Depuis quelques mois la France mène une politique de plus en plus à droite, dans laquelle l’extrême droite trouve à jouer un rôle prépondérant. Cette situation s’est aggravée depuis le 7 octobre 2023 et l’attaque du Hamas contre Israël, où le discours dominant voit toute mobilisation en soutien au peuple palestinien comme une attaque antisémite et un appui au terrorisme.
La situation de guerre au Moyen-Orient accentue l’intervention autoritaire du gouvernement français avec une prise de position clairement définie par « le droit à Israël de se défendre ». Elle ne fait aucune référence aux atrocités que subit la population palestinienne depuis des dizaines d’années, du fait de la politique de colonisation forcée de la région, alors que le monde entier se rend compte des crimes et du génocide perpétrés contre celle-ci par le gouvernement israélien.
Les libertés fondamentales sont attaquées en France par ceux qui prônaient il n’y a pas si longtemps la préservation des libertés démocratiques et le devoir de faire barrage à l’extrême droite. La réalité est maquillée, une partie de la gauche et notamment la France Insoumise est diabolisée du fait de son refus de qualifier le Hamas de mouvement terroriste, tout est fait pour diviser et la situation mondiale sert de prétexte pour imposer de nouveaux projets de loi qui vont à l’encontre des libertés fondamentales défendues auparavant.
Le projet de loi « Immigration, intégration et asile »
Le projet de loi sur l’immigration, l’intégration et l’asile proposé par le Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, met fin à l’universalité des droits et de l’égalité pour les étrangers et prend des mesures encore plus restrictives que les lois précédentes. Elles vont dans le sens de la xénophobie et du « grand remplacement » posé par certains mouvements d’extrême droite, avec au centre la lutte contre l’islamisme. C’est par exemple la « préférence nationale » et la déchéance de nationalité, mesures chères au Rassemblement National, qui remettent en cause le droit du sol, les restrictions au droit de séjour et au droit d’asile, au rassemblement familial. Ce sont des mesures qui facilitent les expulsions immédiates, l’élimination de l’aide médicale et les droits à l’accès à la santé, et qui limitent en même temps les possibilités d’hébergement et la protection des mineurs.
La crise politique a conduit à l’arbitrage du Conseil Constitutionnel qui a censuré 35 articles de la loi. Mais en fait la censure n’a eu lieu que sur ce qu’on appelle « les cavaliers législatifs », c’est-à-dire tout ce qui a été ajouté par les parlementaires et qui n’avait rien à voir avec l’objectif du document initial. La gauche a salué ce fait comme une victoire, mais où est celle-ci ? Rien n’a été fait pour éclaircir la situation et réduire le durcissement des conditions de séjour des étrangers en France, dont l’essence voulue par Darmanin reste toujours inscrite dans le texte de loi.
Les débats houleux à l’Assemblée nationale sur le projet de loi et la révision du Conseil Constitutionnel n’ont pas empêché sa promulgation le 26 janvier dernier, avec l’alliance de la droite et de l’extrême droite. Cette situation a signifié une crise politique extrême : des oppositions et des fractures ont été mises à jour au sein du Parti socialiste, de la droite macroniste et de son parti Renaissance, mais aussi des centristes du Modem, entraînant plusieurs démissions de ministres. Dans certaines régions et départements des élus ont déclaré qu’ils refusaient les mesures allant dans le sens de « la préférence nationale », qu’ils n’appliqueraient pas la loi pour ce qui concerne celles restreignant les prestations sociales comme les allocations d’autonomie pour la raison qu’il s’agit d’aides universelles.
Le vote des Républicains et du Rassemblement National en faveur de cette loi a été perçu comme une victoire idéologique de l’extrême droite. Mais elle ne va résoudre aucun des problèmes qui se posent aujourd’hui dans le monde avec les guerres et les conséquences des dérèglements climatiques, qui vont mener à des catastrophes humaines terribles en obligeant des populations à partir de leur pays d’origine et à trouver les moyens de survivre ailleurs.
La haine xénophobe que sous-tend cette loi signifie à terme la dégradation des droits de toutes et de tous. La situation a rendu visibles des actions violentes de mouvements extrémistes et néonazis qui se sont sentis renforcés pour agir au grand jour et en toute impunité. Ils ont causé des dégâts importants dans plusieurs villes, prenant des maires pour cibles au moyen d’agressions ou de harcèlement, en poussant certains à la démission, ou des locaux d’associations de défense des migrants.
Le remaniement ministériel intervient dans ce contexte de crise. Le nouveau premier Ministre, Gabriel Attal, a nommé 4 personnalités de droite aux postes ministériels, au lieu de favoriser les soutiens de Macron et de son parti Renaissance, accentuant encore un peu plus le malaise et la crise politique au sein de la majorité. Une quarantaine de députés de l’aile gauche de Renaissance et de ceux qui étaient opposés à la loi immigration, ont pris leur distance et parlent de créer un nouveau groupe parlementaire qui serait autonome.
La colère du monde agricole
L’expression de la droite s’est également fait sentir dans l’instrumentalisation de la colère des agriculteurs depuis le début de l’année. Le mouvement mené par le syndicat agricole de droite dominant, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), avec le soutien des Jeunes Agriculteurs (JA), ont revendiqué la nécessité de faire sauter les normes administratives et les règles du droit à l’environnement, ce qu’ils nomment de façon caricaturale « l’écologie punitive », de revoir la Politique agricole commune (PAC) et les accords de libre-échange signés par l’Union Européenne. C’est la position exprimée par les grands groupes et les multinationales de l’agroalimentaire, de la grande distribution, des grands propriétaires. A ce mouvement s’est ajoutée la Coordination Rurale, encore plus à droite, qui a mené des actions d’une extrême violence contre les biens et les personnes.
La colère des agriculteurs n’est pas nouvelle, elle est le résultat de politiques publiques libérales et de directives de l’Union Européenne, qui ne mettent pas au centre la question sociale et le fait que les paysans doivent pouvoir vivre dignement de leur travail. Cela signifie développer une autre conception de la société qui permet de redéfinir les relations entre producteurs, transformateurs, distributeurs afin de rééquilibrer les choses, d’agir sur les conditions de l’endettement et de sortir du productivisme, ainsi que sur les conditions de travail de la main d’œuvre agricole.
La concentration est à l’œuvre dans le monde rural. Plus de 100.000 petites exploitations ont disparu en France dans les dix dernières années. Les petites structures ne peuvent concurrencer les gros exploitants qui font de l’agriculture intensive, comme les grands céréaliers et betteraviers, et les chiffres montrent que 20% des agriculteurs se trouvent sous le seuil de pauvreté alors que les profits de l’industrie agroalimentaire ont plus que doublé, passant de 3,1 milliards à 7 milliards d’euros.
L’agriculture intensive utilise les pesticides pour accroitre la production, détruisant les écosystèmes, tuant la biodiversité et tout ce qui est vivant, y inclus les agriculteurs eux-mêmes qui subissent de graves problèmes de santé avec l’usage des produits phytosanitaires, les pollutions de l’air et de l’eau, et meurent prématurément de maladies graves. Selon un appel récemment lancé par 13 mutuelles, 23 millions de français souffrent de maladies chroniques et de cancers à cause de l’exposition aux pesticides (60.000 tonnes utilisées par an) mais aussi à l’amiante (200.000 tonnes toujours présentes aujourd’hui dans les bâtiments).
Il y a un besoin vital d’une autre politique autour de l’agriculture paysanne qui permette de nourrir la population sainement, sur la base de prix justes pour les agriculteurs, ce que défendent la Confédération Paysanne et d’autres structures associatives qui cherchent à acquérir du foncier pour l’installation de jeunes agriculteurs qui veulent s’organiser autour de nouvelles relations de travail plus solidaires.
Le nouveau gouvernement s’est retrouvé en pleine crise du monde agricole, avec l’obligation de gérer les blocages de routes par les tracteurs, les dépôts de lisier devant les mairies, les préfectures et bâtiments administratifs. C’est ainsi que les mesures prises pour satisfaire les agriculteurs vont à l’encontre des mesures nécessaires à la transition écologique : retour de l’utilisation des pesticides interdits, pause du plan Ecophyto, abandon des indicateurs permettant de mesurer les doses de substances actives utilisées par hectare, réduction des délais de recours à deux mois contre les installations des méga-bassines, simplification des mesures administratives et environnementales.
Les agriculteurs liés à la FNSEA ont donc une partie de leurs revendications satisfaites, mais à quel prix ! Les mouvements de lutte pour l’environnement, notamment contre la privatisation de l’eau par ces mêmes agriculteurs à l’aide de l’installation de méga-bassines, ont quant à eux écoper de lourdes peines de justice, allant jusqu’à plusieurs années de prison, pour avoir osé mener des actions qui se voulaient non violentes. Deux poids – deux mesures, c’est ce qu’applique le gouvernement dans sa politique libérale, notamment dans le cas des mobilisations d’agriculteurs.
L’Europe et l’approche des élections
On assiste donc à un retour en arrière important en France mais aussi au niveau européen où la pression de la droite et de l’extrême droite est à l’œuvre. C’est le cas pour le projet sur la « restauration de la nature » qui est mis à mal par une directive du Parlement Européen, avec une proposition de la Commission européenne de réautoriser le glyphosate sur une période de dix ans et une possible introduction dans le pays d’OGM nouvelle génération. Ces mesures ont le soutien des multinationales comme Unilever, Nestlé, Coca Cola. C’est l’ensemble du « Pacte Vert » qui est remis en question car déclaré trop contraignant par ces grands groupes qui détiennent le pouvoir dans le secteur agricole.
Les intérêts capitalistes sont aux commandes dans un climat de crise et de non maîtrise de la situation où la population se révolte partout, menant de nombreuses luttes pour obtenir de meilleures conditions de vie et contrer les effets des dérèglements climatiques. Les agriculteurs expriment leur colère dans une grande partie des pays européens : Allemagne, Pologne, Roumanie, Pays-Bas, Espagne, Belgique. Un communiqué de 6 centrales syndicales européennes fait état d’une situation devenue insoutenable, qui peut compromettre la survie des producteurs de l’Union Européenne.
Dans la préparation des élections européennes il semble que pour l’instant seule l’extrême droite soit en mesure de mener campagne. C’est ce que montre la création d’alliances entre partis d’extrême droite dans plusieurs pays européens, comme en Italie, en Espagne, en Pologne, aux Pays-Bas, en Hongrie, en Slovaquie, afin de rafler le maximum de voix et de sièges au Parlement Européen. Jour après jour les sondages cherchent à démontrer que le résultat de ces élections 2024 est entre les mains des mouvements populistes et d’extrême droite avec un score qui serait aux alentours de 30% des voix.
La crise s’aggrave avec le contexte de guerre aux portes de l’Europe et la concurrence que représentent les importations de denrées agricoles d’Ukraine qui font chuter les prix et affectent les revenus des agriculteurs. Cependant L’Europe a voté dans le cadre de la Défense un budget de 50 milliards d’euros d’armement à l’Ukraine, avec le soutien des grands groupes industriels, aux dépens des conditions sociales et environnementales, sans le consentement des parlements et encore moins des populations. Et ces mêmes pays osent toujours se proclamer seuls défenseurs des libertés démocratiques !
Le Ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, a annoncé le 18 février dernier des coupes budgétaires immédiates des crédits alloués d’un montant de 10 milliards d’euros qui touchent tous les secteurs – jeunesse et vie associative, fonctionnement de l’Etat, éducation nationale, transition écologique, culture, etc. – pour répondre à l’objectif de réduire le déficit et tenir compte « du nouveau contexte géopolitique » concernant l’Ukraine et le Moyen-Orient. Mais il n’évoque pas l’accord de coopération signé entre la France et l’Ukraine, à la suite des engagements du G7 au dernier sommet de l’OTAN, qui concerne 3 milliards d’aide supplémentaire sur dix ans destinés à l’Ukraine dans sa guerre contre la Russie.
Dans ce contexte où la droite emboîte le pas au Rassemblement National, qui défend là deux de ses sujets de prédilection – la lutte contre l’immigration et contre la transition écologique – et où Macron et son gouvernement montrent clairement leur volonté d’avancer dans l’escalade de la guerre, on pourrait s’attendre à un grand nombre de réactions des partis de gauche. Mais celles-ci tardent à venir en raison de la grande confusion qu’ils affichent dans leurs prises de position sur ces questions qui ne sont pas que géopolitiques mais concernent la stratégie pour abattre le système capitaliste et construire une autre société fondée sur les valeurs du socialisme.
La gauche en France part complètement divisée dans ces élections, n’ayant trouvé aucun accord pour mener une liste de rassemblement. Ceci donne l’impression d’un certain renoncement alors que la crise du capitalisme n’a jamais été aussi profonde.
Les Posadistes – 29 février 2024
Photo de la Une : Les agriculteurs bloquent la ville de Nantes le 25 janvier 2024