Grands espoirs d’un front uni de gauche en Grande-Bretagne

Ken Loach a été expulsé du Parti Travailliste pour le crime de « ne pas avoir désavoué les membres travaillistes qui ont été expulsés » et d’avoir dénoncé « une prétendue chasse aux sorcières » dans le parti.

Ken Loach a rejeté avec indignation l’invitation de pouvoir rester dans le Parti s’il désavouait ses camarades corbynistes. De la part de la direction Starmer cette invitation à la trahison souligne l’absence de principe politique ou moral derrière les expulsions.  Sir Keir Starmer (1) ne recherche pas un projet différent de celui relativement socialiste de Jeremy Corbyn : il ne veut simplement aucun projet socialiste. Si le Parti Travailliste est devenu puissant en proposant le changement socialiste, ce n’est pas parce qu’il y a des corbynistes mais parce qu’un changement socialiste est nécessaire.

La criminalité du gouvernement conservateur

Dès le début de la pandémie Boris Johnson s’est préparé à abandonner la population au Covid19, et à ce qu’il a appelé l’immunisation collective. Il est allé de l’avant même lorsqu’on lui disait que des centaines de milliers de personnes mourraient, et il n’a reculé que lorsque les enseignants, les parents et les médecins se sont mobilisés contre lui. En tant que chef du Parti Travailliste Starmer n’a pas dénoncé cette velléité criminelle et a lui-même limogé Rebecca Long Bailey de son cabinet fantôme pour avoir soutenu les enseignants, qu’il a ensuite fait accuser d’antisémitisme à partir de fausses allégations.

Le nombre de camarades travaillistes directement suspendus ou expulsés doit être bien supérieur à 350. La plupart d’entre eux sont des dirigeants clés, locaux et nationaux, qui sont rapidement remplacés aux plus hauts postes du Parti par les vengeurs de la droite hautement motivés. De nombreux camarades de gauche ont été disciplinés par l’utilisation perverse de la soi-disant définition de l’antisémitisme spécifiée par l’IHRA (2), dont personne n’avait entendu parler au début des purges. Tout membre du parti qui soutient un autre camarade faussement accusé, ou qui exige la réintégration complète de Corbyn, est passible d’expulsion. Le parti a récemment publié une liste de quatre organisations interdites et proscrites. L’association même rétrospective avec ces organisations peut entraîner l’expulsion immédiate.

Grands espoirs d’un Front uni de gauche

Ken Loach et ses films brillent dans le monde, en Grande-Bretagne et au sein du Parti Travailliste. Il défend les Palestiniens et dénonce le régime criminel d’apartheid en Israël. En expulsant Ken Loach, la direction de Starmer ne se contente pas de connivence avec les conservateurs, il partage avec eux leur idée dégénérée selon laquelle la vie des Palestiniens n’a pas d’importance.

Le Parti travailliste a perdu quelque 150 000 membres depuis la démission de Corbyn en avril 2020 (3). Ce sont pour l’essentiel des camarades de gauche et socialistes : ils se sont opposés aux guerres impérialistes et coloniales en Irak et en Afghanistan, ils veulent voir la fin de la partition de l’Irlande par l’impérialisme britannique. Ils ont soutenu Corbyn et beaucoup ont quitté le parti maintenant, mais ce dernier conserve encore quelque 430 000 membres. Révoltés par l’iniquité des expulsions, beaucoup de ceux encore au parti décident d’y rester pour lutter. L’organisation Don’t Leave Organize (DLO) regroupe les plus grandes tendances travaillistes de gauche. Deux syndicats ont rejoint ce front tandis que d’importants débats ont lieu dans tous les grands syndicats sur le soutien. Momentum est en crise mais pourrait se joindre plus tard.

La putréfaction de la droite travailliste

Derrière la direction Starmer certains comme Tony Blair et Lord Peter Mandelson ont profité des énormes manifestations des Libéraux-Démocrates droitiers (partisans du Remain), pour ridiculiser publiquement le projet Brexit de Corbyn, pourtant leur chef de parti et candidat au poste de premier ministre à l’époque, et ceci en pleine campagne électorale ! Cette couche travailliste bourgeoise-impérialiste n’est pas grande mais elle est composée de personnages haut placés dans la société. Ils occupent des postes parlementaires prédominants, ils ont de puissants donateurs et le soutien inconditionnel des médias. Ces gens ont été discrédités par la guerre en Irak et maintenant encore plus par la débâcle de l’OTAN en Afghanistan. Leur haine envers Corbyn a révélé leur immense frayeur du socialisme, une peur proche de la panique. Certains d’entre eux admettent encore qu’ils ont tout fait pour que Corbyn échoue, même si les conservateurs en profitaient pour gagner. C’est justement ce qui s’est produit. 

Une telle action est un comble d’immoralité, même selon les normes pourries de la direction travailliste actuelle. De la même manière que l’impérialisme mondial et britannique se tourne vers la violence et la décomposition, ce secteur travailliste bourgeois et impérialiste se putréfie. Son antagonisme envers la transformation socialiste lui fait oublier que les conservateurs ont utilisé leur victoire électorale pour laisser mourir des dizaines de milliers de personnes âgées dans les maisons de repos. Pas un mot de Mandelson à ce sujet. Dans ces cercles bourgeois travaillistes (liés à la finance et aux multinationales) il y a une perte de la perspective travailliste, un désarroi, un abandon du rôle et de l’identité travaillistes.  Ces personnes apportent un certain soutien à Starmer, mais l’appui principal de Starmer provient des bureaucraties du Parti et des Syndicats. Dans le passé, ces bureaucraties maintenaient une certaine autorité sur la gauche travailliste et la classe ouvrière en négociant avec les capitalistes les miettes de l’empire. Aujourd’hui, la dette du pays est de £2.21 mille milliards, et il n’y a plus de miettes.  N’ayant plus rien à offrir à la classe ouvrière pour apaiser les revendications, la bureaucratie du parti et des syndicats réprime directement les idées socialistes.

La liberté d’expression sur la Palestine a été confisquée et les partis locaux sont sous le contrôle administratif des bureaucrates de la direction Starmer. Mentionner le rôle mondial meurtrier, colonial et impérialiste d’Israël et du Royaume Uni vous fait vite expulser pour antisémitisme. L’État capitaliste n’est pas en reste. Il passe rapidement des lois qui criminalisent les opposants de la guerre, ou les enseignants qui utilisent du matériel jugé anticapitaliste dans leurs salles de classe. Pour prouver ses qualifications antisocialistes, la direction Starmer brandit le drapeau et insiste sur la souveraineté du Royaume Uni sur l’Irlande du Nord.

Le rôle du Parti Travailliste dans la visée socialiste

L’art et les idées de Ken Loach placent l’amour de l’être humain au centre de toute son œuvre. La direction travailliste actuelle garde le silence sur le meurtre des seniors dans les maisons de repos. Elle interdit tout appui aux Palestiniens. Elle expulse Ken Loach et elle surveille la vie personnelle des camarades.  Cette direction donne du Parti Travailliste l’image d’un parti qui ne défend plus les valeurs de la classe ouvrière, nationale et mondiale, dont Ken Loach fait état dans tous ses films. Mais à la base des syndicats, sur les lieux de travail et dans le parti lui-même, l’expulsion de Loach n’est pas acceptée, pas plus que l’emprisonnement de Julian Assange auquel le même Starmer a directement contribué. C’est pourquoi certains partisans de Corbyn ont quitté le parti, mais c’est aussi pourquoi beaucoup d’autres sont restés et ont rejoint le DLO.

Le Parti Travailliste est partiellement un parti ouvrier basé sur les syndicats. Des centaines de milliers de personnes ont appuyé Corbyn pour la transformation socialiste du pays et du monde. Parmi ceux-ci, il y a de nombreux juifs travaillistes qui ont la probité et le courage de défendre les Palestiniens, en plus d’éminents dirigeants de la société comme Ken Loach qui sont aussi au parti. Leur présence dans le parti, ne serait-ce que jusqu’à présent, a témoigné de l’espoir et de la possibilité que le rôle traditionnel « travailliste » du parti puisse encore être adapté à un rôle     « socialiste-travailliste ».

Les éléments de dégénérescence qui s’approfondissent dans la direction bourgeoise actuelle du Parti représentent la putréfaction de la classe capitaliste qui laisse le criminel de guerre Blair en liberté, et met le courageux Assange en prison. Il y a une décomposition morale et pas simplement politique dans les cercles supérieurs et les structures bureaucratiques du parti, tout en étant toujours basé sur les syndicats et la classe ouvrière.

Supprimer la pourriture ou s’en éloigner ?

Certains camarades disent que devant la décomposition de la direction, et même dans les structures du parti qui écrasent la liberté, la gauche travailliste et la base syndicale devraient penser à quitter éventuellement le parti pour former un Parti Socialiste.

Il a fallu des générations de lutte pour construire une seule centrale syndicale et un seul parti ouvrier en Grande-Bretagne (cela ne s’est jamais produit ailleurs dans le monde capitaliste). Il y a eu les Martyres de Tolpuddle, le massacre de Peterloo, les Chartistes, 1848, Karl Marx et l’influence de la Commune de Paris, les élections générales de 1922 lorsque les communistes Shapurji Saklatvala et Walton Newbold furent tous deux élus candidats du Parti Travailliste. Sans parler des concessions massives que le capitalisme a dû accorder à la classe ouvrière britannique organisée par les travaillistes après la Seconde Guerre mondiale. Compte tenu de tous ces éléments, la classe ouvrière britannique semble avoir plus de raisons de vouloir éliminer la pourriture de son parti que de tout quitter pour aller en créer un nouveau.

La Russie et la Chine sont entourées militairement par l’impérialisme mondial qui cherche la guerre mondiale avec l’arme nucléaire. Devant ce fait, la classe ouvrière britannique va sûrement éprouver le besoin de préserver la centralisation politique que lui procure son parti.

Dans la situation actuelle immédiate, si le fait de jouer un rôle socialiste de la part des travaillistes n’était pas aussi pressant, et peut-être même imminent, les antisocialistes autour de Starmer se contenteraient de hausser les épaules. Leur violence contre les socialistes du parti montre que la transformation socialiste du parti et du pays est à l’ordre du jour.

Les camarades se demandent comment le parti peut être changé si la plupart des voies pour le faire de l’intérieur ont été fermées. Mais ce n’est pas la structure interne du parti qui a invité 180 000 mille nouveaux membres à s’inscrire en 2016 ! Cela n’a même pas été le fait de Corbyn lui-même. Le mouvement Corbyn a été catapulté à la direction travailliste à partir de sa base, c’est-à-dire à partir des syndicats et surtout des mobilisations répétées de la classe ouvrière de l’époque. Pour effectuer à nouveau un changement dans le parti, la gauche travailliste et le DLO vont devoir s’associer étroitement avec les syndicats et les luttes ouvrières qui reviennent en force.

Bien que la direction de Starmer soit farouchement opposée au changement socialiste du parti, il n’est pas dit que le parti va finir par le suivre. Quand on voit à quel point le Parti Travailliste dépend des syndicats pour son existence, il est probable que Starmer sera remplacé par un leader plus accommodant. Les conservateurs n’ont plus besoin d’un Parti Travailliste mais ont plutôt besoin de se débarrasser de celui-ci.  Ces conditions devraient incliner le parti vers sa base. Pour se maintenir, celui-ci va devoir chercher un moyen, au moins pour une période, d’adapter autant que possible son rôle travailliste à l’objectif socialiste.

Posadists Today – 30 août 2021