Le changement de gouvernement, la consolidation de l’accord de gauche et l’intervention des masses

La chute du gouvernement Rajoy est le produit de plusieurs facteurs qui ont abouti à la désagrégation du Parti Populaire(PP), la corruption étant l’expression la plus évidente de cet affaiblissement et de la crise de la droite. Mais c’est l’intervention constante et permanente des masses qui est l’élément déterminant de ce changement.

La motion de censure qui a mené Pedro Sanchez, le président du Parti Socialiste (PSOE), au gouvernement ainsi que le front qui s’est constitué entre des partis de la gauche et des secteurs nationalistes, exprimaient le mécontentement populaire et la rébellion de larges secteurs de la société qui ont précipité la décomposition du PP.

Les masses ont répondu à la politique d’austérité de Rajoy par de grandes mobilisations de refus des mesures antisociales dans le domaine de l’éducation, de la santé, des pensions et des droits du travail, des droits sociaux et de la liberté d’expression. Le mouvement « Marea Pensionista », créé il y a 6 ans, a fait irruption dans les rues avec des dizaines de milliers de retraités indignés par la décision gouvernementale de geler les pensions et de proposer pour 2018 une augmentation de 0,25% alors que le coût de la vie a augmenté de plus de 2%. Les pensions ne couvraient déjà pas les besoins élémentaires des retraités dont une grande partie ne subsistait qu’avec moins de 600 euros par mois. Dans toutes les grandes villes, et en particulier à Bilbao, capitale du pays basque, les concentrations de retraités sont rapidement passées de quelques centaines à des dizaines de milliers. Dans une telle situation sociale, le Parti Nationaliste Basque, (EAJ-PNB) ne pouvait pas ne pas voter pour la mention de censure !

Le climat de rébellion a atteint son point culminant avec la grève des femmes et les grandes mobilisations dans tout le pays le 8 mars, en défense de l’égalité des droits hommes-femmes et contre le patriarcat et le capitalisme. C’est un mouvement de classe qui s’est exprimé en Espagne comme dans le monde entier avec les grandes manifestations aux Etats-Unis et en Amérique Latine.

Une situation de double pouvoir s’est installée dans la société et les femmes font face en permanence à toutes les formes de violence qui font partie du fonctionnement du système capitaliste et qui sont encouragées par les politiques permissives de la Justice et des appareils de répression.

Cette violence se manifeste le plus crument vis-à-vis des secteurs les plus vulnérables : les femmes et les immigrants. Ceux -ci sont en lutte pour être reconnus comme des citoyens de plein droit, ils veulent la régularisation de leur situation afin d’avoir droit au travail, aux soins de santé, au logement, à l’éducation. Pour défendre ces revendications ils se sont enfermés dans leurs lieux de résidence.

Ils ont pu compter sur l’appui des syndicats et des organisations sociales. Cela dure depuis des mois, ils fonctionnent en assemblées, organisent des rencontres et toutes sortes d’activités. Leur action a eu une telle répercussion sociale qu’en Catalogne le président de la Generalitat (gouvernement catalan) et la maire de Barcelone ont dû leur rendre visite, écouter leurs demandes et s’engager à prendre des mesures, dans le cadre de leurs compétences, pour répondre à leurs revendications.

La mobilisation sociale s’est organisée sur la base de ces deux axes, mais il y a eu encore beaucoup d’autres luttes, comme celles des porteurs d’aliments à domicile, des travailleurs d’Amazon, de H&M, des ouvriers des aciéries de Cadix, des dockers, des travailleurs des abattoirs (où les immigrants sont nombreux et sont exploités à outrance), les taxistes qui résistent à « l’uberisation » de leur secteur. Le climat de confrontation sociale s’est grandement échauffé et si le mouvement n’a pas encore atteint les grandes entreprises, c’est dû uniquement à la politique conciliatrice des directions des syndicats majoritaires.

Le nouveau gouvernement dirigé par le Parti Socialiste est très faible, il n’a pas un grand appui parlementaire et se verra obligé de négocier avec ses alliés nationalistes bourgeois. Il n’a pas encore pris de mesures importantes et déclare même ne pas vouloir abolir la réforme du travail, mais seulement modifier certaines des mesures qui ont produit la situation actuelle.

Il propose donc de rétablir le droit à la santé publique pour toute la population, y inclus les sans papiers, droit qui avait été supprimé par le PP. Il fournira des moyens pour faire appliquer la Loi de la Mémoire Historique et veut retirer les restes de Franco qui se trouve à « El valle de los Caïds », monument qui signifie une exaltation du franquisme et qui fut construit par les prisonniers républicains. Un changement dans la politique d’immigration apparaît par le fait de recevoir dans le port de Valence, le bateau Aquarius et d’autres chargés d’immigrants refoulés par le gouvernement italien.

L’installation d’un nouveau gouvernement en Catalogne a permis de lever l’application de l’Article 155 de la Constitution qui avait conduit à l’interdiction pour le gouvernement catalan de disposer des fonds publics. Tous ces changements favorisent une détente et offrent une possibilité d’accords entre le gouvernement catalan et espagnol. La proposition de Pedro Sanchez de déplacer vers une prison catalane les détenus catalans indépendantistes actuellement emprisonnés à Madrid, est un élément important à prendre en compte pour faciliter encore plus le futur dialogue.

Le parti Podemos a joué un rôle important pour faire aboutir la motion de censure contre Rajoy et ouvrir cette nouvelle étape en Espagne. La direction de Pablo Iglesias a proposé au PSOE de supprimer les vetos imposés par le gouvernement Rajoy à toutes les initiatives législatives présentées par Podemos, et d’établir une feuille de route commune à partir des points suivants :

  • automatiser l’augmentation des pensions
  • égaliser le congé de maternité et le congé de paternité
  • activer le Pacte d’Etat contre la violence machiste
  • récupérer l’argent des aides de l’Etat auprès des banques
  • déroger à la « Ley Mordaza », loi concernant « la sécurité du citoyen » qui a conduit à de nombreuses arrestations de syndicalistes, d’artistes, de chanteurs
  • porter le salaire minimum interprofessionnel à 1000 euros
  • fermer les centres de détention des immigrants.

Une autre revendication importante est celle de la réforme de la Loi sur les Baux Urbains qui avait réduit la durée du contrat de bail à 3 ans, au détriment des personnes avec moins de ressources. Cette loi, ajoutée à la bulle immobilière et à la crise, avait conduit à une forte augmentation des expulsions avec leurs graves conséquences sociales. La Plataforma de los Afectados por la Hipoteca (Plateforme des personnes affectées par l’Hypothèque) s’est transformée en nouveau mouvement social pour se lancer dans la défense des locataires.

Il y a les conditions pour prendre des mesures plus profondes. Pour cela, cette convergence de la gauche doit se structurer avec un programme visant les transformations sociales. Le Parti Socialiste doit se séparer des secteurs de l’appareil qui viennent de l’époque de Felipe Gonzalez et qui ont une conception néolibérale de l’économie.

Les déclarations de Pedro Sanchez soulignant l’importance de l’accord entre Podemos et le PSOE pour impulser un processus de changements expriment le renforcement d’un courant de gauche au sein des socialistes et présagent un affrontement contre les vieux dirigeants du parti. Il y a un changement dans les rapports de force grâce aux luttes des masses dans le pays, aux luttes en Amérique Latine pour résister aux plans de l’impérialisme, ainsi qu’aux grands mouvements de contestation de la politique de Trump aux Etats-Unis.

Posadistas Hoy, 25.6.2018