Le « lava-jato » argentin (nettoyage de la corruption) sert à cacher les mesures néolibérales catastrophiques de Macri. Le pouvoir judiciaire, aux ordres de l’exécutif, et en coordination avec les médias dominants, décide de lancer tout un cirque à partir de nouvelles fournies par le journal argentin La Nacion sur les soi-disant « cahiers K » (cahiers de la corruption). Ce même journal parle également de la crise économico-sociale galopante et incontrôlable du gouvernement actuel. Le journaliste révèle qu’un ministre lui aurait déclaré : « Puisque le peuple n’a pas de pain, qu’on lui donne du cirque ».
En préambule à cette situation il y a eu la visite de Christine Lagarde du FMI. Dans un climat de haute tension sociale le FMI cherche à imposer au gouvernement argentin des mesures d’austérité de même type que celles dont a souffert la Grèce, parce que le pays n’arrête pas de s’endetter, aujourd’hui pour l’équivalent de 30 milliards de dollars. Le FMI veut exiger plus de contrôles, veut que Macri donne des garanties de paiement, qu’il exécute des coupes sombres dans les salaires, dans la Sécurité Sociale, et toutes les autres dépenses de l’Etat.
Dans la même période une autre information est mise en lumière, le fait que 269 membres du gouvernement actuel occupent 890 postes dans des entreprises privées, alors que tout le pays fourmille de grandes protestations contre les augmentations des prix, contre le chômage, les coupes sombres dans l’Education publique et l’appauvrissement alarmant.
D’autre part, en croisant leurs informations le groupe « Journalistes pour la vérité » (groupe de gauche menant des enquêtes ayant un programme télévisé nommé El Destape) a dénoncé une falsification des listes électorales de Cambiemos-PRO (coalition de droite ayant mené Mauricio Macri à la présidence en 2015). Dans la banque de données ils ont trouvé 3500 donations de citoyens qui étaient fausses et dont les identités avaient été volées dans les archives administratives. Beaucoup de victimes de cette falsification ont témoigné n’avoir jamais fait une quelconque donation ni contribuer au financement du parti politique Cambiemos.
C’est dans ce climat qu’éclate le scandale à propos des mystérieux « cahiers K ». Personne ne doute qu’il s’agit d’une manœuvre du pouvoir en place pour détourner l’attention de la population du désastre économique et de la faillite politique du gouvernement Macri. Celui-ci se trouve face à une désertion croissante de sa base électorale et crée une espèce de « lava-jato » argentin contre la gestion de Cristina Kirchner, en sortant de son contexte la réalité de certains faits de corruption de hauts fonctionnaires de Cambiemos.
On a déjà vu ce film au Brésil : le jugement médiatique du journal Globo dit lui-même que ce sont des attaques sans preuve mais qu’ils sont convaincus qu’elles sont vraies, contre l’ex président Lula Da Silva. Le 1er août en Argentine on a ressorti ce film avec d’autres acteurs. Au petit matin une méga opération policière a arrêté 14 personnes (ex membres du gouvernement kirchneriste et quelques entrepreneurs), sur la base de dénonciations invraisemblables et ridicules. Ces dénonciations étaient écrites dans des cahiers photocopiés remis par un ancien militaire et ex chauffeur du Ministre de la Planification du gouvernement Kirchner. Ces cahiers mentionnent sans apporter de preuves des millions de dollars de pots de vin reçus par des fonctionnaires du gouvernement antérieur impliqués dans la gestion de travaux publics, dont des personnes aujourd’hui décédées. A-t-on cherché où se trouvent les cahiers originaux ? On n’en trouve aucune trace.
Extrait du Cahier n° 2 publié par La Nacion
L’opposition est certaine qu’une telle action utilise la même méthode que celle du « lava-jato » contre Lula et le PT au Brésil, qui tend à décrédibiliser la candidature de Cristina Kirchner en 2019, candidature dont l’acceptation populaire augmente face à la perte de popularité de Macri.
La dictature aujourd’hui ne s’impose plus avec des militaires et des tanks mais avec les moyens médiatiques et le montage de dossiers mensongers. Elle montre là son impuissance à mettre en place un coup d’Etat militaire face aux mobilisations qui existent dans toute l’Amérique Latine.
D’autres faits réels cachés par les médias
Alors que les médias faisaient leurs choux gras avec l’affaire des « cahiers K », d’autres événements étaient passés sous silence, comme la sortie du film documentaire de Tristan Bauer « Le Chemin de Santiago » à l’occasion de l’anniversaire de la mort de Santiago Maldonado (jeune militant disparu le 1er août 2017 et retrouvé mort dans un village mapuche en octobre 2017, qui a provoqué des manifestations importantes de la gauche à l’époque – Le film mène l’enquête sur cette disparition dont les causes restent inconnues). Seule la chaîne de télévision C5N annonçait sa sortie au théâtre Ateneo de Buenos Aires, qui a subi une agression de la part de 15 types cagoulés qui ont cassé les carreaux de l’entrée et risqué l’intégrité physique de plusieurs participants. Aucune protection des services de sécurité officiels n’était assurée, permettant à ces types d’intervenir violemment en toute impunité. Dans le même temps la chaîne de télévision a été l’objet d’une alerte à la bombe, qui s’est avérée fausse. Mais les travailleurs de la télévision ont refusé d’évacuer les locaux quand ils ont appris qu’il s’agissait d’une fausse alerte. La bataille du droit à la communication des travailleurs de cette chaîne est très courageuse.
Le 2 août un autre événement s’est produit avec l’explosion qui est intervenue dans une école de Moreno, quartier pauvre de la province de Buenos Aires, provoquant la mort de la directrice et du concierge. Ceci a bouleversé toutes les écoles de la province de Buenos Aires et de la capitale, qui ont fait grève générale et ont manifesté avec des pancartes « Education en deuil ». Au cours des funérailles les gens dénonçaient la précarité et l’insécurité dans les écoles, l’abandon de l’Education publique. L’exemple de ces deux travailleurs argentins mérite d’être connu, non seulement pour cette tragédie qui leur a coûté la vie d’une façon aussi injuste, mais aussi pour leur engagement social qui reflète le niveau de la majorité des professeurs argentins.
Les luttes populaires en Argentine
Au milieu de cette Argentine en plein conflit se prépare la seconde étape de la lutte des femmes pour l’avortement légal, sûr et gratuit. La première étape était le dépôt d’un projet de loi qui a été approuvé par le Parlement, et qui doit passer devant le Sénat le 9 août.
La conscience populaire s’élève à chaque attaque du gouvernement Macri contre les droits sociaux et ses menaces de supprimer les droits démocratiques. Le gouvernement cherche à impliquer plus l’armée dans des fonctions répressives. Mais l’Argentine ne perd pas la mémoire et se souvient de tous les faits engendrés par la dictature militaire de Videla, entre autres choses grâce aux luttes persistantes des mères et des grands-mères de la Place de Mai, qui ont permis récemment de retrouver le 128e enfant volé, le fils d’une femme de Tucuman disparue en 1976.
Parallèlement le mouvement syndical se renforce et s’unifie, malgré toutes les menaces cherchant à l’étouffer, telles que les amendes absurdes décidées par le Ministère du Travail contre le syndicat des camionneurs et celui des professeurs. Cristina Kirchner s’est réunie récemment avec les dirigeants du syndicat SMATA (métallurgistes) et d’autres du syndicat de la CGT des camionneurs, dont elle s’était éloignée depuis de longues années quand elle était au gouvernement. Cette réunion ouvre une voie vers l’organisation d’un large front unique politico-syndical de masse contre le gouvernement néolibéral de Macri.
De notre correspondant en Argentine – 5 août 2018
Photo illustrant l’article : mobilisation des professeurs et du personnel de l’éducation suite au décès de la directrice et du concierge de l’école de Moreno