Grèves au Royaume-Uni : rassembler les syndicats autour de revendications communes

Les travailleurs du secteur public sont les plus impliqués dans la grande vague de grèves actuelles :  postes et télécommunications, infirmiers et équipes paramédicales, métro et bus, fonctionnaires, enseignants – et bien d’autres. Les cheminots qui entamaient des séries de courtes grèves dès le début de 2022, sont restés la force motrice de l’ensemble du mouvement. Plus récemment, environ 100.000 infirmières du NHS (National Health Service – Système de santé publique) d’Angleterre, du Pays de Galles et d’Irlande du Nord ont organisé une grève nationale de 2 jours. Cette grève sera bientôt renouvelée, et en janvier quelques 64.000 infirmières écossaises les rejoindront. Les docteurs juniors (étudiants en médecine en stage en milieu hospitalier), les enseignants et les pompiers de tout le pays, se consultent pour janvier également.

Devant la demande des infirmières d’une augmentation de salaire de 19%, le premier ministre Rishi Sunak et son ministre de la Santé Steve Barclays se sont montrés choqués et outrés. Ils considèrent cette revendication « inabordable » ; si tout le personnel du service de santé NHS recevait cette somme, il faudrait trouver £28 milliards ! Une telle somme, disent-ils, est non seulement inflationniste, mais elle retomberait sur les 28 000 ménages du pays (les contribuables) qui sont déjà, les pauvres, en grande difficulté. Le taux d’inflation est officiellement de 11,1%, mais il se porte à 14,2% et plus lorsqu’on tient compte de la flambée alarmante des prix des produits de base.

Selon la Living Wage Foundation (Fondation pour le salaire vital), 4,8 millions de travailleurs britanniques (20% de la main-d’œuvre du pays) sont payés en dessous du salaire vital. Des recherches à la bibliothèque de la Chambre des Communes informent que 60% des nouveaux emplois créés depuis mai 2010 n’ont été que dans des secteurs précaires où le salaire horaire est inférieur au quart du tarif horaire médian national.

L’Institute of Health Equality (Institut de l’Equité en Santé) affirme que pour la première fois en un siècle, l’espérance de vie a cessé de croître – et que pour les femmes des zones pauvres, elle a en fait diminué. Les jeunes vivent maintenant moins bien que leurs parents à leur âge, et les familles sont coincées à vie dans des logements privés et précaires.

Le capitalisme fait la guerre aux travailleurs

Les travailleurs des services infirmiers exigent une hausse de 4% de salaire au-dessus du taux d’inflation calculé par rapport aux prix des produits de base, ce dernier étant maintenant plus proche de 15 que de 14%. Le gouvernement s’indigne du total de 19% ainsi produit. Mais les infirmières, pour leur part, considèrent qu’une augmentation de 4% est vraiment peu demander, particulièrement au vu des conditions qui se désintègrent : lourdes journées rendues encore plus pénibles par les pénuries chroniques de personnel, la hausse des cotisations des retraites, les horaires décalés et – horreur – les accusations cinglantes de négligence envers les patients !

En se posant en défenseur du contribuable, le gouvernement Sunak cherche à dresser le grand public contre les grévistes. Ceci échoue remarquablement car le public manifeste son soutien aux grévistes de mille manières. En refusant même de parler à Pat Cullen, dirigeante du syndicat infirmier RCN (Royal College of Nursing) le gouvernement montre son mépris capitaliste et colonial envers une main-d’œuvre mal payée, souvent composée d’immigrés (Inde et Philippines entre autres) qui inclut porteurs, agents de nettoyage, postes auxiliaires. En plus de tout cela, le gouvernement capitaliste n’est absolument pas disposé à laisser les salaires monter avec le coût de la vie.

Grève des ambulanciers et des infirmières en décembre 2022 en Angleterre

Le TUC (Centrale syndicale nationale) estime que plus de 5 millions de travailleurs ont effectué un total de 2 milliards de livres sterling d’heures non rémunérées en 2019 ; et que des milliards sont ainsi prélevés chaque année sur la main-d’œuvre britannique. Dans le service de santé NHS, en novembre 2022, une infirmière sur vingt travaillait pour £7 000 d’heures supplémentaires non rémunérées. Cela représente environ un quart ou un cinquième du salaire d’une infirmière.

Les travailleurs – dont les infirmières – ne sont pas prêts à se saigner pour que les capitalistes puissent consacrer des milliards à la survie de leur système. Si quelque £457 milliards ont été trouvés pour renflouer les banques en 2008, puis quelques £310 autres milliards pour affronter la pandémie, et à présent d’autres milliards pour armer l’Ukraine jusqu’aux dents – on peut trouver £28 milliards pour les infirmières.

Entre tous les syndicats impliqués aujourd’hui dans la grande vague de grèves qui déferle dans tout le pays – de l’Irlande du Nord, Angleterre, Pays de Galle et jusqu’en Ecosse – les revendications tournent autour des mêmes pivots. Que les salaires montent avec le coût de la vie. Que les grèves ne soient pas brisées par les nouvelles lois, et qu’en reconnaissance de son dû à la classe ouvrière, que les capitalistes prennent sur leurs profits et leurs budgets militaires catastrophiques.

Créer dans la grève une plateforme permanente entre les syndicats

En octobre 2020, le FT Adviser rapportait que « le Royaume-Uni n’a connu aucune croissance de salaires réels depuis 12 ans ». En effet, comme la grande majorité des travailleurs britanniques n’ont connu qu’austérité et réductions de salaires depuis 2010, l’inflation actuelle ne saurait provenir de leurs augmentations ! Ceci est sournoisement démenti cependant par les commentateurs officiels pour qui la classe ouvrière est cause constante d’inflation par son avidité.

Face aux divisions qui ont produit 3 premiers ministres en un an, le capitalisme britannique doit, ou bien prendre sur ses profits en cédant à la classe ouvrière, ou bien affronter celle-ci. Pour le moment, c’est la confrontation qu’il choisit. Une loi de service minimum (Minimum Service Order) est en cours d’examen au parlement pour rendre certaines grèves illégales. Cette loi criminalisera les piquets de grève et les syndicats qui feront barrage aux travailleurs d’agences d’intérim et autres casseurs de grève. Originellement, cette loi prétendait ne s’appliquer qu’aux services d’urgence dans les départements transport et santé ; elle est à présent élargie pour contrer toutes les grèves.  En l’absence d’action de la part de la Centrale Syndicale (TUC), la lutte contre le service minimum sera d’autant plus efficace que tous les syndicats se rassemblent pour s’y opposer et pour en parler tous d’une seule voix. 

Le fait que le gouvernement introduit cette loi en grande urgence montre à quel point il craint l’avance du pouvoir ouvrier. En dépit du silence traitre et complice de la direction travailliste, la réaction fébrile du gouvernement prouve la force montante du mouvement de grève. Le capitalisme britannique et son allié travailliste cherchent à imposer silence au mouvement ouvrier au nom d’une « unité nationale » devenue quasi obligatoire, au service de la guerre US-UK-OTAN contre la Russie. Ce qu’ils cherchent par-dessus tout, c’est d’enrayer l’unification anticapitaliste de la population dans tout le pays, à commencer par les syndicats.

Les conditions sont favorables à la création immédiate d’une plateforme permanente entre les différents syndicats pour exiger la défense et la protection du droit de grève que la nouvelle loi entend criminaliser. Ceci sera aussi le meilleur moyen d’inciter la Centrale Syndicale à sortir de sa passivité pour organiser cette lutte !

La profonde signification politique de cette vague de grèves

Le président du Royal College of Emergency Medicine (Collège Royal de Médecine d’urgence), Adrian Boyle, a déclaré à Times Radio qu’il faut lier les centaines de morts évitables nationalement chaque semaine avec les longues attentes de patients devant les hôpitaux qui n’ont plus de lits.

Si les revendications des grévistes portent sur l’argent, le mouvement va bien au-delà. Les infirmières expliquent que ceux qui ne se soucient pas de la vie humaine sont ceux qui font que les hôpitaux manquent de docteurs, de personnel et de lits. Les travailleurs de la police des frontières (syndicat PCS – Public and Commercial Services Union) refusent de repousser les bateaux de migrants dans les vagues[1]. Ils poursuivent actuellement le gouvernement Sunak en justice à ce sujet. Opposés aux Driver Only Trains (trains avec conducteur uniquement), les cheminots veulent que les gardes restent à bord, non seulement pour préserver leurs emplois, mais aussi dans l’intérêt du public et des voyageurs.

Les journaux « de caniveau » comme Time, Sun et Daily Mail ont accusé les dirigeants du RMT (syndicat des cheminots Rail, Mer, Transports) d’être « les idiots utiles » de Poutine. L’un de ces journaux a traité le RMT de « syndicat extrémiste dirigé par une cabale soutenant les meurtres de Poutine en Ukraine ». Ici, le non-dit est qu’un gréviste est un allié de la Russie, et un ennemi de l’OTAN qu’il faut considérer comme traitre au pays. Le dirigeant travailliste Keir Starmer, le même qui a trahi Corbyn, a décrété que sous peine disciplinaire « personne ne doit parler contre l’OTAN lors des réunions du Parti ».

Pour la seconde fois depuis la pandémie, l’armée vient d’être utilisée pour résoudre des problèmes sociaux. Ce n’est pas pour servir le pays que le gouvernement a envoyé des soldats conduire des ambulances et remplacer la police des frontières en grève dans cinq aéroports. De la part du capitalisme, cette mesure illustre sa volonté de confrontation de classe. Elle attise la haine de droite fortement « nazie ». Elle invite certains individus dits « dérangés » à lancer des attaques de rues, comme au temps des fausses accusations d’antisémitisme pour diaboliser le corbynisme. Si aucun groupe de droite n’a encore osé attaquer les piquets de grève, c’est parce que le public soutient les travailleurs en lutte pour une société dans l’intérêt de tous.

Craignant des soulèvements, le gouvernement déclare qu’il mettra de côté 20 milliards pour atténuer l’impact de ce qu’il appelle « la crise du coût de la vie » en subventionnant quelque peu la consommation en électricité, gaz et essence. Il pourrait également décider de subventionner certains loyers et aliments, mais « la crise du coût de la vie » n’est pas une maladie temporaire comme il le prétend. Lorsque l’inflation est élevée, la classe capitaliste se bat bec et ongles pour que la hausse des prix soit répercutée aux travailleurs. Voilà pourquoi Sunak trouve la demande des infirmières « inabordable ».  Les cheminots se battent pour la sécurité des passagers de trains, les infirmiers pour la vie des patients, et les gardes-frontières pour le respect de l’humain. Dans la lutte actuelle, travailleurs et syndicats en lutte sont la force qui œuvre pour la vie digne, non seulement dans le cadre du travail mais pour toute la population.

Devant l’augmentation ingérable des prix des produits de base, il y a communauté d’intérêts entre les travailleurs et le grand public. Ils sont en effet pratiquement les mêmes. Ceci explique la profonde solidarité entre eux, et l’état d’urgence dans lequel le gouvernement se trouve plongé quasi en permanence. Cette vague de grèves démontre que la classe ouvrière et la population s’unissent pour condamner non seulement la gestion du capitalisme, mais son système politique lui-même.

Trouver les £28 milliards dans les profits et les incroyables budgets de guerre

L’Institute for Policy Studies (Institut d’études politiques) affirme « qu’au cours de la première année de la pandémie, les 2 400 milliardaires du monde ont bénéficié d’une augmentation de richesse de 4 milliards d’euros ». Le Sunday Times publie une liste des riches qui montre que pendant cette même période au Royaume-Uni, le nombre de milliardaires britanniques est passé de 147 à 177 – et qu’ils l’ont fait « aux dépens du reste de la société, avec une richesse combinée de 653 milliards de livres sterlings ». Ce n’est pas seulement la classe ouvrière qui se trouve dépouillée par ce pourrissement capitaliste, mais toute la société – et ceci a lieu dans tous les pays capitalistes du monde.

Contre l’esprit et la lettre de chacun des traités internationaux que les États-Unis ont signés, ils ont fait proliférer la bombe nucléaire B61 dans 5 pays européens : Hollande, Belgique, Allemagne, Turquie et Italie. Ces bombes sont actuellement en cours de modernisation, ainsi que l’avion qui les livre – généralement le F35. Le Royaume-Uni, qui dispose de ses propres réserves de B61, reçoit périodiquement des livraisons de F35 en provenance de Lockheed Martin aux États-Unis. Un premier lot de quarante-huit F35 modifiés (F35A et autres) est à présent disponible au Royaume-Uni sous le contrôle des Etats-Unis et de l’OTAN.  Comme le coût d’un F35A est d’environ £64 millions, on imagine les sommes en jeu.

Du 24 janvier au 3 octobre 2022, l’Institut de Kiel a suivi la trace des 93,8 milliards d’euros envoyés à l’Ukraine par 40 pays en aide financière, humanitaire et militaire. Sur ces 93,8 milliards, 52,3 milliards provenaient des États-Unis, 29,2 milliards provenaient de l’Union Européenne, « et 12,3 milliards provenaient d’autres pays, principalement du Royaume-Uni ».

À la télévision nationale, le président du Parti Conservateur britannique, Nadhim Zahawi, a demandé aux travailleurs du NHS d’abandonner leurs grèves et leurs revendications salariales, ajoutant que « cela risque de faire le jeu du président russe qui voulait alimenter l’inflation en Occident ». Si les travailleurs n’ont pas écouté cet avis, c’est parce que leurs salaires (et leurs maintes heures impayées) subventionnent déjà colossalement « la crise du coût de la vie », elle-même exacerbée par les sanctions capitalistes contre la Russie. Les travailleurs n’ont aucune raison de se sacrifier sur l’autel de l’enrichissement des oligarques britanniques, et encore moins sur celui de la guerre de l’OTAN contre la Russie en Ukraine. Sous le chapitre « défense », le Royaume-Uni contribue chaque année aux dépenses de l’OTAN. En 2021, sa contribution était de £60 milliards, et cette somme augmente chaque année.

Piquet de grève RMT en décembre 2022 en Angleterre

En l’absence d’une riposte suffisante de la part de la Centrale syndicale (TUC) et encore moins de la direction travailliste Starmer, l’occasion se présente aux syndicats en lutte de s’associer autour de l’idée que les 28 milliards refusés aux travailleurs du service de santé doivent être puisés dans les profits de la grande finance et dans les budgets militaires constamment en augmentation. Par ce principe, la somme de 28 milliards ne saura s’avérer que hautement « abordable ».

Unissons donc les syndicats autour de leurs revendications communes

Contre la gauche socialiste et anticapitaliste du Parti Travailliste, Keir Starmer maintient un système de proscription qui a chassé ou expulsé quelque 200 000 membres du Parti en trois ans. Par cette action, il a donné un gage sérieux de loyauté au système capitaliste. C’est pourquoi lui, et son secrétaire à la santé Wes Streeting, sont aussi tombés d’accord pour trouver « inabordable » la revendication des services infirmiers ! Les Travaillistes ont 26 points d’avance sur les Conservateurs dans les sondages, mais la classe ouvrière n’a pas peur des capitalistes, qu’ils soient Conservateurs ou autres. La plupart des membres du Parti Travailliste (même ceux qui ne sont pas de gauche) rejoignent les piquets de grève, ou sympathisent avec eux. Ceci montre qu’il n’a pas été suffisant pour Starmer d’avoir expulsé 200 000 membres du Parti. Ces derniers sont d’ailleurs toujours dans la lutte, même s’ils sont à l’extérieur du Parti.

Les forces ouvrières qui ont soutenu la direction Corbyn sont toujours présentes et plus militantes que jamais. Les syndicats vont s’appuyer sur leurs nouveaux dirigeants formés dans les grèves pour faire changer les dirigeants passifs ou collaborateurs. Tous les syndicats du pays sont impliqués dans le grand mouvement de grèves actuel. L’opportunité s’offre pour augmenter et systématiser une plateforme de revendications communes, qu’il faut commencer pendant les grèves et maintenir après celles des prochaines luttes prévues. La base programmatique pour ce rassemblement s’offre d’elle-même :

Respect du droit de grève, contre la loi du Service Minimum

– Indexation systématique des salaires sur le coût de la vie

Financement des revendications sur les profits et les budgets militaires.

Cette vague de grèves n’est pas propre à la Grande-Bretagne. Et ce n’est pas un signe de force capitaliste qu’aux États-Unis Biden ait dû imposer un contrat à 130 mille travailleurs du fret ferroviaire pour les empêcher d’obtenir leurs droits. En France, les cheminots ont organisé une grève nationale contre une offre de la SNCF inférieure à l’inflation. En Espagne, médecins et pédiatres sont en grève illimitée depuis le 21 novembre. En Italie, une grève des transports est en cours. En Allemagne, IG Metal est impliqué dans des grèves de l’industrie automobile à Leipzig et Stuttgart. Des grèves importantes ont lieu en Europe de l’Est comme en Pologne (Solaris) et en Hongrie (étudiants et enseignants).

L’occasion se présente d’unir les syndicats tout en cherchant une unité internationale plus large avec les syndicats d’autres pays, aux USA et en Europe, par exemple. Au-delà de ses revendications immédiates, la classe ouvrière du Royaume-Uni et de tous les pays capitalistes n’entend pas payer les frais de la banqueroute du capitalisme mondial, et les frais de la guerre qu’il prépare à l’échelle mondiale contre les pays – généralement les ex-colonies – qui ne se soumettent plus à lui.

La transformation socialiste du Parti Travailliste passe par une plus grande fusion des grèves avec les mouvements qui se préparent à affronter l’OTAN et à déjouer les guerres meurtrières dont le capitalisme corrompu a besoin pour survivre.

Posadist Today – 12.1.2023


[1] Pushback policy. Marc Serwotka du syndicat PCS (Service Civil) qualifie la politique du Push Back de “illégale, impraticable et surtout d’inhumaine”. Cette objection est un des motifs centraux de la grève dans ce secteur des fonctionnaires du service public.

Photo : Manifestation des enseignants à Edimbourg Ecosse en janvier 2023