En France, la démonstration est faite que la gauche gagne quand elle est unie

Contre toute attente le Nouveau Front Populaire (NFP) est arrivé en tête au 2e tour des élections législatives le 7 juillet, déjouant tous les sondages et les pronostics relayés allègrement par tous les grands médias bourgeois qui présentaient le Rassemblement National (RN) comme le premier parti de France et le grand vainqueur de ces élections.

Cette victoire de la gauche, qui a réussi à s’engager dans la bataille de façon unitaire dans un temps très court, sur la base d’un programme commun minimum, est le fruit d’une mobilisation exceptionnelle des forces politiques, syndicales, associatives et citoyennes, des intellectuels, des professionnels de la culture et du spectacle, d’un nombre massif de jeunes, d’habitants des quartiers populaires, ayant à cœur de faire vivre le Nouveau Front Populaire et d’empêcher l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir.

Dès les résultats des élections européennes du 9 juin, où le Rassemblement National a fait le score le plus important avec près de 32% et gagné 30 sièges au Parlement européen, Macron s’est soumis à leurs revendications et annoncé la dissolution de l’Assemblée nationale. Un coup politique très risqué qui a déclenché une consternation générale au sein de son propre mouvement, avec la mise en péril de 250 députés, la mise au chômage de nombreux assistants parlementaires et l’arrêt du fonctionnement des ministères. Loin de faire l’unanimité, cette décision prise sans consultation de la classe politique a généré de l’incompréhension, de la colère, le sentiment d’un saut dans le vide qui allait permettre l’accès du RN au gouvernement et engendrer le chaos.

La « clarification » politique souhaitée par Macron avec l’annonce de ces élections législatives anticipées s’est soldée par un résultat contraire à ses objectifs : un échec cuisant de sa politique, au lieu de rassembler derrière lui, en arrivant en 3e position et en perdant la majorité dont il disposait. Cette situation a provoqué des divisions et des ruptures importantes au sein des forces de la droite et de la bourgeoisie, déjà très affaiblies par les conflits et dissensions internes nés des réformes successives imposées sans réels délais de discussion.

Il y a eu l’éclatement de Reconquête, le mouvement d’extrême droite d’Éric Zemmour, qui s’est séparé de Marion Maréchal – Le Pen, vice-présidente et soutien de cette formation depuis la campagne présidentielle de 2022, pour cause de « trahison » quand elle a annoncé sa volonté de s’allier avec le RN et de revenir dans ce parti qu’elle avait quitté.

Puis ce fut le tour du parti de droite Les Républicains dont son président Eric Ciotti s’est immédiatement rallié au RN, sans consultation de son bureau politique, annonçant que ce ralliement pouvait conduire à un résultat à hauteur de 40 à 45%. De ce côté-là la clarification a été limpide, avec la confirmation qu’un secteur de la bourgeoisie était très proche pour ne pas dire en adéquation avec les positions de l’extrême droite, comme on l’avait vu précédemment avec l’acceptation d’une « préférence nationale » dans le cadre du projet de réforme du logement.

Les médias bourgeois, aux mains des milliardaires et des multinationales, ont normalisé le Rassemblement National comme un parti défendant les valeurs républicaines. Ils ont cherché par tous les moyens à dédiaboliser l’extrême droite, montrant celle-ci capable de conduire le pays. Les forces fascistes sont pour le capital financier la dernière carte pour maintenir le système capitaliste en place, organiser la répression contre la classe ouvrière et les forces de transformation de la société, mais aussi pour se préparer à la guerre.

Ils ont lancé une offensive tous azimuts entre les deux tours annonçant sans vergogne comme une réalité incontournable que Jordan Bardella serait bientôt 1er Ministre. Ils ont développé des mensonges éhontés, créé de faux sites internet contre la gauche, et particulièrement La France Insoumise (LFI), pour tenter de briser l’union.

Pour eux, relayant l’opinion du grand patronat, des investisseurs et de la haute finance, si l’extrême gauche soi-disant « violente, antisémite et antirépublicaine » gagnait, elle allait imposer un ultragauchiste comme Jean-Luc Mélenchon à la tête du pays, c’est-à-dire le diable en personne. Pour Bardella ceci représentait  « l’alliance du pire qui conduirait le pays au désordre, à l’insurrection et à la ruine de notre économie ». Ils dénonçaient le programme du NFP comme s’il était celui de LFI, alors qu’il n’est qu’un contrat de législature à dimension écologique et sociale faisant consensus pour l’ensemble des formations de gauche, comprenant des mesures de transformations échelonnées dans le temps, bien loin du programme plus radical de LFI.

Les électeurs ont balayé tous les mensonges et toutes les tentatives de division au 2e tour, imposant leur volonté d’une autre société plus humaine, plus solidaire, respectant les libertés démocratiques, permettant à tous de mieux vivre à travers des augmentations de salaires, une répartition équitable des richesses, le droit au logement, le retour de la retraite à 60 ans et sur toutes les mesures libérales qui ont été prises au cours des dernières années, les politiques répressives et discriminatoires qui ont fait reculer les conquis sociaux durement gagnés.

Les désistements en faveur du candidat autre que le RN arrivé en tête ont permis de réduire de façon importante le nombre des triangulaires qui après le 1er tour s’élevait à 306 circonscriptions. Dans ces élections Macron n’a pas appelé à faire barrage au RN, contrairement aux élections précédentes où c’est grâce à cette consigne qu’il a pu maintenir son poste. Il déclare que le front républicain n’est plus opportun, maintenant que la gauche arrive en tête, et clarifie sa propre position : celle de la bourgeoisie, du grand patronat et de la haute finance qui préfère l’arrivée de l’extrême droite plutôt qu’un Front Populaire accédant au gouvernement pour développer un programme anticapitaliste.

Pourtant au 2 juillet, 224 désistements de candidats s’étaient déclarés dont 213 clairement pour faire barrage au RN, ne laissant plus que 91 triangulaires. Le report des voix du mouvement macroniste Renaissance s’est effectué en partie vers la gauche, ce qui accroît sa crise politique interne. Mais les voix de gauche ont rendu possible le maintien d’un certain nombre de candidats Renaissance, ce qui repose la question de l’opportunité du front républicain et de son danger politique pour la gauche dans une société où s’accentue l’affrontement violent entre deux systèmes politiques antagoniques ainsi que la porosité entre droite et extrême droite.

La participation beaucoup plus importante de l’électorat a été déterminante dans la victoire de la gauche, même s’il lui manque 90 sièges pour qu’elle ait une majorité absolue à l’Assemblée nationale, mais cet afflux de voix a permis également un fort accroissement de l’électorat favorable au RN.

Ces élections législatives rendent nécessaire une recomposition du paysage politique en France. Mais cette recomposition ne peut se faire au moyen d’alliances contre nature de la part de la gauche. Les forces qui ont mené le NFP là où il est aujourd’hui ne vont pas laisser faire, c’est ce que démontrent les nombreux appels en faveur d’actions concrètes pour construire les résistances des territoires, avec la création d’assemblées populaires permanentes, le renforcement des réseaux de solidarité partout, permettant d’organiser, souder et contrôler les mesures prises par la gauche et l’ensemble des forces politiques au niveau local et national.

Le secteur de la culture dans la manifestation du 15 juin 2024 à Paris

La majorité du pays ne veut pas du RN et de sa politique rétrograde en matière de culture, d’éducation, d’immigration, de restriction des libertés, de politiques sécuritaires.  Les expériences des villes ayant élu un maire Rassemblement National sont suffisantes pour se faire une idée de ce qui attend le pays s’il arrive au pouvoir, notamment pour les associations, les syndicats, le traitement des fonctionnaires, les événements culturels, la réduction des dépenses publiques et des services de proximité, les droits des immigrés.

Si la gauche a obtenu aujourd’hui un répit dans sa lutte contre l’extrême droite, le danger est toujours présent. D’abord parce que les dissensions à l’intérieur de la gauche ne sont pas réglées, ensuite parce qu’il faut prendre en compte le fait que le RN a récolté un peu plus de 10,6 millions dans ce 2e tour des législatives, un score qu’il n’avait jamais atteint jusqu’à maintenant.

Macron a montré clairement son intention de ne pas respecter le résultat des élections dans sa « Lettre aux Français ». Pour l’instant il maintient en l’état le gouvernement antérieur avec Gabriel Attal comme Premier ministre dont il a rejeté la démission, et il peut maintenir ce statu quo pendant un certain temps, notamment pour que les JOP Paris 2024 qui débutent dans une dizaine de jours se déroulent tels qu’il le souhaite.

La gauche discute toujours le choix d’un Premier Ministre qui serait acceptable et accepté. Dans une situation où aucun des blocs constitués n’a la majorité absolue, le NFP doit avoir une stratégie politique fine pour éviter le blocage des motions de censure et essayer d’avancer dans l’application de son programme, alors que des alliances à droite vont se construire pour l’empêcher de gouverner.

Rien ne sera facile. Macron est responsable de cette situation politique chaotique et d’un pays qui pourrait devenir ingouvernable. Tout va être fait pour fracturer le NFP, c’est là que l’organisation de la population dans les territoires et au niveau local sera importante en tant que contre-pouvoir afin d’imposer les projets de transformations économiques, sociales et écologiques nécessaires pour répondre aux besoins de la population et respecter choix des urnes.

Les Posadistes – 13 juillet 2024

Photo de Une : Les Parisiens fêtent la victoire du NFP le 7 juillet au soir Place de la République