Le triomphe de Gabriel Boric au Chili confirme le progrès révolutionnaire en Amérique Latine

Le résultat obtenu par le front de gauche « Apruebo Dignidad » est une victoire historique qui est pleine à la fois de significations et de difficultés. Boric qui a pris ses fonctions en mars a déjà formé son futur gouvernement, novateur par la grande participation de femmes et attentif à l’articulation interne du front qui l’a conduit à la direction du pays. Le vote massif du peuple chilien au second tour, qui a recueilli plus de 1.200.000 voix, contient un message de fond qui, quels que soient les ministres et les secrétaires, les engage dans la mobilisation sociale née en 2019. Le peuple qui a gagné les rues en criant que « ce ne sont pas 30 pesos mais 30 ans… », se montre déterminé à fermer définitivement une page historique que la droite militaire alliée à l’impérialisme des États-Unis a ouverte par le sang le 11 septembre 1973.

Les leaders sociaux et les communistes ont joué un rôle central dans le triomphe de Boric

Ce Chili populaire s’insère pleinement dans le processus de transformation qui entoure l’Amérique Latine renforcé d’une histoire très riche, dans laquelle communistes et socialistes, aux côtés d’une gauche révolutionnaire, ont écrit l’une des expériences les plus importantes de la construction du socialisme sur ce continent. L’impérialisme, avec l’oligarchie chilienne, a dû recourir à l’une des dictatures les plus féroces pour s’imposer. Le gouvernement Piñera conservait encore l’héritage du pinochetisme, comme les carabiniers qui continuent à agir en toute impunité en tirant à la hauteur des yeux des gens. Le pinochetisme était présent dans l’adversaire de Boric, le nostalgique Katz, un nazi déclaré qui a recueilli environ 40 % des voix, grâce à une campagne médiatique terroriste qui a trouvé un écho dans des secteurs arriérés et éloignés de la population.

L’oligarchie chilienne a une force traditionnelle comme celle dénoncée par Isabel Allende et d’autres écrivains célèbres dans leurs livres. C’est une force parasitaire, aristocratique et corrompue. Le Chili vivant, dynamique et engagé dans la production et le progrès, a voté à gauche. Il y a eu un moment d’hésitation, de doute, dans le premier tour. Il y eut une certaine méfiance à l’égard du résultat des primaires, parce qu’il provenait des mêmes mouvements qui ont fait l’objet de critiques lors des mobilisations et du processus constituant. Le peuple est en train de construire, avec la convention qui rédige la nouvelle constitution, un processus social inclusif dans lequel il s’est aventuré à une critique des partis historiques socialiste et communiste. Ils ont développé de nouvelles directions qui écrivent le texte fondateur d’un nouveau pays, un Chili plurinational, démocratique et populaire.

Au second tour, beaucoup de ces dirigeants sociaux et surtout les communistes ont mené une campagne dans tout le pays, dans les grandes villes et dans les lieux les plus reculés. Ils ont ainsi encouragé les masses à participer à cet épisode électoral et à enterrer les prétentions de la droite réactionnaire. Au cours des dernières années, les espoirs des masses avaient été négligés par les socialistes et les communistes, l’expérience des gouvernements de la Convergence et de Bachelet ont été une grande désillusion pour le mouvement ouvrier et populaire. D’où la méfiance envers une partie de la direction politique.

La grande rébellion menée par les étudiants et les jeunes des principales villes, particulièrement à Santiago, a assiégé le gouvernement réactionnaire de Piñera. Pendant deux années une nouvelle direction a été mise en place sur les barricades, face à la répression criminelle de l’armée et des carabiniers dans les rues, et sur les lieux d’étude et de travail. La répression a également touché les peuples autochtones, mapuches et autres. La bataille des différentes communautés historiques a non seulement renforcé une grande résistance entre elles, mais elle a aussi conduit à une fusion entre les luttes de la ville et de la campagne qui a rendu possible l’articulation sociale prédominante dans la convention.

La présidente de l’assemblée constituante est une dirigeante représentant le peuple Mapuche. La Convention réalise de grands progrès et établit des principes qui reprennent le programme de nationalisation des ressources naturelles de Salvador Allende, qui a déjà décidé la nationalisation du cuivre et du lithium. Les dirigeants du mouvement qui promeut ces mesures sont persécutés et menacés : Ivanna Olivares et Manuela Arroyo.

Lors des élections locales et municipales précédentes, la gauche avait déjà fait un pas important. Les masses avaient utilisé les élections dans les institutions voisines et citoyennes pour faire des pas importants dans la construction d’un double pouvoir dans le pays, capable de contester le contrôle capitaliste. Des expériences de participation citoyenne sont également reprises, comme celles pratiquées sous le gouvernement populaire de Salvador Allende. Le jour des élections municipales, il y a eu des avancées importantes dans les villes, dont Santiago qui est aujourd’hui gouvernée par un maire communiste.

L’élection nationale semblait devoir reprendre le schéma des dernières années où les forces de gauche ne pourraient s’exprimer de manière autonome  mais contenues et soumises à travers l’alliance de la concertation du centre gauche. Tout devait se réduire à deux pôles : le centre gauche et le centre droit. Cependant « Apruebo dignidad » a établi un troisième pôle qui a déplacé au premier tour le Front de gauche qui s’est positionné troisième.

La droite utilisera tous les moyens à sa disposition pour contenir le gouvernement Boric

L’oligarchie et la bourgeoisie exportatrices, ainsi que les multinationales qui ont joyeusement participé au banquet de ces 50 ans, ont reçu un formidable coup de poing. Biden a attendu plusieurs jours avant de contacter Boric et de le saluer pour la victoire. Ils ne peuvent pas croire que  le château qu’ils avaient construit à partir de la première brique posée par Pinochet d’un côté et le secrétaire américain Kissinger de l’autre puisse s’écrouler. Le Chili a été un exemple du laboratoire social des théories monétaristes de Milton Friedman et des Chicago boys comme la privatisation complète des ressources naturelles, du cuivre au pétrole, du fer au charbon, de la pêche au sel, des services essentiels tels que l’éducation, la recherche et la santé. La constitution pinochetiste a décrété cette transformation réactionnaire, le droit le plus important est celui de l’entreprise et l’État doit le garantir et le promouvoir.

La droite n’acceptera pas gentiment que ce processus néolibéral disparaisse complètement. Il a réussi à placer quelques obstacles sur la voie tracée par les constituants, l’un d’eux étant que la convention pouvait traiter de tout mais sans toucher aux « engagements internationaux », c’est-à-dire ceux établis avec les multinationales et la banque mondiale. Une autre pierre de la marche de la Constituante est la nécessité du soutien des deux tiers des constituants pour l’approbation des réformes. Les dirigeants sociaux et les communistes discutent ouvertement du fait que le nouveau gouvernement ne doit en réalité pas administrer depuis les palais de Santiago mais qu’il doit gagner l’autorité dans la relation quotidienne avec la société, le mouvement ouvrier et le reste des masses. Il reprend une discussion qui a été interrompue par le coup d’État de 1973 : Gouvernement ou Pouvoir. Qu’est-ce que Boric et les siens gèrent réellement ? Les institutions démocratiques formelles suffisent-elles à bloquer la droite et à répondre aux besoins urgents des masses ? Le Chili, derrière le masque de la « modernité » avec laquelle il a vécu toutes ces années, couvre en fait le visage du pays le plus inégal d’Amérique latine.

Le gouvernement Allende, une expérience pour le monde qui ne peut pas se répéter

Le gouvernement de l’Unité Populaire fut aussi un laboratoire social où s’est expérimenté un essai de transformation réformiste honnête, avec une direction socialiste de gauche soutenue par le parti communiste chilien. À travers eux, ils ont recueilli la solidarité et l’attention des partis communistes et socialistes du monde, ainsi que de l’ensemble des États socialistes, notamment Cuba, l’URSS et la RDA. D’autre part, les masses et une large avant-garde chilienne mûrissaient, dans la lutte de classe quotidienne, une conscience révolutionnaire qui avertissait que la bourgeoisie n’attendait plus les futures épreuves électorales mais sabotait tout accord avec le gouvernement populaire et nourrissait la revanche des classes dirigeantes.

La IVe Internationale Posadiste, J. Posadas lui-même, est intervenue directement en préparant nos cadres chiliens avec des délégations des sections latino-américaines qui participaient à des missions syndicales, sociales et gouvernementales. Ce fut une expérience de grande élaboration théorique et politique, avec un programme et une tactique persuasive dirigée vers une direction déterminée à aller de l’avant et à faire face, mais qui se fiait aux institutions bourgeoises. Allende croyait qu’il pouvait empêcher les pouvoirs de la grande bourgeoisie de se concentrer sur l’armée pour frapper. Les déplacements dans la direction militaire, tentés par le gouvernement à la dernière minute, n’ont eu aucun effet. En dessous et en dehors des institutions, la droite soutenue par la CIA a préparé les criminels qui sont entrés en scène en 1973.

C’est pourquoi J. Posadas et l’Internationale, avec le mouvement révolutionnaire mondial, ont rendu hommage à Salvador Allende et aux milliers de tués et torturés, comme notre camarade Nelsa Gadea Galan enlevée dans les premiers jours du coup d’État meurtrier. La conclusion chilienne a eu des répercussions dans le monde entier, en particulier dans le mouvement communiste et en Europe. Les partis communistes européens se sont repliés sur l’eurocommunisme, une vision nationale et éloignée des principes révolutionnaires et de classe. Il y a eu en même temps une séparation entre eux et avec les partis des Etats ouvriers, ce qui a donné lieu à un fossé interne qui en quelques années a été exploité par la réaction impérialiste qui a frappé la classe ouvrière et ses conquêtes, démantelant le mouvement communiste.

Dans quelques jours, le gouvernement populaire prendra ses fonctions et certains des personnages qui le composent signalent quelques incertitudes. Certains ont un passé dans les banques et les grandes multinationales. La montée de la lutte sociale qu’il va générer sera déterminante. En même temps que la Constitution en cours d’élaboration, grâce à des pétitions et des mobilisations populaires, des propositions sociales ont été avancées. Les médias de droite déclenchent une campagne de persécution et de menaces contre les dirigeants et les activistes populaires. Le succès du processus qui s’est ouvert au Chili n’est pas assuré, mais la droite ne pourra pas non plus répéter 1973. Le contexte continental et mondial sera déterminant pour l’avenir.

Les Posadistes – 20 février 2022