En défense de l’Etat Révolutionnaire : les Conseils de Production des Travailleurs

Un récent décret présidentiel lance officiellement ce que le Président Maduro avait anticipé lors d’un grand meeting à Caracas le 8 novembre dernier. Ce meeting rassemblait 7.000 personnes, toutes des délégations de travailleurs et de miliciens. Le président et le ministre du Travail ont exposé les motifs de l’urgence de la création de cette nouvelle forme de contrôle de la production, de la productivité et de la distribution économique.

Le président Maduro, qui fut lui-même ouvrier des transports publics, lance un appel aux comités de base, de contrôle ouvrier, aux conseils communaux et aux Clap (Comité local de ravitaillement et de production), aux jeunes et aux coopératives pour qu’ils créent de nouveaux projets et initiatives de production servant à répondre aux besoins du marché intérieur et à augmenter les offres d’emploi : « nous devons créer et faire circuler notre capital endogène, empêcher le contact de notre capitalisme avec la finance et la banque mondiale« .

Après avoir impulsé la création des comités de contrôle ouvrier des entreprises récupérées par les travailleurs et des Clap, la direction bolivarienne cherche à renforcer la défense de l’Etat révolutionnaire face au sabotage économique intérieur. Ce dernier représente un élément important de déstabilisation, de malaise et de mécontentement social, qui permet à la réaction putschiste de prospérer, ceci, à côté du boycott international organisé par les principales banques du monde, les compagnies aériennes et les multinationales.

Le gouvernement Maduro a gagné un temps précieux et a divisé l’opposition, en obligeant celle-ci à accepter de participer aux négociations avec lui. L’opposition a dû suspendre ses exigences de destitution immédiate du président Maduro et d’élections anticipées. Mais ce n’est qu’un répit.

La droite perd ses appuis dans la société

Le fait d’avoir obtenu l’engagement du pape François dans la construction d’une table de négociations avec l’opposition a permis certaines avancées au plan politique. Le gouvernement Maduro a gagné un temps précieux et l’opposition s’est divisée. Maintenant il faut utiliser ce répit pour mener la bataille sans quartiers contre la criminalité économique et sociale interne.

On ne peut que se féliciter de l’échec de la droite dans sa recherche de soutien social. Celle-ci avait lancé des rafales de mobilisations, de grèves générales « civiques », de « prises de Caracas », « d’assauts contre Miraflores » (Palais du gouvernement). Tous ont été ignorés par les grandes masses populaires. Par contre, l’avant-garde chaviste a maintenu et garde encore un haut niveau de vigilance et de ripostes dans les rues.

Maduro, au cours du meeting du 8 novembre, est intervenu sans détours pour dénoncer les « conspirateurs » de l’intérieur : la corruption, la bureaucratie, les vols dans les entreprises et les stocks alimentaires et le « bachaqueo » (c.à.d. la mafia de la contrebande, qui achète à bas prix les marchandises subsidiées par l’Etat pour les revendre au marché noir ou à l’extérieur à des prix internationaux).

Le Président a également reconnu l’erreur principale des projets économiques élaborés jusqu’à présent : la dépendance exclusive de la rente du pétrole et l’absence d’un développement de la production industrielle et agricole capable de diminuer l’importance des importations dans la balance commerciale.

La population vénézuélienne subit aujourd’hui des pénuries dans les magasins de marchandises qui pourraient être produites dans le pays, en quantité et qualité telles que l’on pourrait garantir très simplement un approvisionnement suffisant, la bonne qualité de ces produits, une juste distribution et un juste prix.

Les hausses de salaire qui se succèdent pour essayer de rattraper l’inflation, permettent une certaine défense du pouvoir d’achat des travailleurs, mais cela ne suffit pas, de plus il faut perdre un précieux temps à faire les files, à se déplacer ou à recourir au marché noir pour pouvoir obtenir des produits de base et des médicaments.

Fonction et composition des Conseils de Production des Travailleurs

Chaque CPT d’entreprise se compose comme suit : une femme, un jeune, un représentant de la milice, tous élus par les travailleurs de l’unité de production. S’y ajoute un militaire faisant partie du commandement de la zone. Le but de cet organisme est de contrôler tout le cycle de production, de la fourniture des matières premières à leur transformation, ainsi que la qualité des produits fabriqués, le temps de production, la distribution (afin de ne pas tomber dans les mains de circuits illégaux), et le prix juste à payer par le consommateur.

Ces Conseils sont établis tant dans les entreprises privées que publiques. A la suite de centaines d’assemblées organisées par le ministère du Travail, 700 conseils ont déjà été reconnus, dont 600 résident dans des entreprises privées. Les chiffres précis n’ont pas été communiqués quant à la part réelle de l’économie impliquée, mais il semble évident que ce sont les secteurs de l’économie liés au marché intérieur et qui connaissent une grande insécurité d’investissements à cause de la criminalité organisée en leur sein.

Les CPT pourraient donner des garanties de sécurité à ces « entrepreneurs patriotes », ceux-ci perdraient la liberté de décider seuls dans leur entreprise, mais auraient des garanties de résultats. Il est certain que pour ceux-ci ce n’est pas un aspect négligeable en cette période de profonde crise du capitalisme. Et pour les travailleurs, cette expérience de participation populaire dans la programmation économique peut représenter un pas important de la révolution dans la réalisation du contrôle de l’Etat révolutionnaire sur l’économie. La classe ouvrière pourra ainsi démontrer sa propre capacité de transformer l’économie et d’avancer des mesures socialistes. Le patronat, par contre, est dépossédé de ses principales fonctions et devient pratiquement superflu. Les CPT sont un progrès dans la lutte de classes au Venezuela.

La participation au CPT d’un représentant des forces armées bolivariennes a une importante signification. Dans cette phase critique de la révolution bolivarienne, la lutte des classes s’exprime avec virulence par le sabotage économique de la bourgeoisie. La consolidation de l’alliance civico-militaire est très utile. Aux côtés des milices populaires, la participation des travailleurs, et en particulier des femmes et des jeunes, donne des garanties d’une plus grande objectivité. Ainsi le CPT constitue une forte équipe de choc contre la criminalité économique.

Les Conseils devront se préoccuper également de l’élévation de la productivité, des investissements nécessaires, de la discipline nécessaire au travail, du pourquoi et comment produire. Les travailleurs ne sont pas uniquement intéressés aux conditions de travail et de salaire, mais également à la qualité et quantité de production, à son prix et sa portée sociale.

Ils représentent une possibilité immense pour déployer le rôle dirigeant de la classe ouvrière dans la société, et de meilleures conditions dans le processus révolutionnaire pour accroître leur autorité sur le reste de la population.

Développer le rôle dirigeant du PSUV et des Syndicats

La décision du gouvernement Maduro de créer ces organes de contrôle des travailleurs à grande échelle est importante mais a ses limites : il ne suffit pas de contrôler les différentes unités de production, il faut aussi que les travailleurs puissent accroître leur poids dans le PSUV (Parti Socialiste Unifié du Venezuela) et dans les syndicats. Il faut pouvoir s’adresser à tout le pays, généraliser ces expériences et faire en sorte que toutes les initiatives et les mesures de contrôle par les travailleurs fassent partie d’un plan national.

Il faut aussi que le PSUV, les autres partis de la révolution et les syndicats fassent un bilan de toutes les mesures adoptées jusqu’à présent et qui répondaient d’une certaine manière aux mêmes objectifs que ceux des CPT : par exemple, quel est le bilan des comités de contrôle ouvrier des usines récupérées et des engagements des centrales ouvrières vis-à-vis des plans économiques ?

Au cours du rassemblement de Caracas, un intéressant dialogue s’est établi entre Maduro et un groupe de travailleurs du ciment. Le Président a dénoncé publiquement les vols et les « bachaqueos » dans ce secteur économique. En entendant des murmures à la tribune, il a dit : « je pourrais donner d’autres exemples…. ». Les travailleurs dans la salle répondent : « ce n’est pas nécessaire… nous sommes avec toi, tu peux compter sur nous… ». Le débat a mis en lumière des cas où le contrôle ouvrier n’a pas su empêcher la délinquance économique, ni même les échecs et les fermetures de certaines entreprises.

Il faut impulser un changement qualitatif, tant dans le PSUV que dans les syndicats de manière à ne pas créer, d’un coté de fausses expectatives, de l’autre une incrédulité de la population vis-à-vis de ces nouvelles mesures.

Le « temps gagné » par rapport à la réaction intérieure n’empêche pas l’agression internationale contre la révolution bolivarienne de suivre son cours. Les obstacles posés par les banques internationales – états-uniennes et européennes – qui entravent les rapports entre l’Etat bolivarien et les opérateurs privés internationaux, empêchent l’Etat d’acheter ou d’accéder au crédit. Les actuels gouvernements d’Argentine, du Brésil et du Paraguay manœuvrent pour expulser le Venezuela du Mercosur (Marché Commun du Sud entre l’Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay, Venezuela, Bolivie).

Le répit social obtenu à l’intérieur du pays peut être mis à profit pour élever l’efficacité et l’ampleur de la participation sociale. Les maux dénoncés par Maduro – corruption, bureaucratie, vols et mafias -, ont généré des désillusions et un malaise au sein de la population. Les CPT doivent être en mesure d’obtenir des résultats positifs à très bref délai.

Novembre 2016 – Nos correspondants à Caracas