Sous écrous depuis le 11 avril 2019, Julian Assange a fait l’objet, en 2020, d’un procès houleux concernant son extradition vers les Etats-Unis. Quelle que soit son issue, celle-ci marquera l’histoire.
633. C’est le nombre de jours qu’aura passé Julian Assange derrière les barreaux de la prison de Belmarsh, au 4 janvier 2021, date à laquelle la justice britannique droit rendre publique sa décision concernant l’extradition du fondateur de WikiLeaks vers les Etats-Unis. « Une décision [qui] ne marquera pas la fin du combat judiciaire : il est quasiment acquis que, quelle qu’elle soit, la décision fera l’objet d’un appel », notait Le Monde en septembre dernier. En attendant, pas une chancellerie occidentale ne s’est indignée de l’affaire en cours, pas une n’a proposé l’asile politique à l’homme qui a participé à rendre possibles les fuites d’informations d’intérêt général les plus massives du XXIe siècle.
Un nouvel appel du rapporteur de l’ONU sur la torture, le 8 décembre, en faveur de la libération du ressortissant australien ; la révélation d’un enregistrement, une semaine plus tard, qui remettait en cause la principale accusation américaine à son encontre ; des rumeurs sur une hypothétique grâce présidentielle qui pourrait lui être accordée par Donald Trump ; un gospel entonné pour Noël devant la prison britannique de haute sécurité où il est incarcéré depuis avril 2019… Voilà le genre d’événements qui auront marqué la cause de Julian Assange fin 2020, soit la dernière ligne droite avant la très attendue décision britannique.
La date s’annonce historique dans un sens comme dans l’autre. En effet, malgré les perspectives d’appel, elle pourrait constituer un pas de géant vers la fin des batailles juridiques menées contre le fondateur de WikiLeaks durant une décennie. Mais elle pourrait également rester gravée comme le jour où Washington, indéfectible promoteur du «monde libre», serait parvenu à faire extrader sur son sol un journaliste australien gratifié de très nombreux prix dans la profession : rien d’autre qu’«un enlèvement prémédité», selon Viktor Dedaj, administrateur du site Le Grand soir, qui se consacre depuis plusieurs années à informer le public francophone sur l’affaire Assange.
En tout état de cause, la justice américaine a formulé à l’encontre du ressortissant australien de nombreux griefs, tels que des violations de l’Espionage Act – une loi fédérale adoptée en 1917 – mais aussi et surtout la mise en danger de vies à travers les publications de WikiLeaks, une accusation plus que jamais contestée. Aux Etats-Unis, Julian Assange encourt ainsi une peine de 175 ans de prison.
La décision de la justice britannique sur l’extradition de Julian Assange vers les Etats-Unis intervient près de trois mois après la dernière série d’audiences de son procès, qui s’est achevée le 1er octobre 2020. La partie américaine était représentée par l’avocat James Lewis, tandis que Julian Assange lui-même n’a pas eu le droit de s’exprimer durant ce procès, qualifié de «politique» par nombre d’observateurs. «Seuls ses avocats pouvaient le représenter et lorsque parfois, il a voulu exprimer une objection, il était immédiatement rappelé à l’ordre par la juge Vanessa Baraitser qui le menaçait d’exclusion», expliquait notre journaliste Meriem Laribi dans son dernier article revenant sur le procès dans son ensemble.
Les épreuves juridiques de Julian Assange remontent à 2010, lorsque les autorités suédoises ont ouvert une enquête pour viol – les poursuites à ce sujet ont été abandonnées en novembre 2019, faute de preuves. «Fait notable», relevait le Syndicat national des journalistes (SNJ) français dans une publication de début 2020 : «Le calvaire juridique du fondateur de WikiLeaks a débuté au mois d’août 2010, au moment précis où, comme le démontrent des documents révélés en 2014 par le lanceur d’alerte Edward Snowden, l’administration américaine venait de solliciter ses pays alliés pour l’ouverture d’enquêtes pénales à l’encontre du fondateur ainsi que des membres de WikiLeaks.»
Quoi qu’il en soit, cet épisode marqua le point de départ d’une série de rebondissements, amenant Julian Assange à se réfugier dans un appartement de la petite ambassade d’Equateur à Londres, où son confinement aura duré 2 487 jours, avant son interpellation par les autorités britanniques, le 11 avril 2019. Depuis, le ressortissant australien est sous écrous à la prison de Belmarsh, un établissement britannique de haute sécurité situé dans la banlieue est de Londres et qui dépend des services pénitentiaires de Sa Majesté. Médecins, journalistes d’investigation et membres de l’ONU ont dénoncé ses conditions de détention.
S’il apparaît comme un cas emblématique des limites de la liberté d’informer au sein du «monde libre», le sort de Julian Assange s’est longtemps heurté à l’indifférence générale des gouvernements occidentaux. De fait, les personnalités qui l’ont jadis encensé – on pense à d’anciennes déclarations de Donald Trump lors de sa campagne présidentielle en 2016, ou encore à certains propos tenus plus récemment par la star du barreau français, Eric Dupond-Moretti, avant sa nomination au gouvernement – ont depuis privilégié le silence sur cette affaire. En novembre 2020, l’écrasante majorité des députés européens rejetait un amendement faisant référence à l’affaire Assange, qu’une eurodéputée irlandaise avait proposé d’incorporer à un rapport consacré à la situation des droits fondamentaux au sein de l’UE sur la période 2018-2019…
Fabien Rives – Article publié par RT en français le 4 janvier 2021
https://francais.rt.com/international/82303-extradition-julian-assange-decision-britannique-amenee-marquer-histoire
Photo : Londres le 9 septembre 2020 par Henry Nicholls – source : Reuters