Dans son discours aux français du 12 mars, Emmanuel Macron a encensé les personnels des hôpitaux publics, médecins, infirmiers, ambulanciers, agents du Samu, pour leur engagement, leur dévouement et leur efficacité, parce qu’ils ont tous répondu présents, ont pu retarder la propagation du virus et limiter les cas sévères. Ce sont effectivement eux, les personnels des services de santé, qui mènent au quotidien un combat surhumain pour maintenir la vie à tout prix, face au développement fulgurant de l’épidémie, sans moyens pour combattre efficacement le virus. Ce sont ces mêmes personnels, en grève depuis des mois, qui n’ont pas cessé d’alerter sur la dégradation de leurs conditions de travail, sur le fait que l’ensemble des services publics, et notamment les hôpitaux, ne pouvaient plus s’en sortir suite aux baisses drastiques de moyens financiers et humains décidées depuis de nombreuses années par les gouvernements successifs.
Dans cette même allocution Emmanuel Macron a dit aussi : … »Ce que révèle cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre Etat-providence, ce ne sont pas des coûts ou des charges mais des bien précieux qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner, notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie. Nous devons en reprendre le contrôle, construire plus encore que nous le faisons déjà une France, une Europe souveraine, une France et une Europe qui tiennent fermement leur destin en main. Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. Je les assumerai…«
Ces propos ne signifient pas que les objectifs de ce gouvernement vont être modifiés en profondeur et que l’hôpital public va enfin recevoir les fonds dont il a besoin, ou qu’on ne touchera pas à notre système de Sécurité sociale dont la réforme devait suivre celle des retraites mise pour l’instant en attente. Depuis plus de vingt ans les politiques libérales contribuent à détruire la capacité de nos services publics à coups de mesures d’austérité, de réformes impopulaires pour les travailleurs et les retraités, tout en favorisant les plus riches et les entreprises privées, accroissant ainsi les inégalités sociales. Il suffit de voir dans le chaos actuel la déstructuration des services de santé et la pénurie à laquelle ils doivent faire face, avec un manque de masques, de tests de dépistage, de respirateurs pour la réanimation, de lits, de matériel et de personnel, pour en être persuadés. Cette même pénurie de moyens existe au niveau de la recherche médicale où, pour trouver des financements, les chercheurs doivent déposer des projets où faire appel aux dons, alors que ce secteur est vital pour la santé publique.
Lutte des soignants en défense de l’hôpital public
Les mesures liberticides du gouvernement
L’épidémie de Coronavirus qui frappe durement tous les Etats démontre l’ampleur des failles et l’incapacité de ce système à faire face à une telle situation de pandémie, le manque cruel d’anticipation devant l’évolution et l’extension géographique du virus et l’absence d’un plan de santé publique pour y remédier. Tous les jours le gouvernement français annonce de nouvelles mesures, des commandes de masques et de tests de dépistage qui prennent du temps à arriver, donnant l’impression de naviguer à vue.
Dans ce premier discours E. Macron n’a pas une seule fois évoqué la nécessité du confinement pour empêcher le virus de se répandre, il s’est même montré très tranquillement en extérieur. Le ministre de l’éducation a affirmé le jour même qu’il n’y avait aucune raison de fermer les écoles. De nombreux français n’ont alors pas pris la mesure du danger de contamination et ont profité d’un week-end ensoleillé pour se balader et piqueniquer dans les parcs. Le dimanche les bureaux de vote s’ouvraient pour le 1er tour des élections municipales, démontrant à première vue une certaine normalité. C’est le lendemain qu’est arrivée l’annonce du confinement général avec un discours moralisateur du gouvernement, relayé par les médias, contre ces gens qui continuaient à vivre normalement, soi-disant inconscients, indisciplinés, individualistes, non solidaires.
La faute à qui ? Nos gouvernants nous ont dit tout et son contraire : du « Restez chez vous » martelé à toute heure pour ne pas étendre la contagion à « Allez travailler » à tous ceux qui ne pouvaient pas le faire par télétravail, sans protection aucune, alors que des usines et entreprises fermaient les unes après les autres et se déclaraient en chômage technique. Des incitations à aller au travail ont même été lancées au moyen de primes défiscalisées ! Englués dans leur logique consumériste et productiviste, il leur a fallu du temps avant qu’ils se rendent compte que l ‘arrêt de l’activité économique devenait nécessaire pour sauver des vies.
A partir du 16 mars, Emmanuel Macron a revêtu son costume de chef de guerre, assenant plusieurs fois à la télévision « Nous sommes en guerre » et appelant à l’union nationale, lui permettant de s’arroger les pleins pouvoirs. Il a fait passer en quelques jours la Loi d’urgence sanitaire, promulguée le 23 mars, situation spéciale entre l’état d’urgence et le régime d’exception, balançant à coups d’ordonnances et de décrets des mesures de restriction des libertés, de circulation, sans aucun contrôle du parlement – confiné lui aussi -, et sans possibilité d’approfondir le bien-fondé de ces mesures du point de vue constitutionnel. Même si la situation demandait de prendre des mesures drastiques, on peut légitimement être inquiets sur leur durée, alors que nous avons déjà vécu l’épisode de l’état d’urgence suite aux attentats terroristes, devenu depuis un état pérenne en France !
La loi d’urgence sanitaire est donc une atteinte de plus aux libertés et à la démocratie. Ces mesures ont été accompagnées de drones et d’hélicoptères pour vérifier que la population était bien confinée à la maison, d’obligation d’attestations de déplacement dérogatoire sous peine d’amendes et de 6 mois de prison, dans un contexte où les prisons sont en pleine ébullition du fait de leur surpeuplement et de la promiscuité des détenus, ouvrant un débat sur la nécessité de relaxe de certains d’entre eux. Les forces de police et de gendarmerie sont mobilisées pour maintenir cet ordre de confinement et sanctionner les contrevenants. Ce sont déjà des centaines de milliers de contraventions qui ont été délivrées dans tout le pays.
Cette loi, avec les 43 ordonnances qui l’accompagnent, prend des mesures à la fois économiques et sociales qui signifient aussi une régression de grande ampleur des conditions de travail, que personne n’avait osé faire lors de la réforme très mouvementée du code du travail. Selon les 3 ordonnances Covid-19 sur le temps de travail, les employeurs peuvent déroger aux règles légales et imposer aux salariés une prise de congés payés de 6 jours, des changements de dates sur les congés posés, leur fractionnement, revenir sur l’aménagement du temps de travail, les jours de repos, mais il sera aussi possible « pour les secteurs jugés essentiels à la continuité de la vie économique et la sûreté de la Nation » de porter la durée quotidienne de travail à 12h (au lieu de 10h) de jour comme de nuit, et la durée hebdomadaire à 60h (au lieu de 48h). Ces mesures sont valides jusqu’au 31 décembre 2020, donc bien au-delà de la durée du confinement prévue à ce jour ! Plus de concertation, plus de dialogue social, plus de négociations collectives, et surtout pour les employeurs la levée de toutes les entraves que signifiait le respect des droits des salariés.
Mais les salariés dont on parle, ceux qui sont essentiels pour la continuité de la vie économique, sont ceux qui gagnent le moins et qui font les travaux les plus pénibles : éboueurs, femmes de ménage, infirmières, caissières, personnels des maisons de retraite… Ce sont eux qui subissent aujourd’hui de plein fouet les inégalités sociales et qui auront à subir en premier le contrecoup des mesures de soutien financier annoncées par l’Etat aux entreprises en difficultés ou le gel de la répartition des dividendes aux actionnaires, une fois que la crise sanitaire sera dépassée. Car il ne fait aucun doute que l’austérité sera présente à la sortie du confinement et non la répartition équitable des richesses et la justice sociale. Preuve en est l’appel aux dons lancé par plusieurs réseaux de fondations pour venir en aide à l’hôpital public et à ses soignants, fortement contesté par eux alors que l’hôpital public devrait faire l’objet de financements spécifiques de l’Etat au même titre que les entreprises. Emmanuel Macron a pourtant affirmé à l’hôpital de Mulhouse, très durement touché par le virus, « la mise en place d’un plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières », que le Sénat dénonce car selon les tractations en cours il s’agirait plus d’une accélération du processus de privatisation que d’un renforcement des services publics de santé.
Les mesures du gouvernement : quelle honte !
Préparer le jour d’après
La loi d’urgence sanitaire, la restriction des libertés publiques, les mesures répressives et régressives qui se mettent en place, ne peuvent faire oublier les luttes qui existent dans le pays depuis des mois contre la réforme des retraites. La situation de confinement et l’arrêt de la machine économique montrent la nécessité de revoir entièrement les politiques menées à tous les niveaux.
On voit dans la gestion de cette crise le manque criant de planification économique pour répondre aux besoins immédiats. Les grandes industries françaises sont à l’arrêt et pourraient utiliser leurs capacités à produire du matériel dont les hôpitaux ont besoin. C’est le cas des entreprises automobiles comme Renault et PSA qui ont mis leurs équipes d’ingénieurs à étudier la production de respirateurs pour les services de réanimation des hôpitaux. D’autres entreprises se sont mises à fabriquer des masques pour pallier la pénurie. Ce sont là des exemples de ce qu’il est possible de faire pour essayer d’endiguer l’épidémie le plus rapidement possible mais le gouvernement n’a pas pour l’instant imposé la reconversion de la production à l’ensemble des industries françaises, celle-ci n’étant donc fonction que du bon vouloir de leurs dirigeants. Il y a besoin également de relocaliser certaines grandes entreprises afin de retrouver une autonomie de production, dans le secteur des médicaments particulièrement, qui sont à l’heure actuelle importés d’Asie.
La crise actuelle a démontré que le monde capitaliste ne peut agir de la même façon et dans les mêmes conditions qu’avant. La relance de l’économie, une fois la crise surmontée, ne doit pas signifier la continuation des normes de production et de consommation soumises aux lois du marché. Les urgences sociales et écologiques vont demander des efforts énormes de transformation de l’industrie et des investissements auxquels ces lois ne peuvent répondre. Il faudra créer des emplois pour satisfaire les besoins en énergies renouvelables, en développement des services publics et de proximité, en recherche médicale. Il faudra revoir toute la politique agricole afin qu’elle réponde aussi aux nécessités d’approvisionnement local et d’alimentation saine pour tous, arrêter tous les projets d’urbanisme qui accaparent les terres cultivables.
Le confinement de la population a sidéré les gens pendant les premiers jours mais rapidement la solidarité s’est organisée pour venir en aide aux populations les plus démunies, les oubliés que sont les sans-abris, les sans-papiers, les réfugiés des camps de rétention, réorganiser la distribution de l’aide alimentaire et le soutien aux personnes âgées. Beaucoup d’initiatives se sont développées partout en France pour maintenir les relations sociales, à travers les réseaux et internet, les interventions aux balcons et aux fenêtres en soutien à nos personnels soignants, mais aussi les colères restées intactes s’exprimant à l’aide de pancartes et de vidéos, ou la diffusion d’idées pour occuper les enfants à la maison. Beaucoup d’associations, malgré les difficultés, ont maintenu tant bien que mal leurs activités sociales, économiques, culturelles, leurs pratiques collectives, ont créé des façons nouvelles de se parler, de permettre à tous de partager le goût de lire, ont fait venir les spectacles ou les expositions à la maison, démontrant leur capacité d’adaptation et d’organisation.
Cette situation est une opportunité formidable pour la gauche et les acteurs de progrès de créer un nouveau rapport de force favorable à une évolution de la société vers plus de justice sociale, plus d’humanité, plus d’écologie. C’est ainsi que des organisations syndicales et des associations se sont unies pour dire qu’il n’est plus possible de revenir à cette normalité qui se base sur le productivisme, le consumérisme, la concurrence, les inégalités. Il faut saisir cette situation de confinement pour revoir en profondeur les fondements de notre société, pour que les peuples en reprennent le contrôle et préparent des réponses collectives à la solidarité, l’entraide, le développement des services publics, la défense des droits des salariés. Il s’agit donc de préparer dès maintenant le jour d’après.
Les Posadistes – 30 mars 2020