Ici il ne s’agit pas de protestation pour acquérir plus de droits ou conquérir les places publiques mais pour récupérer ce qui nous appartenait et qui maintenant doit nous revenir. A chaque occasion les gens crient leur présence. Tout ceci va à nouveau exploser grâce aux directives promulguées quasi quotidiennement par le leader Khamenei qui intervient, analyse, dirige et attire l’attention sur l’objectif du moment avec l’appui de multiples forces militaires, milices et paramilitaires et d’autres organisations populaires.
Ce sont des explosions de joie. Les gens sentent que l’heure est venue de se soulever et de cesser les lamentations sur le fait que tout va mal. Il faut s’attendre dorénavant à de nouvelles éruptions du volcan qui va recracher tant de choses restées dans les entrailles de l’histoire de la Révolution Islamique.
Combien de millions de personnes sont sorties dans les rues dans tout le pays ? On ne sait pas, et peu importe. Ce qui importe c’est la qualité de ce mouvement, le sens de cette grande rébellion festive qui veut rompre avec l’impérialisme et sa tête de pont en Iran, le gouvernement du président multimillionnaire Rohani.
La polarisation du monde se reflète en Iran. Cela ne s’exprime pas tellement d’un point de vue militaire comme en Syrie mais par le démembrement des structures gouvernementales qui agissaient principalement dans l’intérêt du capitalisme financier, du marché libre, de la libéralisation et de l’intégration au capitalisme mondial.
Cette occupation massive des espaces publics est une déclaration de guerre face aux menaces des impérialistes et, concrètement, contre un gouvernement qui est un intrus au service d’intérêts étrangers, qui aggrave la situation de vie et de travail de la population par rapport aux années Ahmadinejad.
L’Iran n’est pas seulement un pays qui baigne dans les mystères de l’Orient où il est facile de se désorienter, mais aussi un pays secoué jusqu’à la racine par une révolution sociale massive, par la croyance islamique nationale et révolutionnaire qui déboussole les analystes, journalistes et commentateurs occidentaux qui se noient dans les méandres complexes d’un processus, certes inégal, mais connaissant de rapides changements et combinaisons.
Rien ne vient de rien. Et la Révolution d’il y a 38 ans fut une explosion suite à la maturation d’une situation qui prend ses racines au delà des limites géographiques de l’Iran actuel. C’est l’histoire qui, depuis des centaines d’années, a construit les bases de l’actuel mouvement pour la justice sociale islamique et cette volonté a perduré jusqu’à la Révolution Islamique de 1979. C’est la raison pour laquelle, malgré tous les coups-bas, les trahisons et le manque d’organisation de masse, le mouvement ressurgit chaque fois plus frais et plus combatif, à la grande surprise de beaucoup et à la grande déception de ceux qui veulent diviser et tromper les masses pour placer le pays dans les griffes de la globalisation impérialiste et capitaliste.
En Iran presque tout se prépare sur la base de mouvements qui se réunissent régulièrement dans les mosquées, dans les prières du vendredi dans lesquelles parfois les orateurs viennent avec leurs armes à la main et dénoncent les privilèges, les abus, les chantages, les conjurations. Il n’y a pas d’instrument, d’organisation de masse, ni de parti de classe, à part les organisations syndicales corporatistes. Il n’y a pas de classe socialement bien formée et structurée, les travailleurs industriels organisés vivent isolés et éloignés des centres. Ils ont peu de possibilités de peser directement sur les autres couches sociales et l’information est parcimonieuse et sélective.
Les institutions de l’Etat ne sont pas bien structurées, les propriétés sont usurpées par des spéculateurs qui expulsent les masses des terres agricoles et privatisent les propriétés sociales, lesquelles passent des mains des travailleurs agricoles à celles de nouveaux sultans de la terre, ou du sucre, ou de l’eau. Il n’existe pas de cadastre de la propriété qui soit actualisé ou informatisé. Les contrats de location des terres sont d’une durée d’un an seulement à cause de l’inflation. Il est impossible d’établir le domicile des familles qui sont en déplacement constant. Le registre est nécessaire pour les élections, pour toutes les procédures légales, mais surtout pour la formation sociale et la structuration de l’Etat révolutionnaire pour s’assurer que son potentiel puisse avancer en direction du changement social et du socialisme.
Il n’y a pas de réseau d’information centralisé. Il y a un trafic de contrebande énorme qui a dévasté l’industrie nationale. La majorité des produits agricoles est déclarée comme excédentaire par rapport au marché intérieur, ces produits sont exportés sans que les dollars obtenus reviennent au pays. Et c’est un ministre qui le dit en dénonçant un autre ministre !
Les statistiques sont en désordre et se basent sur des données contradictoires. L’inflation est présentée évidemment très en dessous de la réalité que les gens vivent chaque jour. Le gouvernement se justifie en disant que la diminution de l’inflation ne signifie pas la réduction des prix mais le ralentissement de son augmentation. Le chômage déjà élevé s’accroît énormément du fait de cette destruction de l’industrie et du marché intérieur. Les « veines ouvertes » de l’Iran, c’est une grande importation de produits et de marchandises qui concurrencent la production iranienne, cela concerne l’électroménager, l’automobile, les trains et les chemins de fer, le textile, les chaussures, les vêtements, etc. Tous ces secteurs sont à l’arrêt, en faillite ou travaillent très en dessous de leur capacité.
Les dommages sont dévastateurs ! Quelques exemples : les contrats de travail à durée indéterminée représentent seulement 5% du total. C’est une situation que Ahmadinejad, pendant sa présidence, essayait de corriger vigoureusement. Maintenant les emplois publics sont à la merci des entreprises privées. Il y a environ deux ans, des travailleurs des mines d’or qui avaient été concédées à des entreprises privées étrangères, se sont suicidés : ils avaient des contrats de 12 mois et ils avaient été licenciés avant terme afin que le patron n’ait pas à payer le 13e mois. 300 autres mineurs qui ont occupé les autoroutes furent réprimés, arrêtés et condamnés à 5 ans de prison. Ensuite ils ont reçu 75 coups de fouets malgré l’adhésion de l’Iran à l’Organisation Mondiale du Travail.
Le gouvernement Rohani invite les entreprises étrangères à investir partout et n’importe comment, jusqu’à 100% du capital, comme c’est le cas par exemple dans le complexe public géant de la pétrochimie. Le gouvernement a offert ce type de contrat à un bon nombre d’entreprises européennes. Il a fait un contrat avec la Turquie pour la construction de trois grands complexes de production d’électricité utilisant à la fois le gaz et l’eau. Cette électricité sera exportée en Turquie, lui offrant ainsi l’infrastructure, le gaz quasi-gratuit et la main d’œuvre bon marché et non-syndiquée. Cette exportation d’électricité est une des choses les plus absurdes, stupides, antisociales et autodestructives. En effet, l’eau est pompée dans les nappes aquifères de grande profondeur et cela a épuisé les systèmes millénaires des canaux souterrains d’irrigation. Dans ce pays aride et semi-aride, la consommation excessive d’eau a déjà détruit l’agriculture, poussant 70% de la population iranienne vers les villes, transformant les producteurs agricoles en chômeurs à la recherche de travaux occasionnels.
En ce qui concerne les promesses européennes de se fournir en gaz iranien, en concurrence ou remplacement du gaz russe, sous prétexte de la crise ukrainienne, les excès de son exportation ont donné comme résultat la diminution d’injection de gaz dans les puits de pétrole, ce qui a provoqué une réduction de leur capacité de 20% et causé un grand dommage à l’activité des raffineries et à la vente du pétrole brut.
Pire encore, quand les militaires ont demandé au ministre de vendre une partie du pétrole à l’armée et aux Gardiens de la Révolution – vu que les militaires peuvent le revendre afin de moderniser les arsenaux militaires – le ministre Zangueneh a refusé en disant que « les Américains ne veulent pas ». Ces derniers jour, le parlement a quand même obligé le gouvernement à augmenter le budget militaire de 5%.
Les négociations avec les entreprises russes ne progressent pas. Il y a un blocage dans les programmes d’achat des avions de chasse Sokhoy et des tanks russes. De même pour la construction de deux implantations supplémentaires à la centrale nucléaire de Busher, alors que cette production supplémentaire d’électricité était destinée à dessaler l’eau de mer afin de transformer des déserts en terres cultivables. Cependant, les entreprises capitalistes européennes ne se lancent pas ou ne se hasardent pas à investir en Iran, malgré toutes les garanties et les avantages qu’offre le gouvernement de Rohani.
En dépit de l’insistance du leader Khamenei pour organiser « une économie de résistance avec des pas et des faits concrets », le gouvernement cherche toujours à freiner et maintenir les choses troubles et confuses, pour empêcher cette puissante révolution de s’élever et de construire une structure forte et énergique et une direction concentrée dans le but de renforcer l’Etat révolutionnaire.
Après ces 4 années de gouvernement libéral de Rohani, le niveau de vie des gens est en train de chuter, de même que le pouvoir d’achat et la monnaie nationale. Pendant que le gouvernement maintenait le pays en attente des résultats de l’accord sur le nucléaire pour mettre fin aux embargos et entamer les investissements étrangers, il démantelait les briques et les connections de l’édifice.
A la Télévision d’Etat, les reportages sur les avions russes bombardant les positions de Daesh avaient cessé d’être diffusés parce que Poutine devenait trop populaire en Iran et que les gens se pressaient pour regarder et écouter les bonnes nouvelles. Pendant ce temps, de très nombreux volontaires iraniens sont intervenus dans la guerre en Syrie , les Gardiens de la Révolution et les chefs militaires iraniens, en alliance avec la Russie, ont contribué à l’offensive des forces armées du gouvernement syrien et ont frappé fort pour mettre en échec le plan impérialiste.
C’est dans cette situation que se fête cet anniversaire de la Révolution Islamique de 1979 avec des explosions de joie, des sentiments de victoire et des cris de combat, tandis que l’espoir du gouvernement Rohani d’une collaboration complaisante et bénévole des Etats-Unis s’effondre. Les masses commencent à se soulever, pleines de confiance en elles-mêmes et avec la dignité de se sentir les véritables protagonistes de l’Etat, les gens ont manifesté beaucoup plus massivement que les années précédentes, il y avait des jeunes, des femmes, il y avait des bébés d’un an et des vieux en chaise roulante.
Les cris des gens étaient comme un plébiscite contre l’impérialisme et ses compagnons de route. Il y avait un vaste engagement pour continuer la lutte contre l’impérialisme et obliger le gouvernement à reconnaître l’échec des accords avec les Etats-Unis et à reprendre les activités nucléaires. Les consignes criées étaient absolument anti-impérialistes, anti-Etats-Unis, antibritanniques et anti-Israël. Ali Khamenei a même lancé des plaisanteries à propos de Trump récemment élu, « remerciant le nouveau président parce qu’il facilite notre travail de montrer le véritable visage de l’impérialisme ». Il n’y avait pas de slogans à caractère social dans la manifestation, mais le fait de porter les portraits de Khomeiny et Khamenei équivaut à un programme et à un engagement politique et social révolutionnaire.
La présence d’Ahmadinejad dans la manifestation a eu beaucoup d’importance, il est la seule personnalité qui s’est mêlée à la grande foule sans aucune protection de gardes du corps et c’est l’accueil de ses partisans qui l’a protégé en réalité. Beaucoup portaient des pancartes avec son portrait, aux côtés de ceux de Khomeiny et Khamenei.
Toute de suite après la manifestation, au cours d’une réunion avec le délégué de la Sécurité Nationale de la Russie, le Président du Conseil National de Sécurité d’Iran, le général Shamkhami a dit : « L’Iran et la Russie doivent être complètement d’accord pour appuyer le gouvernement et l’armée syriens… et nos relations sont stratégiques ». C’est bien le même général Shamkami qui avait été critiqué par le chef de l’armée russe pour son faible engagement dans la lutte contre Daesh. Il faut se rappeler que le gouvernement iranien avait initialement refusé aux avions russes l’accès à la base iranienne de Hamadan alors que la guerre pour libérer Alep battait son plein.
Ce changement démontre que la nécessité d’urgence s’impose aux lâches qui, en Iran comme partout, font tout leur possible pour éviter, perturber la véritable organisation révolutionnaire, qui dans ce cas signifie qu’il faut s’unir à la Russie. L’utilisation de l’espace aérien iranien a une importance stratégique dans l’organisation de la guerre contre les forces impérialistes présentes en Syrie et en Iraq. L’utilisation de la base de Hamadan indique que le gouvernement et les parlementaires iraniens qui voulaient l’empêcher au nom de « la souveraineté nationale » ont été battus sur un point stratégique important.
12 février 2017 de notre correspondant à Téhéran