Brexit : l’épuisement du capitalisme et son manque total de perspectives

La décision du Royaume-Uni de quitter l’Union Européenne a été prise lors du referendum britannique du 23 juin 2016, obtenant 51,8% de voix contre 48,2%. Le 25 novembre 2018, Theresa May pour le gouvernement conservateur et Jean-Claude Juncker pour la Commission Européenne signaient un accord préparatoire de séparation. Ce dernier, connu sous le nom de « Brexit » pourrait devenir officiel le 29 mars 2019.

Pour empêcher qu’une frontière ne soit rétablie entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, l’accord préparatoire inclut une mesure, appelée « backstop » par laquelle tout le Royaume-Uni – et pas seulement l’Irlande du Nord – va rester dans l’Union Douanière Européenne jusqu’à nouvel ordre. Ceci évidemment veut dire que l’accord préparatoire n’est pas un Brexit, mais une demi-mesure.

A la mi-janvier 2019, le parlement britannique refusait de ratifier cet accord. Dans ce parlement, la plupart des députés – de droite comme de gauche – lui est absolument opposée :  les « Brexiteurs » pour son « pas assez de séparation » et les « Remaineurs » (pro-EU) pour son « trop de séparation ». 

Le brexit révèle des effondrements et des réorganisations dans le capitalisme européen et mondial

Les négociations du brexit jettent de l’huile sur le feu des guerres commerciales qui s’aiguisent en Europe et dans le monde. Pour le capitalisme mondial, l’idée même d’un brexit menace sa cohésion politique et militaire face à la Russie et à la Chine. Le brexit compromet aussi la capacité économique de l’Union Européenne face aux Etats-Unis et à l’Asie. Et pour le capitalisme au Royaume-Uni, le brexit représente un affaiblissement et un repli face à la concurrence européenne et mondiale. Cette situation indique que des effondrements et des réorganisations se produisent à l’intérieur du capitalisme européen et mondial.

Le secrétaire d’Etat britannique au Commerce International, Liam Fox, affirme que « Le brexit peut faire du Royaume-Uni un champion du libre-échange mondial ». Il parle des « opportunités commerciales uniques » qui attendent le Royaume-Uni aux Etats-Unis, au Canada, en Afrique du Sud, en Australie, en Nouvelle Zélande, à Singapour, dans les Caraïbes, dans certains pays d’Afrique et même en Chine. Les Brexiteurs les plus acharnés réclament une rupture immédiate avec l’Union Européenne et le retour britannique au sein de l’OMC (l’organisation mondiale du commerce) qui régit les relations commerciales par défaut.

Comme la puissance impérialiste britannique fut autrefois la plus grande du monde capitaliste, il est logique que le Royaume-Uni soit aujourd’hui particulièrement secoué par la longue agonie des politiques impérialistes actuelles. Construites à partir du pillage colonial, les relations entre l’Angleterre, l’Ecosse, le Pays de Galle et l’Irlande (entre autres, comme Gibraltar et les Iles Malouines) restent fondées sur l’accaparement et la loi du plus fort. Ceci rend insurmontables les contradictions du « backstop » (littéralement cela signifie parapet arrière, une mesure pour éviter de raviver la colère du peuple irlandais contre la partition britannique de 1921).

Le 9 décembre 2011, 26 pays membres de l’Union Européenne s’accordaient à Bruxelles pour signer le Pacte Budgétaire Européen : chaque pays acceptait la supervision du Conseil Européen sur la gestion de ses finances afin de créer un « pare-feu » collectif en cas de nouvelle crise mondiale du crédit. Le Premier Ministre britannique David Cameron refusait de signer. Il refusait l’idée de transférer aux régulateurs de l’Union Européenne des prérogatives nationales de régulation financière. Cet événement allait bientôt contribuer à la création du mot « brexit » qui passait dans le vocabulaire courant quelques mois plus tard, dès le début de 2012.

Une des origines du brexit remonte donc à la grande crise de 2008 : le « pare-feu » du Pacte Budgétaire faisait partie du renflouement des banques européennes – par la Banque Centrale Européenne et le Fonds Monétaire International – au cours duquel se sont manifestés non seulement l’insolence des grands bailleurs de fonds mais aussi les individualismes nationaux. Si 26 pays de l’Union Européenne signaient le Pacte, ce n’était que par peur d’une nouvelle crise et au prix de la perte du Royaume-Uni – le 27ème pays de l’Union.

Le brexit : une réorganisation du capitalisme 

Les organisations de droite et d’extrême droite au Royaume-Uni, comme Britain First (organisation apparue en 2011 où certains de ses membres se réclament du « White Power » et adoptent le signe nazi. Ils s’opposent au multiculturalisme, au droit à l’avortement et à ce qu’ils appellent « l’islamisation du Royaume-Uni ». Ils ont envahi des mosquées et établi des « patrouilles chrétiennes ») et UKIP (United Kingdom Independence Party, mis sur pied en 1993 existent hors du Parti Conservateur mais participent au glissement progressif de ce parti vers la droite. Suite au coup d’éclat de David Cameron à Bruxelles, Nigel Farage (dirigeant du Parti UKIP de 2006 à 2010 et de 2011 à 2016 et vice-président du groupe « Leave Means Leave ») tenait « le monstre Eurozone » responsable du « manque de souveraineté britannique ». A partir de 2012, les campagnes UKIP contre l’austérité et l’immigration, imputées à l’Union Européenne, devenaient des campagnes pour le brexit.

Lorsque le Parti UKIP tenait deux de ses conférences nationales consécutives à Doncaster en 2014 et 2015 (ville du South Yorkshire traditionnellement ouvrière, non loin de Sheffield, où les mines et les grandes industries ont fermé, mais où sont toujours fabriquées des locomotives et machines agricoles, zone où la classe ouvrière souffre particulièrement des politiques d’austérité), Nigel Farage y dénonçait l’immigration (pourtant modérée) et jurait de « faire tomber les travaillistes et toute la classe politique britannique ». Il affirmait qu’il voulait que son Parti « se dédie entièrement à casser (break) l’union politique avec l’Europe ». Sa consigne « Récupérons notre pays ! » (We want our country back !) devenait celle de toute la droite dans la campagne pour le referendum.

Le brexit ne résulte donc pas seulement de la grande crise de 2008 ou de rivalités financières entre les capitalistes européens, mais aussi d’une évolution politique. A l’échelle internationale la petite couche sociale capitaliste qui a déjà le pouvoir de s’approprier presque tout le revenu mondial est la même qui domine la haute finance et donc l’industrie mondiale de l’armement et de la guerre. Ce secteur agit au travers de lobbies, mais s’il voulait le pouvoir pour lui tout seul, il parlerait sans doute comme Nigel Farage de « faire tomber les travaillistes et toute la classe politique britannique ».

Le brexit prouve qu’un glissement politique du capitalisme vers la droite est en marche dans le capitalisme britannique. Cette transformation ne diminue cependant pas les liens militaires entre le Royaume-Uni et l’OTAN !  Le 5 octobre 2018, Theresa May trouvait le temps de signer en Allemagne un pacte militaire qui engage le Royaume-Uni « à renforcer le pilier européen dans l’OTAN pour assurer notre défense commune ».

Les Brexiteurs de gauche

Le brexit gagnait au referendum avec une avance de 3,8%. Il l’emportait sur ceux qui voulaient rester dans l’UE par une marge entre 3 et 5% dans les zones de crise et de détresse sociale au nord de l’Angleterre, au nord-est, au Yorkshire et Humberside, dans les Midlands et au Pays de Galle. De nouvelles industries se forment dans ces régions, mais elles sont souvent automatisées avec peu d’employés (on y trouve toujours de grandes industries de création de moteurs, d’avions, de turbines, de machines-outils, de produits chimiques, de matériel technologique, comme Rolls Royce, Siemens, ITP Engines, Hardinge Inc., Cytec Industries, Meggit Plc, Triumph Motorcycle, etc. – pour la plupart des compagnies multinationales et ‘high tech’). Les régions autour de Birmingham, Coventry, Wolverhampton, Nottingham, Chesterfield, Northampton, Newcaslte/Tyne, Sunderland, Scarborough, Hull, ont voté plus Brexit que Remain.

Les statistiques montrent qu’après 2004, les employeurs et l’Etat ont encouragé l’entrée en grand nombre d’ouvriers immigrés, surtout en provenance de l’Europe de l’Est (en 2016, il y avait plus de 900.000 ouvriers polonais au Royaume-Uni, selon les chiffres officiels). Beaucoup de ceux-ci furent dirigés vers le nord, le nord Est et les Midlands, là où ces régions ont été vidées de leurs industries et où des logements sont vacants. Jeremy  Corbyn analyse que le vote brexit dans ces zones a exprimé une rébellion contre le « néo-libéralisme » de l’Union Européenne et contre le travail immigré utilisé pour faire baisser tous les salaires. Barry Gardiner, secrétaire d’Etat au Transport International dans le cabinet « fantôme » de Corbyn, explique que pour un mineur au chômage l’Union Européenne n’a représenté aucune protection.

Quelques partis et organisations de gauche ont choisi de voter pour le brexit, comme TUSC (une coalition de gauche), le Parti Socialiste, le PCB (Communistes du Morning Star) et NCP (New Communist Party), plus Kate Hoey (Parti Travailliste), George Galloway et d’autres. Ils se sont appellés « lexit » mais ont voté pour le brexit. Ils ont analysé que l’Union Européenne est une vaste multinationale qui ne rassemble pas les pays européens au nom du progrès mais au nom du profit. Ils ont condamné le Traité de Lisbonne dont les structures favorisent les privatisations et bloquent la nationalisation au niveau requis pour transformer la société. Cette analyse est certainement juste, mais elle ne s’est pas penchée sur la signification contre-révolutionnaire du brexit.

European-Socialists-front

Le brexit dans la classe ouvrière 

Au cours de ces dernières années, les idées xénophobes de UKIP ont été graduellement normalisées dans les médias. La classe capitaliste s’est ingéniée à faire oublier que ce sont les banques et non les immigrés qui ont vidé les coffres de l’Etat et conduit à l’austérité. En 2014, Nigel Farage était nommé « Briton of the Year » (un prix annuel décerné à la personne qui a le plus contribué à la vie britannique au cours des 12 mois écoulés) par The Times. Suite au vote brexit en 2016 Farage obtenait un poste d’animateur d’une heure tous les soirs sur la radio nationale LBC. Il en profitait, et en profite encore, pour exalter la capacité des « Britons », plaindre les pauvres ouvriers et semer la haine de l’étranger.

En 2013, le Parti UKIP gagnait 147 postes de conseillers municipaux, mais non à partir des régions post-industrielles citées plus haut. UKIP envoyait 24 députés britanniques au Parlement Européen, mais selon le Centre de Recherche International YouGov, ces gains UKIP provenaient de secteurs du Parti Conservateur quittant ce Parti sur sa droite. Ces gains provenaient aussi de la désintégration des Lib-Dems (Libéraux Démocrates résultant d’une fusion entre l’ancien Parti Libéral et un secteur social-démocrate issu du Parti Travailliste en mais 1981), et d’une petite couche ouvrière qui vote généralement Tory.

Une étude effectuée après les élections générales de 2017 trouvait qu’un tiers seulement des votants travaillistes à ces élections avait voté pour le brexit l’année précédente. Généralement « Remain » a été la position des syndicats et du Parti Travailliste. Dans ces organisations, le manque de grands débats, de journaux quotidiens et d’études organisées, ont laissé presque tout le terrain politique aux préjugés du brexit. La classe ouvrière n’a pas initié le brexit, mais il lui a manqué les moyens politiques et didactiques de s’en défendre.

Les Remaineurs et le Parti Travailliste 

Avec sa consigne « Remain and Reform », Jeremy Corbyn appuyait Remain au referendum dans la perspective de pouvoir « réformer » l’Union Européenne. Les grands syndicats se sont généralement alignés derrière cette consigne, montrant l’autorité dont jouit Corbyn dans la classe ouvrière et le désir de celle-ci d’encourager la direction de gauche travailliste.

Durant sa campagne pour le referendum de 2016, Jeremy Corbyn réclamait que le scandale des camps de la « Jungle de Calais » soit identifié « à sa source, qui sont les guerres et les conflits ». Souhaitant faire oublier ceci, la classe capitaliste et ses médias poursuivent Corbyn de leur haine. Les députés Remain du Parti Conservateur manoeuvrent pour s’allier aux député Remain travaillistes (ces députés travaillistes étaient plus de 100 à la Chambre des Communes en 2018 et beaucoup d’entre eux se sont joints aux conservateurs pour réclamer “un second referendum » contre l’avis de la direction Corbyn.  A eux tous, ils représentent une force non négligeable qui était originellement parlementaire et qui est devenue sociale. Cette force entend éclipser la notion de « Réformer » l’Union Européenne, n’ayant pas de problème avec l’UE néolibérale telle qu’elle est. C’est ainsi que la classe capitaliste s’introduit dans la vie politique du Parti Travailliste pour faire écarter Corbyn de la direction et contenir la transformation socialiste du Parti.

Bien que la direction Corbyn du Parti Travailliste ait originellement soutenu l’option Remain (pour « Remain & Reform »), elle acceptait tout de même le résultat du brexit au referendum. A présent, elle promet que son gouvernement travailliste négociera, depuis l’extérieur de l’UE, une nouvelle relation avec le Marché Unique et l’Union Douanière Européens. Selon Corbyn, cette nouvelle relation insistera sur le respect et l’élargissement des droits démocratiques, les droits ouvriers et les protections à l’environnement – tout ceci étant absent de l’accord préparatoire de Theresa May. L’immigration sera permise dans la mesure où elle est constructive, et le Royaume-Uni acceptera de payer à l’UE les cotisations appropriées.

« Remain » dans les nations et les partis 

La position Remain était plus forte dans les grandes villes comme Londres que dans beaucoup de régions environnantes.  Remain était très suivi en Ecosse et en Irlande du Nord, peut-être pour se séparer de la tutelle « anglaise ». La dirigeante nationaliste écossaise, Nicola Sturgeon, menace d’organiser, si le brexit s’exécute, un referendum en Ecosse pour l’indépendance de cette nation vis-à-vis du Royaume-Uni. En Irlande du Nord, Sinn Fein (qui partageait le gouvernement avec les « Unionistes » jusqu’à récemment) vient de déclarer son intention d’organiser aussi un referendum pour permettre la réunification de toute l’Irlande. Le brexit est un grand échec pour le capitalisme car il donne à toute une chaine de contradictions l’occasion de resurgir, et dans des conditions qui empirent.

Au Parti Conservateur, parti de la droite capitaliste bien sûr, tout le monde n’est pas Brexiteur. Ce puissant parti est étroitement lié au capitalisme européen et mondial auquel il appartient. Dirigeante de ce parti, Theresa May (qui était contre le brexit à l’origine) a du mal à préserver l’unité entre les Brexiteurs et les Remaineurs. Ceci expliquerait en partie son inflexibilité pour faire accepter son demi-Brexit. Pour beaucoup de Remaineurs dans le Parti Conservateur – comme dans le Parti Travailliste d’ailleurs – le brexit représente une défaite, un recul, une humiliation, et des reconversions commerciales insensées immensément coûteuses.

Le « backstop » et les contradictions insurmontables du capitalisme

Dans les négociations initiales du brexit, le gouvernement de Theresa May avait promis la complète séparation entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne. Cette rupture, que les Brexiteurs avaient réclamée à cors et à cris pendant de longs mois, allait bientôt prouver son impossibilité dans la pratique.

Si le Royaume-Uni se retire du Marché Unique et de l’Union Douanière Européens, la nouvelle frontière de l’UE passera entre la République d’Irlande (l’Eire, toujours dans l’UE) et l’Irlande du Nord (qui alors quittera l’UE). Une telle frontière rétablira la partition – honnie dans toute l’Irlande – que le Royaume-Uni avait installée en 1921 pour diviser le pays et y régner. De longues luttes ont marqué l’histoire de l’Irlande pour chasser les troupes britanniques et réunifier le pays. Ces luttes finirent par obliger Tony Blair et le gouvernement de l’Eire à signer l’Accord du Vendredi Saint le 10 Avril 1988 à Belfast. Cet accord gommait la frontière entre les deux parties de l’Irlande en les rapprochant toutes les deux à l’intérieur de l’Union Européenne.

A partir de 1988, les règles commerciales et douanières européennes entraient en vigueur en Irlande du Nord. Ceci ne satisfaisait pas les revendications nationalistes de Sinn Fein et autres mais contribuait à diminuer les antagonismes. En juin 2005, Sinn Fein mettait fin à sa lutte armée contre le Royaume-Uni et entrait au gouvernement « décentralisé » de l’Irlande du Nord. L’élimination de la frontière entre « les deux Irlandes » représentait alors un certain progrès qui obligeait les Unionistes (Le Democratic Unionist Party  – DUP – est un parti protestant créé en 1971 en Irlande du Nord par Ian Paisley. Ce Parti est loyal à la reine et lutte pour rester uni à la Grande Bretagne. Ses opposants sont les partis nationalistes comme le SDLP et Sinn Fein, généralement catholiques, qui luttent pour « une Irlande réunifiée ». Le DUP est dirigé aujourd’hui par Arlene Foster et Nigel Dodds), à accepter jusqu’à récemment de partager le gouvernement de Stormont (Irlande du Nord) avec Sinn Fein.

Le brexit signifie le rétablissement d’une frontière entre « les deux Irlandes ». Craignant le renouvellement de troubles nationalistes et révolutionnaires dans cette partie du Royaume-Uni et de l’Europe, les impérialistes européens et britanniques ont cherché à éviter le retour à la partition. Jean-Claude Juncker proposait à Theresa May de laisser persister en Irlande du Nord les normes commerciales européennes actuellement en vigueur. Theresa May repoussait furieusement cette idée qu’elle percevait comme le renforcement d’une perte de contrôle impérial et l’affermissement insidieux de l’emprise de concurrents européens sur cette zone britannique. Comme Theresa May avait déjà dû faire des concessions à l’Ecosse et à Gibraltar, elle n’entendait pas perdre plus de terrain.

La question était apparemment résolue lorsque Theresa May acceptait de maintenir dans l’Union Douanière Européenne tout le Royaume-Uni, et donc l’Irlande du Nord aussi. Il n’y avait plus de frontière douanière entre les « deux Irlandes » – mais le brexit n’avait plus de « brexit » que le nom ! Cet arrangement appelé « backstop » laisse le Royaume-Uni avec un pied dans l’Union Européenne. Pour calmer la rage des Remaineurs comme celle des Brexiteurs, l’accord préliminaire a introduit des règles compliquées sur la durée possible dudit « backstop », et sur des moyens légaux de s’en dégager. Comme les Brexiteurs ne veulent plus entendre parler de la Cour de Justice Européenne, cet aspect du « backstop » les rend encore plus furieux.

Le brexit de Theresa May est un demi-brexit par lequel le Royaume-Uni perd son « droit au chapitre » dans toutes les négociations commerciales européennes, tout en ayant à se plier à leurs règles commerciales et partiellement financières. Devant une telle humiliation, la classe dirigeante britannique semble perdre la tête. Des secteurs « remain » crient qu’il faut tout abandonner et « retourner » dans l’UE, et des secteurs brexit crient encore plus fort qu’il faut tout abandonner et ne plus parler de l’UE.

Parmi les Brexiteurs qui veulent rompre avec l’UE sans autre forme de procès, on trouve le ministre de la Défense Gavin Williamson. C’est son département qui a commandé 138 bombardiers F35 de Lockheed-Martin. En attendant d’être premier ministre lui-même, il fait pression sur Theresa May pour que son gouvernement fasse plaisir à Donald Trump en contribuant 4% du PIB à l’OTAN.

Bien que l’accord préparatoire ait encore une chance d’être accepté par le parlement suite à de futures modifications, le Parti Conservateur reste irrévocablement divisé entre ses Remaineurs qui ont des intérêts vitaux capitalistes dans le reste de l’Europe, et ses Brexiteurs qui ont visiblement la force de chambouler tout le pays et l’Europe. La sortie du Royaume-Uni de l’UE ne peut que signifier le renforcement des liens britanniques avec les Etats-Unis. Comme ces liens cherchent à assurer la survie du système capitaliste, austérité et Brexit sont les deux faces de la même guerre du « néo-libéralisme » pour essayer de faire survivre son système capitaliste.

Une mesure de l’impasse sociale, politique et constitutionnelle dans laquelle se trouve le capitalisme britannique est observable dans les efforts obstinés que Theresa May a accomplis pour en arriver au « backstop » qui divise à présent le gouvernement du parlement, et donc l’exécutif du législatif, tout en rendant le brexit lui-même impossible ! Ce n’était pas la nouvelle frontière en Irlande que Theresa May craignait, mais le retour de la lutte pour chasser les troupes britanniques d’occupation, toujours sur place, pour en finir avec les prétentions monarchistes dans cette zone, et pour réunifier l’Irlande.

L’organisation « néolibérale » de l’UE fait partie de la globalisation du capitalisme, mais l’UE représente aussi – et seulement dans une certaine mesure – un dépassement des arriérations patriotiques, locales et individuelles des nations. C’est dans ce sens que l’Accord du Vendredi Saint a représenté pour l’Irlande un commencement de réunification. Ceci dit, seule la transformation socialiste de cette ébauche d’union va pouvoir compléter les ébauches de coopération initiées – dans l’intérêt des capitalistes – par l’UE capitaliste. L’idée de Jeremy Corbyn de « Réformer » l’Europe tend à mettre ces questions à l’ordre du jour.

Sortir de l’Union Européenne mais surtout pas de l’OTAN !

Ce n’est pas par accident que Donald Trump a applaudi le choix du brexit au Royaume-Uni. Devant une Europe plus concurrentielle – particulièrement au niveau de la finance et des banques, et donc de l’armement – les capitalistes des Etats-Unis ont intérêt à attirer le Royaume-Uni vers eux pour le séparer de l’UE et affaiblir ainsi celle-ci. Il est remarquable aussi que la rhétorique nationaliste, de la suprématie blanche, réactionnaire et xénophobe de Trump, soit presque la même que celle de Brexiteurs comme Nigel Farage.

Les grandes manchettes médiatiques et les chamailleries autour du brexit font beaucoup pour détourner l’attention du public. A ce jour le Royaume-Uni est pourtant engagé dans 25 opérations dans 30 pays. Derrière la scène où le brexit s’agite au premier plan le pays renforce systématiquement son rôle dans l’OTAN, en tant qu’allié prioritaire. Le ministre de la Défense Gavin Williamson ne cesse d’affirmer que « l’OTAN est la pierre de touche de notre défense ». Et le gouvernement de Theresa May a acheté une importante flotte des nouveaux avions de chasse F-35, seuls capables de transporter et lancer les nouvelles bombes atomiques de Lockheed Martin, les B61. Le Royaume-Uni a participé à l’énorme Opération Trident Juncture 2018 de l’OTAN en Norvège, qui avait spécifiquement la Russie comme cible.

La soumission de l’économie du Royaume-Uni aux priorités militaires la soumet aux Etats-Unis. Et plus le pays se soumet aux Etats-Unis, plus il confronte la Russie et la Chine. La campagne du brexit, qui divise les forces du capitalisme britannique si fiévreusement, ainsi que les forces de ses alliés capitalistes européens et mondiaux, est une aberration aussi grande que son espoir fou-furieux de redevenir une grande puissance. Dans son entêtement « brexit », le pays glisse sous la direction de la grande finance internationale et de l’industrie de l’armement. Ces dernières sont dominées par les Etats-Unis et l’OTAN, eux-mêmes déjà en pleine guerre mondiale contre les populations du monde. Le brexit détourne plus ou moins consciemment l’attention des populations de cette immense faiblesse du capitalisme qui a tout intérêt à les garder divisées pour qu’elles ne s’organisent pas internationalement pour le renverser.

Pour un programme antimonarchiste et anti-impérialiste 

La concurrence capitaliste et les jalousies impérialistes qui sous-tendent les relations entre le Royaume-Uni et l’UE ôtent aux négociateurs la capacité d’effectuer un brexit complet. Il faut ajouter ici le rôle de la peur que le système capitaliste éprouve devant les luttes révolutionnaires, antimonarchistes et républicaines. Celles-ci ne lui ont-elles pas déjà fait renoncer à la plus grande partie de l’Irlande ? Le « backstop » est la somme de tous ces facteurs. C’est une erreur de croire qu’une frontière électronique peut éviter le besoin d’un « backstop », le problème n’étant pas la frontière mais le capitalisme.

Theresa May a versé £1milliard au Parti DUP pour que ses 10 députés à la Chambre des Communes votent pour elle. Ces derniers ont bien pris l’argent mais ont voté contre le « backstop » parce qu’ils sont réactionnaires. Ils veulent revenir au temps de la partition et partager les pouvoirs impériaux.

Dans le Parti Travailliste et les syndicats, il faut proposer de laisser la classe ouvrière en Irlande du Nord (et ses alliés dans toute l’Irlande et le Royaume-Uni) libre de lutter pour la réunification de toute l’Irlande. Une première mesure à proposer, par conséquent, est le retrait des troupes britanniques et la mise en place d’organismes syndicaux et de masses (britanniques, irlandais et européens) pour aider à l’unification républicaine et socialiste de toute l’Irlande.

UK Brexit Unite-slogan

Dans la campagne du referendum pour l’indépendance de l’Ecosse en 2014, où 55,3% avaient voté pour rester dans le Royaume-Uni contre 44,7%, le Parti Nationaliste SNP avait originellement promis de cesser de reconnaître la monarchie et de fermer (ou de déplacer) la base de Faslane utilisée par l’OTAN. Bien que le SNP ait changé d’avis après-coup, ces propositions mettaient en lumière les volontés antimonarchistes et anti-impérialistes qui existent dans le nationalisme Ecossais.

Comme on l’a vu, l’Irlande du Nord et l’Ecosse ont voté pour demeurer dans l’Union Européenne. Au-delà des intérêts commerciaux qui sans doute expliquent ce choix, les nationalismes de ces deux nations sont empreints de leur histoire de luttes réprimées dans le sang, contre les politiques de partition, de subjugation, de relégation et d’obscurantisme féodal imposées par les monarchies anglaises au fil de siècles. Dans le Parti Travailliste et les syndicats il faut donc aider au développement des idées républicaines et anti-impérialistes qui sauront garder l’Irlande et l’Ecosse unies au reste du pays sur la base de la Fédération Socialiste des Iles Britanniques.

La gauche du Parti Travailliste, les syndicats, la gauche en général, tous les partis communistes et ouvriers, ont besoin de s’unir pour discuter du besoin de faciliter l’unification de la classe ouvrière britannique et européenne avec les partis progressistes au Royaume-Uni et en Europe. La réponse à la contradiction binaire Remain-Brexit est la transformation socialiste du Royaume-Uni sur la base d’un programme antimonarchiste, républicain, décolonisateur et socialiste dans toutes les Iles Britanniques.

Pour un programme anti-guerre et anti-austérité 

La politique d’austérité du capitalisme ne vient pas que de la crise bancaire de 2008. Au Royaume-Uni, The Guardian du 7 juin 2015 rapportait que les subsides secrets et les rabais fiscaux accordés aux grandes compagnies (celles de l’armement en particulier) coûtaient à chaque ménage £3.500 par an. Ceci n’a fait que grandir dans les 4 dernières années. Il faut donc lier le sujet de la guerre contre les gens au travers de l’austérité avec la guerre du « néo-libéralisme » mondialement. Le brexit est un repli et une fuite du capitalisme, mais il exprime aussi la reconstitution de ses forces intérieures autour de son pouvoir financier et militaire. En dépit de son affaiblissement continu, le capitalisme ne quitte pas la scène de l’histoire. C’est aux mouvements ouvriers, travaillistes, socialistes, communistes et de gauche de l’obliger à la quitter.

La direction travailliste de Corbyn a toute raison de vouloir chercher dans une alliance avec les organisations ouvrières européennes la force pour commencer à bâtir l’Europe sociale (et encore mieux socialiste). Cette construction fait partie de la lutte pour s’opposer autant aux guerres impérialistes que celles du « néo-libéralisme » et de l’austérité capitalistes.

Il n’y a pas de raison de choisir entre Brexit et Remain. Cette dichotomie provient d’une lutte d’intérêts dans la classe capitaliste et dans le Parti Conservateur. La réponse travailliste de Jeremy Corbyn doit être soutenue. A partir du Royaume-Uni, il faut en effet « aider à travailler » comme il le dit, « avec les partis frères et les mouvemenst progressistes sur tout le continent européen ». Il est urgent de se mettre à cette tâche et d’inclure les mouvements anti-guerre dans les mouvements progressistes.

Posadists Today – le 4.2.2019