La France vient de vivre avec l’élection présidentielle et les élections législatives une situation tout à fait inédite : l’explosion des partis politiques traditionnels et la recomposition de l’ensemble du champ politique autour de mouvements, à droite comme à gauche.
Cette situation est le résultat des 5 années de gouvernement menées par les socialistes et caractérisées par le renoncement de François Hollande à son programme de 2012 et une régression politique et sociale, la prise de mesures libérales comme la continuation de la destruction du patrimoine industriel, la réforme territoriale, la réforme du Code du travail, ou la concentration du pouvoir, l’instauration de l’Etat d’urgence et le déploiement des forces militaires dans de nombreux pays. Ces 5 années ont fait du PS un parti déchiré qui d’élection en élection a subi des pertes immenses de militants et d’élus et a vu son aile gauche menant la fronde au parlement contre de nombreuses mesures.
C’est dans ce contexte politique, après bien des luttes du mouvement social en 2016 qui n’ont débouché sur aucune avancée majeure, que l’année 2017 a débuté dans une certaine morosité et une grande incertitude pour la gauche, celle-ci peinant à redéfinir un programme et des formes de luttes nouvelles dans un objectif de rassemblement. La création en février du mouvement de la France Insoumise par Jean-Luc Mélenchon, sur la base du Parti de Gauche, comme seule issue possible à gauche pour le pays, a semé le doute et la division parce que l’alternative proposée était trop étroite : il fallait d’une part accepter la mort du Front de Gauche et d’autre part rallier ce mouvement en remettant en cause sa propre identité en tant que parti politique.
Malgré de nombreux appels pour faire un front commun de certains secteurs de la gauche, dans une volonté d’inverser le rapport de forces et de pouvoir mener un programme de transformation économique et sociale, le rassemblement n’a pu avoir lieu au niveau national. Seules des unions ont pu s’effectuer localement pour les législatives selon l’histoire et les relations entretenues entre les différents courants, permettant une dynamique très intéressante dans certaines régions parce que, pour la première fois depuis très longtemps, il était possible de voter pour un programme de transformation de la société et non en opposition à l’extrême droite.
A droite la situation n’a pas été meilleure. Le parti Les Républicains a montré ses dissensions au travers de sa campagne des primaires, qui a vu tour à tour l’élimination de Nicolas Sarkozy et celle de son leader Alain Juppé au profit de François Fillon en tant que candidat à la présidence, celui-ci représentant un secteur de la vieille droite catholique et bourgeoise, celui de la « manif pour tous » qui a mené la lutte contre le mariage homosexuel.
C’est dans ce contexte de division et d’affaiblissement de la gauche et de la droite qu’Emmanuel Macron quitte son poste au gouvernement pour constituer son mouvement En Marche qui va lui permettre de se porter candidat à l’élection présidentielle. Pur produit du système néolibéral, il s’est inventé un mouvement qui se dit n’appartenir à aucun parti, ni de gauche ni de droite, cherchant à allier classes moyennes et patronat. Il développe son discours sur la base des campagnes publicitaires et de marketing, relayé par l’ensemble des médias, en montrant une certaine image du changement mais avec pour objectif d’aller plus à fond dans une politique néolibérale, avec un programme de réformes qui seront adoptées par ordonnances, ce qui ne laisse que peu de place à la discussion démocratique de l’Assemblée Nationale.
L’élection présidentielle des 23 avril et 6 mai 2017
Le premier tour de l’élection présidentielle a vu l’élimination des deux grands partis de gouvernement que représentaient le Parti Socialiste et Les Républicains, ne laissant pour le second tour que le mouvement de la République En Marche d’Emmanuel Macron face au Front National. Au second tour, la pression quotidienne des médias contre le parti d’extrême droite, jouant sur la peur de le voir diriger le pays, alors que les politiques libérales servent de terreau à son développement, a permis la victoire d’Emmanuel Macron avec la participation de 80% des électeurs. Mais cette victoire doit être mesurée par rapport au nombre de voix obtenues : un peu plus de 20 millions (soit 43,6% des inscrits) pour Emmanuel Macron et un peu plus de 10 millions pour Marine Le Pen sur 47 millions d’électeurs, alors que les abstentions et les votes blancs et nuls, dont la signification est très politique, ont obtenu aux alentours de 12 millions de suffrages.
Il est à noter que la gauche représentée par Jean-Luc Mélenchon et son mouvement France Insoumise a eu un développement spectaculaire en récoltant un peu plus de 7 millions de voix, avec des scores très importants notamment dans les quartiers populaires des grandes villes (qui ont pu dépasser 40%), et ce malgré une campagne de calomnie et de dénigrement à dix jours du premier tour du scrutin. En effet les sondages passant d’un coup de 10% à 20% la bourgeoisie et le patronat ont montré leur affolement en dénonçant le « Chavez français », le « révolutionnaire communiste », « le pro Poutine et défenseur des régimes totalitaires »… François Hollande s’est aussi mis de la partie en ne parlant plus de la menace de l’extrême droite mais du péril du programme de Jean-Luc Mélenchon.
A l’extrême droite les prévisions du Front National ont dû être revues à la baisse alors qu’il espérait un élargissement beaucoup plus important de son électorat. Il a cependant élargi son nombre de voix lors de cette élection présidentielle (un peu plus de 3 millions supplémentaires), avec le ralliement d’une partie de la vieille droite catholique antérieurement proche des Républicains.
A droite le parti Les Républicains a montré l’ampleur de sa crise avec la mise en lumière des affaires de corruption, de détournement de fonds publics et d’abus de biens sociaux du candidat François Fillon, qui a continué comme si de rien n’était sa propre campagne pour la présidence. Cette situation a précipité la rupture à l’intérieur de ce parti, un secteur se ralliant ouvertement au mouvement de la République En Marche d’Emmanuel Macron.
Au Parti Socialiste, la décision de François Hollande de ne pas se représenter à la présidence et les primaires internes qui ont suivi, ont accéléré l’élimination des grands leaders comme Manuel Valls et vu la percée de la gauche socialiste avec la victoire de Benoît Hamon. La base du parti a démontré par ce choix le rejet des cinq années de gouvernement socialiste. La victoire de Benoît Hamon aux primaires du PS a exprimé la rupture très profonde entre une social-démocratie incapable de réformer le système capitaliste et les aspirations socialistes qui n’acceptaient pas entre autres choses les réformes du Code du travail, le recul des libertés individuelles et collectives avec l’instauration de l’Etat d’urgence, ou l’incapacité à renverser la courbe du chômage. Le résultat de cette crise a été d’un côté le départ d’un certain nombre de responsables du PS et leur ralliement au mouvement d’Emmanuel Macron et de l’autre le développement d’une bataille acharnée de ces mêmes dirigeants contre leur propre candidat à l’élection présidentielle, c’est-à-dire un sabordage en règle du parti lui-même.
Les élections législatives des 11 et 18 juin 2017
La campagne contre les partis traditionnels et les appareils s’est poursuivie par la mise en place du gouvernement et dans la préparation des élections législatives. Emmanuel Macron a choisi un premier ministre venant du parti Les Républicains, accentuant leur crise interne. A gauche, malgré de nombreuses tractations, aucune plateforme commune n’a pu être créée au niveau national entre France Insoumise, les partis du Front de Gauche (PCF – Ensemble) ni même la gauche socialiste menée par Benoît Hamon, prenant le risque d’une démobilisation des militants ou d’une sanction politique des électeurs par une abstention massive. C’est en partie ce qui a été le cas avec une abstention record de 57,4%. Cependant, des formes de résistance ont pu exister dans certaines régions avec des unions entre candidats, permettant l’élection d’un peu plus de députés de gauche que ce qu’avaient prévu les sondages.
Il s’agissait de voter les 577 députés siégeant à l’Assemblée Nationale. Le mouvement d’Emmanuel Macron et ses alliés centristes du Modem totalisent 350 sièges et ont par conséquent une confortable majorité qui lui confère les pleins pouvoirs. Mais ces élections n’ont pas eu le résultat escompté par Emmanuel Macron d’un vote de masse en faveur des députés de la République En Marche. Elles ont constitué une nouvelle physionomie pour l’Assemblée Nationale, avec des députés élus avec moins de 43% des électeurs, c’est dire que même si Macron a les pleins pouvoirs, sa légitimité est de toute façon remise en cause par une grande partie de l’électorat.
La plupart de ces nouveaux députés, soi-disant représentant la société civile, est composée de cadres d’entreprises privées et de membres de professions libérales. Ils ont été triés sur le volet et sélectionnés selon des critères stricts de probité, de pluralisme politique, après épluchage de leur dossier et des entretiens d’embauche dignes des meilleurs responsables des ressources humaines. Ils n’ont eu pour la plupart aucun mandat antérieur et arrivent donc à l’Assemblée Nationale « vierges » de toute fonction élective, ce qui oblige le gouvernement à les faire passer par une formation accélérée. Mais cette sélection est loin d’être le gage d’un gouvernement débarrassé de la corruption ou des « affaires » puisque quelques jours après sa constitution certains ministres devaient déjà laisser leur place parce qu’ils étaient soupçonnés de malversations.
La droite n’a obtenu que 136 sièges contre 199 en 2012, le Parti Socialiste n’a pu sauver que 45 sièges des 292 qu’il avait obtenus en 2012. Quant à la gauche – France Insoumise et les partis du Front de Gauche – elle totalise 27 sièges dont 11 pour le PCF, après avoir fait une remontée spectaculaire face au candidat d’En Marche dans de nombreux centres décisifs, soit un nombre de députés supérieur aux élections précédentes.
Quelles perspectives pour la gauche ?
Aujourd’hui la question qui est posée est celle de savoir de quelle façon va se faire la recomposition de la gauche et les moyens dont elle disposera pour construire un nouveau front social.
Les élections législatives ont démontré l’existence d’une réelle volonté de changement de la part d’une grande partie de la population. Celle-ci a exprimé à travers les abstentions et les votes blancs et nuls, mais aussi à travers son vote pour France Insoumise, une forte volonté de dépasser les clivages et les dissensions entre ce mouvement et les autres partis politiques de gauche. Il y a eu une centralisation des voix sur les candidats de France Insoumise au 2e tour, les seuls à pouvoir unifier le vote de la gauche sur un programme de transformation économique et sociale, surtout dans les endroits où il était possible de battre le candidat de La République En Marche.
Ces élections ont également fait la preuve que les voix allant au Front National sont l’expression d’une forme de protestation conjoncturelle, car même si le parti d’extrême droite augmente son audience dans certains lieux particuliers comme par exemple en milieu rural, il est en régression dans ces élections législatives, contredisant cette idée que la classe ouvrière voterait à l’extrême droite. Alors que son nombre de voix était de 7,8 millions au 1er tour de la présidentielle, il n’est plus que d’un peu moins de 3 millions au 1er tour des législatives. C’est donc l’inverse qui s’est exprimé ici, avec une forte augmentation des votes pour France Insoumise dans les quartiers les plus populaires des grandes villes.
En troisième lieu l’apparition d’un personnage comme Emmanuel Macron, construit à partir de presque rien, montre toute la profondeur de la crise et de la décomposition de la bourgeoisie, qui ne peut plus faire confiance à ses organisations traditionnelles et doit avoir recours à une nouvelle image pour faire les réformes dont elle a besoin. Il faudra suivre l’évolution d’un tel mouvement, composé de gens très hétéroclites, à qui on demande d’être présents pour approuver des mesures qu’ils n’auront pas forcément discutées : l’absence de démocratie peut avoir ses limites !
C’est sur ces éléments qu’il faut se baser pour reconstruire une nouvelle gauche qui soit ouverte, moins dépendante des appareils et qui laisse plus de place à l’expression populaire. Il reste beaucoup de chemin et de discussions à avoir dans l’ensemble de la gauche sur la façon dont le mouvement de la France Insoumise va poursuivre son développement tout en laissant la place aux autres formations et partis de gauche. C’est un nouveau champ d’intervention politique qui s’ouvre dans le pays, avec beaucoup de questionnements et de perplexité par rapport à l’avenir, mais l’unification de toutes les forces de gauche est une nécessité pour contrer les mesures antisociales et antidémocratiques que nous préparent Emmanuel Macron et son gouvernement.
30 juin 2017