La Belgique : synthèse des problèmes mondiaux du système capitaliste

Le texte de J. Posadas que nous publions ci-après, date de 1978. Il reste cependant d’une grande actualité. La difficulté principale de la classe ouvrière, de la population exploitée du pays consiste encore maintenant à affronter les divisions régionalistes et communautaires et la tâche principale des révolutionnaires est de construire le « Front unique pour sortir la Belgique de son état arriéré et pour chasser de sa direction tous les arriérés qui la gouvernent ».

Les photos : manifestation européenne à Bruxelles le 17 octobre 2015 contre le TTIP (traité transatlantique UE – USA)

 2015-10-17 15.25.05

Le capitalisme belge est en semi-liquidation. La Belgique fut une invention du régime capitaliste au 19e siècle. Et maintenant, les capitalistes se disent : « qu’est-ce qu’on en a encore à faire… ». Le capitalisme n’a résolu aucun problème. Le fédéralisme, la division entre Flamands, Wallons, Bruxellois n’a fait qu’approfondir encore la crise : crise de production, augmentation des prix, manque de travail. Lorsque la bourgeoisie avait organisé des nations et des pays, la centralisation avait permis un développement. Par contre, le morcellement actuel signifie un recul, et cela va s’exprimer inévitablement dans les domaines économique, social, scientifique, culturel.

Une des conditions de l’existence du capitalisme, est le fait que celui-ci représentait un progrès par rapport au féodalisme, essentiellement dans la producion, mais aussi dans la capacité de penser, de raisonner et de créer les moyens de son développement. La bourgeoisie se limitait aux frontières de la nation, mais elle faisait au moins des structures nationales. Aujourd’hui, par contre, elle provoque la division entre Flamands et Wallons. Cela n’obéit à aucune nécessité culturelle, scientifique, ni même… sportive. Cela répond aux besoins de petits groupes de la bourgeoisie, qui expriment la crise du système, dans laquelle chacun des groupes essaie d’imposer la défense de ses intérêts locaux en s’accrochant aux questions de nationalité, de langues. Chaque secteur se replie sur des intérêts locaux, partiels et cherche la manière d’avoir des relations pour lui-même, pour faire face à la crise du système capitaliste et affronter les masses du pays.

Cette division du pays fait-elle avancer l’économie ? Ce qui se développe ce sont les intérêts de quelques types, flamands, wallons ou bruxellois, mais pas ceux de la population. La centralisation d’un pays est ce qui permet de coordonner la production, de planifier. Par contre, actuellement c’est le chômage qui augmente, ce sont les prix, les mauvaises conditions de vie et de travail de la population.

Nous sommes contre la division du pays. Nous revendiquons son unité. Le mouvement ouvrier – et les Trotskystes-Posadistes comme une partie de celui-ci – est le principal défenseur d’une conquête démocratique réalisée autrefois par le capitalisme et que celui-ci jette actuellement par-dessus bord. Il provoque une division pour susciter un affrontement au sein de la petite-bourgeoisie et créer artificiellement un antagonisme afin de dévier les préoccupations sociales et économiques des masses et de présenter un programme basé sur les questions linguistiques et les nationalités. Mais pendant qu’elle fait cela, la bourgeoisie poursuit toutes ses affaires comme avant.

Cette division est un coup porté au développement de la culture et de la science. Pendant toute une période historique, la constitution d’Etats nationaux par la bourgeoisie a représenté un progrès par rapport au féodalisme. Mais aujourd’hui, même le maintien de ces états nationaux devient un obstacle au développement. Toutefois, il faut, pour le moins, maintenir ces formes d’Etat pour empêcher une régression plus grande. Aujourd’hui, le capitalisme ne s’intéresse pas à la culture ni à la science, ni à l’art. Il ne s’intéresse plus qu’à la technologie, à la science appliquée en vue de produire du profit, à la guerre.

La régionalisation est une régression du capitalisme, elle exprime également les contradictions inter-capitalistes. L’économie fonctionne dans l’intérêt du profit, on investit en fonction du profit. Ceux-ci sont eux-mêmes déterminés par la concurrence capitaliste mondiale. Le fédéralisme aiguise encore ces contradictions. Il n’y a aucune justification scientifique, culturelle, économique, à cette division. Les raisons économiques invoquées sont totalement fausses. Il n’y a aucun argument, aucune politique indiquant une amélioration par rapport à ce qu’ils faisaient il y a 20 ou 40 ans.

Il y a du scepticisme dans la population. Celle-ci voit que ce sont les mêmes dirigeants qui ont mené à la crise, depuis des dizaines d’années. Il ne faut pas considérer ce scepticisme comme un manque d’intérêt, un abandon. La population se préoccupe de mener des luttes. Mais s’il n’y a pas d’attraction pour intervenir dans la crise politique, c’est que les gens ne croient en aucun de ces partis. Ils ont un manque de confiance dans les partis. Ils ne voient, de la part des partis et des syndicats, aucune politique, aucun programme pour faire face à la situation actuelle.

Faire un programme pour développer l’économie en faveur de la population

Il faut appeler les syndicats à faire un programme contre la crise. Cette crise est économique et sociale, elle s’exprime sous forme de crise politique, parce que ce sont ces partis qui décident. Les syndicats n’ont proposé aucune alternative, ils n’ont rien planifié, ils ont accepté les licenciements, les fermetures d’usines. Cela veut dire une baisse du niveau de vie ! Le capitalisme ne paie les subventions aux chômeurs que très partiellement, il paie chaque fois moins ; mais il doit continuer à le faire de toutes manières, afin de réduire l’aiguisement de la lutte des classes.

Les gens manquent de maisons, de moyens de transports, de systèmes d’égoûts. Et on dit qu’il n’y a pas de marché ? Les syndicats doivent faire un programme pour développer la production en faveur de la population du pays. Alors, les industries que l’on est en train de fermer auront un champ de développement énorme. Il faut faire des hôpitaux, des écoles, des moyens de transport, des installations d’eau courante, des routes, des installations sanitaires, de gaz et d’électricité partout ; il faut accroître la sécurité au travail, améliorer les conditions de travail, lutter contre la pollution et réduire les maladies professionnelles.

Les syndicats et les partis de gauche ne discutent pas de cela, ils font comme si le problème des investissements, des entreprises ne concernait que les patrons. Non ! cela concerne le syndicats. Les questions de développement économique, de salaires, d’emploi sont chaque fois plus unies aux problèmes de la direction politique du pays. Les syndicats doivent certes s’occuper des questions salariales, mais pas exclusivement. Il faut aussi s’occuper des conditions de vie de la population.

Les directions des syndicats et des partis de gauche disent que ce sont les problèmes mondiaux qui empêchent la Belgique de sortir de cette crise. Ce n’est pas exact. C’est leur propre manque de décision et de programme qui empêche de voir comment surmonter cette crise. Il faut discuter de tous ces problèmes, dans les usines, dans les quartiers, dans les maisons et élaborer un programme permettant de créer de l’emploi dans le pays, de développer les échanges commerciaux avec les pays socialistes, avec les pays d’Amérique Latine ou même avec d’autres pays capitalistes. C’est la recherche effrénée du profit qui empêche le capitalisme belge de faire cela.

Il faut faire un appel à l’unification, au front unique de toutes les organisations syndicales et de tous les partis ouvriers – y inclus la démocratie chrétienne – sur la base d’un programme qui exprime les nécessités de la population et avec des actions conduisant à la réalisation de ce programme. La crise va se poursuivre. Il faut centraliser la vie du pays en fonction d’un programme de développement en faveur de la population.

Il faut également accroître les droits démocratiques de la classe ouvrière dans les usines, des travailleurs en général dans leurs entreprises. De même dans les organisations syndicales, il faut avoir le droit démocratique de discuter, de former des tendances, de formuler des propositions, de prendre des initiatives. Il faut développer toute une activité dans laquelle la population voit agir les directions de la classe ouvrière. Son manque d’intervention ne provient pas d’une apathie, mais du fait que les gens ne voient pas de direction, d’activité politique attractive. Alors ils restent dans leur coin.  Il faut poser la nécessité de l’intervention de masses, partout, avec la plus large liberté démocratique, avec un programme anti-capitaliste, un programme de luttes. Il faut montrer la nécessité des étatisations dès maintenant, pour pouvoir planifier l’économie. La science et la culture vont également se développer si l’économie se développe.

Front unique pour sortir la Belgique de son état arriéré et pour chasser de sa direction tous les arriérés qui la gouvernent

Dans tous les pays capitalistes, même les plus développés, il y a un taux très élevé de maladies. Des masses de gens meurent dans des accidents de travail, ou à cause des mauvaises conditions de travail, du stress, de la pollution. Les Ecologistes ont raison de protester contre la dégradation de l’environnement. Mais il faut leur proposer alors de lutter pour des transformations sociales. Il ne peut y avoir d’amélioration de la préoccupation, des relations avec la nature et les animaux, de réduction de la production de déchets, en restant dans le régime capitaliste. Quand ce système sera éliminé, on pourra se préoccuper de produire en vue d’élever culturellement et scientifiquement l’humanité. On ne peut le faire tant que le capitalisme subsiste.

Nous posons la perspective d’une république socialiste en Belgique. Mais dans l’immédiat, il faut proposer une république démocratique : c’est un mot d’ordre qui tend à unir les communistes et socialistes, les groupes de gauche, les chrétiens de gauche. Il faut proposer des mesures permettant le développement de l’économie, en même temps que mener une campagne contre la monarchie. Celle-ci n’a aucune valeur, elle sert uniquement d’instrument pour maintenir de l’autorité sur la petite-bourgeoisie et sur des secteurs populaires plus arriérés des villes et des campagnes.. Elle sert également à maintenir une certaine union au sein même de la bourgeoisie.

Un autre problème important en Belgique est celui de l’absence de droits politiques et syndicaux des ouvriers étrangers. Ceux-ci produisent la richesse du pays, tout autant que les Belges, mais ils n’ont pas de droits politiques. Il faut lutter pour que les ouvriers étrangers aient pleinement le droit d’intervenir dans les élections politiques et d’être candidats. La classe ouvrière pourra ainsi, dans son ensemble, accroître son poids social. Ce manque de droits syndicaux et politiques des travailleurs immigrés résulte d’une alliance entre la bureaucratie syndicale, le patronat et la bourgeoisie, pour empêcher la constitution d’une force sociale qui viendrait renforcer la classe ouvrière. Il faut poser cette revendication.

Le niveau de vie des masses empire, que ce soit au plan économique, social ou culturel. La classe ouvrière voit se réduire ses possibilités d’intervention du fait que les ouvriers immigrés ne peuvent pas participer de plein droit. Les capitaux, par contre, ont plein droit d’entrée au travers des multinationales.

Les ouvriers veulent vivre, ils veulent travailler, se sentir créateurs. Ils veulent participer au développement du pays. Lorsqu’on leur supprime leur emploi, ils se sentent exclus de la vie. Le capitalisme n’a pas intérêt à donner du plein emploi : voilà un recul du niveau de vie. On ne doit pas mesurer le niveau de vie à la seule consommation, mais au fait que les ouvriers ont ou non la possibilité de travailler, donc de participer à la vie du pays.

La division du Parti Socialiste en parti flamand et francophone, provient du manque de vie politique, du manque de programme objectif pour le progrès de la Belgique, lequel ne peut être atteint qu’au moyen des transformations sociales et en défendant les intérêts de la population exploitée. Ce manque de programme a permis que se développe au sein du Parti Socialiste, un courant intéressé au maintien des structures capitalistes. Si ce parti répondait aux intérêts progressistes de la Belgique, c’est-à-dire, au progrès de la lutte anticapitaliste, il n’y aurait pas cette division. Le même problème s’est posé au sein de la quasi-totalité des partis ouvriers et, dans une moindre mesure, dans les syndicats. Il est l’expression d’une arriération politique, sociale et culturelle des organismes, des directions de la classe ouvrière.

La crise du capitalisme en Belgique remonte à de longues années et elle ne va pas se terminer après ces élections non plus. Le capitalisme a pour but d’imposer à la classe ouvrière un gouvernement qui réduise ses conditions de vie, ses salaires, qui augmente la productivité et les heures de travail. Mais justement, les principales conquêtes de la classe ouvrière consistent à augmenter les salaires et à réduire les heures de travail !

Il faut construire le front unique des ouvriers wallons et flamands. Il faut réaliser ce front dans chacune des régions, et entre les régions. Et décider que le mouvement ouvrier doit intervenir dans les usines, sans distinction de communauté ou de parti, en front unique, avec un programme anti-capitaliste. Que soient élus les travailleurs les plus capables et les plus résolus à lutter, ceux qui donnent des idées et soutiennent fermement le combat pour défendre les conquêtes actuelles de la classe ouvrière. Que la classe ouvrière se présente avec un programme qui dispute au capitalisme la conduite du pays. Si ce pays est en crise, c’est le capitalisme, et non les ouvriers, qui l’y a conduit. Que les ouvriers lui disputent la direction de la société, en front unique entre partis – socialiste, communiste, chrétien de gauche- et syndicats.

J. POSADAS  21.11.1978