La situation mondiale et la régénérescence partielle de l’Etat ouvrier

Le texte que nous publions ci-après est le prologue du livre de J. Posadas que les Editions Internationales Science, Culture et Politique ont publié en langue espagnole en octobre 2025, intitulé : De « La Révolution trahie » à la régénérescence partielle de l’Etat ouvrier ».

Image réduite de la couverture du livre en langue espagnole

La troisième guerre mondiale, que le système capitaliste se prépare désespérément à lancer contre l’humanité, est au centre des préoccupations de tous les secteurs progressistes de la société mondiale. Il est urgent de développer les instruments pour affronter cette situation très critique afin qu’elle conduise, non pas à la « fin de l’histoire » mais à la fin de ce régime capitaliste.

Pour cela, il est essentiel de comprendre le rôle de l’Union soviétique depuis 1917, son triomphe en tant que premier État ouvrier ainsi que le véritable niveau de sa déstabilisation en 1992. La Quatrième Internationale Posadiste l’a décrite comme une désintégration partielle. Il est également nécessaire de comprendre et d’observer tout ce qui subsistait de l’État ouvrier soviétique dans la Russie post-1992 et aujourd’hui.

Notre maison d’édition a déjà publié plusieurs textes de J. Posadas à cette fin, parmi lesquels « L’État ouvrier et la société socialiste » (1968), « L’Union soviétique, l’expérience historique et le programme essentiel pour la construction du socialisme » (textes de 1968 à 1981, date de sa mort). Dans la publication actuelle, nous présentons trois textes appartenant à ces livres, se concentrant sur le thème de la « régénérescence partielle » qui s’est exprimée en URSS après la Seconde Guerre mondiale, et qui a commencé dès la même guerre lorsque le peuple soviétique a vaincu les troupes nazies à Stalingrad et en général dans leur défense inconditionnelle de son État ouvrier. C’est J. Posadas qui a vu, à la fin de la Seconde Guerre mondiale et de la propagation de la révolution dans les pays d’Europe de l’Est, même sous le format de l’appareil soviétique, que les conditions avaient été créées pour une régénérescence des États ouvriers, qui n’excluait pas la révolution politique comme moyen d’éliminer la bureaucratie.

Les nouvelles relations de force mondiales favorables à la révolution signifiaient que la bureaucratie, pour justifier sa fonction de couche dirigeante de l’État ouvrier, devait défendre l’expansion du processus révolutionnaire au niveau mondial parce que son existence même en dépendait. Pour cette raison, J. Posadas a qualifié la régénérescence des États ouvriers de « partielle » car le soutien au processus révolutionnaire n’était pas un moyen d’étendre le système des États ouvriers, mais un moyen de justifier leur usurpation du pouvoir politique.

Dans la préface de la publication du livre « L’Union soviétique », nous disions : « Aujourd’hui, la bureaucratie n’a pas pu restaurer le capitalisme, elle n’a pas été transformée en une classe bourgeoise et le plus qu’elle ait pu faire a été de serrer la main de petits secteurs mafieux bourgeois sans possibilité de développement capitaliste car ils ne peuvent pas rivaliser avec le capitalisme mondial. Ces secteurs ne peuvent être que transitoires. Le leadership d’Eltsine survenu en 1992, après la dissolution de l’URSS par Gorbatchev, n’a historiquement pas duré une minute. Leur intention de vendre la richesse de l’Union soviétique au capitalisme mondial et de démanteler complètement l’Union des Républiques soviétiques était en contradiction directe avec le vote des masses soviétiques lors du référendum de 1990, auquel 80 % de la population a participé....

Les masses se sont battues d’une manière qui limitait les possibilités de l’impérialisme pour tirer parti de la situation, poussant Poutine à reprendre le contrôle de l’État sur des ressources naturelles stratégiques comme le pétrole, coupant ainsi la reddition au capitalisme… La direction de Poutine n’a pas suivi la ligne d’Elstine. Dans le monde, la Russie et la Chine contribuent au développement de l’Amérique latine, de l’Asie, de l’Afrique et du Moyen-Orient, par des accords économiques et militaires qui aident les peuples à poursuivre leurs luttes révolutionnaires ou à résister à l’impérialisme. »

En 1992, l’impérialisme s’est précipité pour revendiquer la victoire mais, après avoir remporté de nombreuses « révolutions de couleur » et intégré presque toute l’Europe à l’OTAN, y compris des nations « neutres », les « révolutions de couleur » se sont épuisées. Les provocations contre la Russie ont des effets douteux, les sanctions économiques ont des effets dévastateurs pour ceux qui les appliquent.

Et qu’en est-il de l’économie russe ? Au fil du temps et à mesure que des problèmes économiques apparaissent induits par l’impérialisme et ses satellites, le gouvernement russe doit remédier à la situation en reprenant la nationalisation des secteurs stratégiques de l’économie, en planifiant la production, en élevant le niveau de vie de la population dans la santé, l’éducation, les salaires, les retraites.

Il est nécessaire de revenir à la période des sept premières années de l’URSS, aux principes avancés par la conception marxiste de ce que représente le socialisme comme « l’étape inférieure du communisme », afin de comprendre que l’Union soviétique n’était pas encore le socialisme déjà abouti. D’où la définition de l’État ouvrier comme une phase de transition vers le socialisme, puis vers le communisme lorsque les conditions mondiales le permettent. De ce manque de compréhension naissent des déformations, des erreurs dans la localisation des mouvements communistes et socialistes, des politiques de conciliation avec le système capitaliste, mettant de côté l’objectif central de la lutte anticapitaliste et la prise de pouvoir par la classe prolétarienne pour réaliser des transformations sociales.

Comprendre la guerre actuelle en Ukraine est crucial. L’Ukraine est au centre d’une confrontation mondiale entre deux systèmes antagonistes qui ne s’est pas arrêtée à la dissolution temporaire de l’Union soviétique. Comment expliquer une telle haine de la Russie par les États membres de l’OTAN, qui la placent à la tête de « l’Axe du Mal », suivie de la Chine, de l’Iran et de la Corée du Nord ? Comment traiter ces pays considérés comme des ennemis « systémiques » ? Les pays capitalistes qui se qualifient de « défenseurs de la démocratie » en viennent à la criminalisation des opposants politiques et à des formes fascistes d’intervention et de répression contre leurs propres populations définies comme des « ennemis de l’intérieur » par l’OTAN.

Le système capitaliste génère des guerres et des conflits pour se maintenir et défendre ses intérêts privés. L’aggravation de sa propre crise s’exprime dans l’objectif de soutenir l’Ukraine à tout prix face à la Russie, dans cette obsession de désigner ce pays comme « agresseur ». Il faut se rappeler que la guerre oppose l’OTAN à la Russie et que le gouvernement actuel de l’Ukraine est le résultat de coups d’État, de guerre civile, de plans visant à détruire la population russe de Crimée et du Donbass fomentés par l’OTAN, ainsi que de plans de sanctions et de destruction de la Russie.

Revenir à cette situation en Ukraine et à sa caractérisation objective peut changer beaucoup de choses dans les relations de forces mondiales, empêcher, entre autres, l’appel des organisations européennes de gauche à s’unir au capitalisme par nécessité de réarmer l’Europe contre la Russie. Le fait que de nombreux secteurs du mouvement communiste considèrent la Russie comme impériale et capitaliste a ralenti l’organisation de la lutte internationale contre les véritables bellicistes, organisée sous le commandement de l’OTAN pour se préparer à la guerre mondiale.

L’Opération militaire spéciale lancée il y a trois ans par le gouvernement russe fait partie d’une phase de régénérescence partielle de la direction du gouvernement russe qui a pris la décision de confronter l’impérialisme et sa branche armée l’OTAN, pour défendre les principes et valeurs issus de l’État ouvrier. Une telle décision est aussi le résultat d’une impulsion puissante issue de l’expérience soviétique.

La Russie n’est pas un pays capitaliste, et encore moins avec un objectif impérial de conquérir de nouveaux pays et territoires, ni d’envahir l’Europe comme le montrent la presse et les médias capitalistes. C’est l’impérialisme exprimé dans l’OTAN qui dans ce conflit en Ukraine force la direction ukrainienne à céder toutes ses ressources minières aux États-Unis en échange de leur soutien militaire et financier. D’autre part, la Russie défend sa population dans le Donbass, en Crimée, dans cette guerre civile en Ukraine depuis 2014, et a répondu à la demande du peuple de la péninsule qui a voté à la majorité lors d’un référendum pour rejoindre la Fédération de Russie, ce que la direction ukrainienne n’a jamais pris en compte.

L’État ouvrier s’est développé sur des principes très importants : nationalisations, planification économique, monopole du commerce extérieur. Mais il a aussi besoin de la démocratie la plus complète, qui fut l’intervention des soviets dans laquelle la population, les syndicats, les coopératives et tous les organes culturels existants discutaient et prenaient des décisions. La définition du concept de « dictature du prolétariat » est d’une grande importance et doit être prise du point de vue marxiste. Cela signifie une forme d’organisation qui permet la lutte pour l’abolition de l’État, du pouvoir des bureaucrates, et l’accès à la construction d’une société sans classes ayant l’égalité sociale.

La renaissance des États révolutionnaires, et en particulier le processus révolutionnaire en Afrique (Burkina Faso, Mali, Niger plus récemment) est la manifestation du conflit mondial qui oppose les orientations économiques du capitalisme décadent, non seulement dans le domaine économique mais aussi militaire, au domaine de l’économie planifiée. Bien qu’elle ait commencé comme une demande de développement économique elle ne peut être atteinte qu’avec la participation des États ouvriers.

La participation des économies de la Russie et de la Chine en Afrique propulse les nations africaines au plus haut niveau des économies des États ouvriers, avec l’application de technologies que seuls la Chine et en partie la Russie possèdent, un exemple clair de la manière dont la révolution permanente en Afrique est présentée, « de la tribu au socialisme » et à l’économie planifiée. Ceci est incompatible avec la démocratie bourgeoise, ce qui explique pourquoi des gouvernements révolutionnaires se forment dans les nouvelles nations africaines, et que l’idéologie révolutionnaire gagne du terrain dans ces gouvernements.

L’unification Russie-Chine modifie l’équilibre des forces mondiales au détriment d’un impérialisme mourant qui perd sa fonction dans l’histoire. Le rôle de premier plan de la Russie-Chine dans la construction des BRICS et la nouvelle voie chinoise contre l’hégémonie américaine sont de nouveaux facteurs qui contribuent à contrer la fureur de l’impérialisme. Le génocide perpétré à Gaza par le gouvernement fasciste de Netanyahou, soutenu par les Yankees, cherche par la faim, la terreur et le meurtre, à paralyser et intimider la population en préparation d’une guerre contre l’humanité. Pendant ce temps, les États ouvriers et révolutionnaires montrent qu’un autre monde, celui de la justice sociale, de l’intelligence et de la raison, est possible.

En Amérique latine aussi des États révolutionnaires ont été maintenus ou développés dans de nombreux pays. L’exemple le plus important est le Venezuela, mais aussi la Colombie, le Nicaragua, Cuba. Ces pays ont fermement soutenu la résistance du peuple palestinien, ont voté à l’ONU pour la reconnaissance de leur État, et les présidents Petro et Maduro proposent l’organisation de brigades militaires, à l’image des Brigades internationales contre le fascisme espagnol en 1938. Petro propose la sortie de l’OTAN de son pays et la fermeture des bases militaires yankees.

La République bolivarienne fait face aux attaques de l’impérialisme américain et organise la résistance avec toutes les forces du peuple tout en élaborant les mesures pour progresser vers le socialisme.

C’est à Caracas que l’Internationale Antifasciste pour un Nouveau Monde est née en septembre 2024, avec la participation de milliers de représentants de mouvements progressistes issus de 97 pays afin de stopper les plans réactionnaires de l’impérialisme et de l’OTAN. Face à l’agression militaire contre le Venezuela et aux tentatives de l’impérialisme d’envahir les Caraïbes, la Russie et la Chine défendent la souveraineté du pays, avertissant le gouvernement américain de ne pas aller plus loin sous peine d’intervenir.

Tous ces progrès à l’échelle mondiale montrent qu’il n’y a pas de volonté impérialiste, ni de rétablissement du capitalisme en Russie ou en Chine, et qu’ils sont des conséquences de la régénérescence partielle des États ouvriers.

La présence de Nicolas Maduro à Moscou lors du Jour de la Victoire, le 9 mai 2025, a mis en lumière l’unité croissante entre les États révolutionnaires tels que le Venezuela et les États ouvriers de Russie, de Chine, de Corée du Nord et de Cuba. Cela montre que les conditions sont créées pour un retour à l’internationalisme prolétarien et à une Internationale communiste. Elle reflète la confiance de l’humanité face à la guerre nucléaire et en son propre avenir.

Il n’existe aucune comparaison possible entre les politiques russes des années 1990 et celles d’aujourd’hui. La décision du gouvernement de Poutine de prendre en charge la tâche d’écraser le nazisme, et cette fois à l’échelle mondiale, est une preuve forte d’une régénérescence partielle de la Fédération de Russie. Cela montre que, malgré ses efforts acharnés, l’impérialisme n’a pas réussi à éradiquer toutes les racines et expériences de l’État ouvrier soviétique.

Cette régénérescence de la Fédération de Russie n’est pas une initiative de la direction de Poutine. Cependant cette direction estime que, pour vaincre l’impérialisme et sa guerre nucléaire, elle doit récupérer et renforcer les principes fondamentaux de l’État ouvrier établis durant les sept premières années de l’opération soviétique en URSS – des principes qu’aucune guerre ni violence n’a pu éradiquer.

Il est donc nécessaire de soutenir cette régénérescence, en proposant l’unification des Internationales antifascistes existantes. On peut aussi contribuer en reprenant la proposition d’Hugo Chávez pour une Cinquième Internationale.

C’était déjà la perspective que J. Posadas donnait lorsqu’il prônait « l’Internationale communiste de masse » ou « l’Internationale de l’Humanité ».

Les éditeurs – Octobre 2025

Photo de une : rencontre de Vladimir Poutine et Ibrahim Traoré lors du sommet Russie – Afrique à Moscou le 28 juillet 2023