d’une articulation internationale qui le lierait, de manière coordonnée et programmatique, à une sphère de pouvoir de forces alternatives, déterminée à organiser et à rendre possible un nouvel ordre mondial et un nouvel équilibre, mais démontre également son désaccord avec le reste des puissances fondatrices des BRICS à l’égard du Venezuela.
Avec cette position hostile à l’égard du Venezuela, le Brésil va à l’encontre de sa propre déclaration publiée lors de la vidéoconférence des BRICS du 23/10/2024, où il a été exprimé que l’une des priorités serait le renforcement des pays du Sud. Cependant, mettre son veto à l’inclusion dans les BRICS du pays qui possède les plus grandes réserves de pétrole au monde et un ensemble de politiques et de programmes cohérents qui composent la révolution bolivarienne, contredit la position d’être en faveur du renforcement du Sud global.
La même déclaration appelle également à la mise en place de politiques financières qui réduiront le poids du dollar dans l’économie mondiale, ainsi que son utilisation comme arme financière de guerre contre les pays, ce qui fait que le Venezuela, victime des mesures coercitives unilatérales (guerre économique) imposées par le gouvernement des États-Unis, est une victime du gouvernement des États-Unis. Les États-Unis et leurs alliés sont parmi les pays les plus impliqués par cette forme d’agression. Pourquoi alors interdire au Venezuela d’avoir l’occasion historique de se coordonner avec une politique de confrontation avec les effets financiers dictatoriaux de l’unilatéralisme ?
La politique étrangère brésilienne enregistre des conflits, des divergences et des différences avec plusieurs pays sur la scène internationale, y compris avec certains qui sont dans le champ d’application des BRICS, ce qui rend encore plus absurde un veto sélectif contre le Venezuela et aussi contre le Nicaragua. Cet autre pays a mérité une action de persécution de la part du gouvernement brésilien avec l’expulsion de l’ambassadeur sandiniste de Brasilia, ce qui génère des conflits supplémentaires avec des pays qui, en Amérique latine, mènent une résistance héroïque et cohérente aux agressions programmées par les États-Unis.
Pour tout ce qui précède, nous appelons le gouvernement du Brésil à rectifier une ligne de conduite qui ne profite qu’à l’impérialisme américain et à ses associés, et à ne pas continuer à se joindre à la campagne internationale de diffamation et d’isolement contre le Venezuela bolivarien.
Depuis plus de deux décennies, le Venezuela est un acteur clé dans la lutte pour un monde multipolaire, possédant des ressources naturelles stratégiques et l’un des pays les plus attaqués par la logique unilatérale. La création de la CELAC, de l’UNASUR et de l’ALBA ne peut être comprise sans leur leadership.
Le Venezuela joue un rôle fondamental dans l’intégration des pays du Sud et est un acteur géopolitique majeur, qui peut et doit jouer un rôle de premier plan dans la construction d’un nouveau monde multipolaire. À cette fin, son entrée dans les BRICS est une étape fondamentale.
*Notre Amérique, 26 octobre 2024.*
Photo de Une : Une des photos des chefs d’Etats prises à la fin de la Conférence des BRICS à Kazan
Notes :
1 – Le Palais d’Itamaraty est le lieu où siège le Ministère des Affaires étrangères du Brésil
2 – le Réseau des intellectuels et artistes en défense de l’humanité a été créé par Fidel Castro et Hugo Chavez. Le REDH défend l’unité latino-américaine et mène la bataille des idées contre les prétentions hégémoniques de l’impérialisme US.