Le retrait de l’armée de coalition États-Unis-OTAN d’Afghanistan est un échec de l’impérialisme. Échec de ses objectifs politiques d’utiliser un État, l’Afghanistan, comme instrument de déstabilisation et de provocation envers la Chine, la Russie et l’Iran. Il n’a pas réussi à s’approprier les immenses richesses de l’Afghanistan, ce qui lui aurait permis un avantage concurrentiel avec l’UE, le Japon et la Chine. Et enfin, il a affaibli son influence en tant que leader du camp capitaliste.
L’invasion de 2001 sous prétexte de « guerre contre le terrorisme » a été une débâcle totale. Les États-Unis n’ont pas eu l’intérêt ou la capacité de développer une base sociale dans la région, ce qui lui aurait permis d’exploiter le pays, non seulement en moins de temps et de façon plus efficace, mais d’exploiter ses richesses sur des bases capitalistes en gouvernant l’économie. Ils ont décidé au contraire le pillage et la déstabilisation par la voie militaire et se sont affaiblis militairement parce qu’il est impossible de décider sur tant de fronts. La sortie a été précipitée laissant le matériel de guerre et sanitaire à l’abandon.
Le bilan de cette guerre a été négatif pour le gouvernement américain qui a investi des millions de dollars, a subi de nombreuses pertes dans l’armée et a laissé derrière lui des villes rasées, la mort de civils, la misère et la faim parmi la population, sans aucune structure pour le développement de l’économie et de la société. La seule activité a été la culture de l’opium à laquelle se sont consacrés les seigneurs de la guerre et les talibans qui l’exportaient au-delà des frontières, notamment de Turquie et du Pakistan, ou l’échangeaient contre des armes avec l’armée américaine qui le faisait transiter par l’intermédiaire de ses bases et celles de l’OTAN.
Le Moyen-Orient a été un trou noir pour l’échiquier américain car il a dépensé plus de 6 milliards d’euros pour les guerres de la région avec des résultats négatifs. La défaite en Syrie, l’échec de l’Arabie Saoudite dans la guerre au Yémen, la perte de contrôle de l’Irak, la tension constante entre la Palestine et Israël, ainsi que la sortie de l’Afghanistan, ont fait perdre à l’impérialisme l’initiative et toute autorité sociale et politique.
Dans ces guerres, les mercenaires – combattants engagés par de grandes entreprises qui remplaçaient l’armée américaine dans les fonctions les plus sales (répression, meurtre, torture)- ont joué un rôle important. Ils représentaient des forces paramilitaires entraînées et bien armées. Ce sont ces entrepreneurs et les fabricants d’armes qui se sont enrichis dans cette guerre. Ceci réaffirme une conclusion qui s’enseigne dans les académies militaires : dans la guerre l’armée doit intervenir, mais ce qui décide c’est l’infanterie ! Avec des mercenaires Anibal a perdu les guerres puniques, les USA ont perdu la baie des Cochons à Cuba, et maintenant ils perdent l’Afghanistan.
Au lieu de cela, l’armée afghane, sans aucune forme de préparation et de motivation et en grande partie analphabète, n’a été soutenue que par les troupes de la coalition. Face à l’avancée des talibans elle s’est rapidement désintégrée. On ne peut prétendre que cette armée défende un gouvernement qui a été imposé par les États-Unis, dont la qualité la plus importante était la corruption et qui a rapidement fui face à l’avancée des talibans.
Malgré ce retrait, les États-Unis et l’OTAN vont alimenter des actions terroristes comme celle qui s’est produite à l’aéroport de Kaboul et relancer Al-Qaïda et l’Etat islamique, parce qu’il doit maintenir un climat de tension et de terreur pour tenter d’éviter, ce qui est inévitable, l’influence dans la région de l’Iran, de la Chine et de la Russie.
De l’étape socialiste au retour des talibans
Il est très important de différencier ce qu’est une invasion d’une intervention. L’invasion américaine a balayé l’Afghanistan et entravé son développement, tandis qu’en 1979 l’intervention de l’Union Soviétique a soutenu le gouvernement de Kaboul dirigé par les communistes, qui ont impulsé un programme de transformations sociales dans le pays.
En 1978, une révolution populaire menée par le Parti Démocratique Populaire d’Afghanistan s’insurge contre une monarchie au bord de l’agonie, soutenue par les Anglais et les Américains. C’est là que tombe Mohammad Dust, cousin du roi Zahir Shah. Les grands journaux nord-américains révèlent la surprise de ce pouvoir et le caractère populaire de la révolution, avec des centaines de milliers d’Afghans qui gagnent la rue en soutien au nouveau gouvernement.
Les présidents successifs Taraki, Amin, Karmal et Najibula, ont mis en œuvre et développé une série de mesures favorisant la participation et le développement social, politique et économique du pays. Ils ont éliminé l’usure, qui favorisait les paysans, poussé une campagne d’alphabétisation, mis en œuvre une réforme agraire profonde. Ils ont séparé l’État de la religion, éliminé la culture de l’opium, légalisé les syndicats et adopté une loi sur le salaire minimum. Ils ont promu l’égalité des droits pour les femmes, en les intégrant au travail et à l’université. Il n’y a jamais eu autant de femmes universitaires et professionnelles qu’à ce stade du gouvernement populaire. Le taux de mortalité infantile a diminué, une grande partie de la population des villes ayant accès aux services de santé. Le nombre de médecins a augmenté et l’espérance de vie est passée de 33 à 42 ans.
Ces mesures ont réduit l’analphabétisme féminin et les compagnes se sont intégrées non seulement à l’activité économique mais aussi à la défense du processus révolutionnaire. La RAWA a été créée, organisation qui persiste aujourd’hui dans sa lutte pour la défense des revendications des femmes.
L’impérialisme a alimenté l’opposition des soi-disant moudjahidines en leur fournissant des armes et des moyens. Les États-Unis ne pouvaient pas permettre qu’une expérience d’un programme socialiste s’affirme et s’étende en Afghanistan, influençant les autres pays de la région.
L’intervention soviétique visait à stimuler et à soutenir un processus de transformation socialiste dans le pays. A aucun moment il n’y avait l’intention d’annexer ou de dominer, mais de soutenir le programme de transformation sociale et le développement culturel et social de l’Afghanistan. Le retrait de l’armée soviétique n’a pas été dû à une défaite militaire mais à la conjoncture mondiale et à la crise dans la direction de l’État ouvrier. La pression mondiale, l’éloignement et la critique des principaux partis communistes, étaient importants, mais ce qui a décidé fut la perte de confiance d’un secteur de la direction de l’Union Soviétique dans l’importance de l’expérience afghane, dans l’État ouvrier et dans la lutte pour le socialisme. La crise de l’URSS et le retrait de l’armée soviétique ont précipité la fin de cette phase de développement de l’Afghanistan. Mais même, dans ces conditions, le gouvernement populaire est resté trois ans de plus. Sa chute en 1992 a fait reculer toutes les conquêtes réalisées.
Le gouvernement taliban est une minorité dans le pays
Cette situation en Afghanistan reflète une crise aiguë de l’impérialisme et de ses alliés dans cette aventure militaire. Ils se replient pour préparer d’autres interventions et la guerre, mais ils le font toujours plus dans les pires conditions, très affaiblis, car ils se trouvent isolés et perdent des points d’appui. Ses références dans la région sont aujourd’hui Israël, l’Arabie Saoudite vaincue dans la guerre au Yémen, la Turquie, le Qatar et une OTAN où s’expriment des divergences. Cela signifie une structure insuffisante pour cette aggravation de l’affrontement mondial, qui a pour objectif de faire du pays afghan une enclave pour soutenir sa politique de provocation constante dans la région.
Par ailleurs, une opposition grandit à la toute-puissance des talibans dans le pays. La résistance de Massoud à l’est et les mobilisations des femmes dans certaines villes indiquent que les étudiants coraniques ne sont pas majoritaires et qu’ils dominent grâce au pouvoir découlant de l’accord de Doha.
Les accords conclus par les talibans avec la Chine, la Russie et l’Iran, sont importants parce qu’ils se font sur la base des besoins économiques du peuple afghan auquel les talibans, sans le soutien direct des États-Unis, devront céder. Après 20 ans de guerre, les talibans doivent faire face à des tâches pour lesquelles ils ne sont pas préparés, réorganiser l’économie du pays, et pour cela ils auront avant tout tendance à trouver une place dans une nouvelle division internationale du travail, où l’échange économique se fait dans le respect réciproque des partenaires. Sans l’ingérence des États-Unis, de grandes perspectives de développement économique et culturel s’ouvrent à la société afghane, qui conditionnerait les talibans à entrer dans le XXIe siècle ou à disparaître.
La guerre a touché une grande partie de la population qui vit dans la pauvreté. Le principal moyen de subsistance est l’agriculture de subsistance, à travers la culture du blé, du maïs, de l’orge, du riz, des légumes, des noix, du tabac et du coton. L’invasion américaine en 2001 a incité de nombreux paysans à se tourner vers la culture du pavot (opium) pour en tirer davantage de profits.
L’Afghanistan est un pays très riche en minéraux, dont le chrome, le zinc, le cuivre, le béryllium, l’or, l’argent, le lithium et les terres rares, ainsi que le pétrole et le gaz. Il n’a pas besoin de l’opium pour développer son économie et les conventions signées en particulier avec la Chine vont dans ce sens : exploiter ses richesses. Mais cela doit s’accompagner de l’exigence de maintenir les droits acquis par les femmes et l’ensemble de la population et d’un programme de développement qui tienne compte des besoins fondamentaux de la population : routes, services publics, hôpitaux, établissements scolaires, logement, pour améliorer les conditions de vie des Afghans, approfondir leurs droits démocratiques et sortir le pays de l’arriération et de la pauvreté dans lesquels cette guerre impérialiste l’a plongé.
Les Posadistes – 14 septembre 2021