Cet article sur Lénine a été écrit à l’occasion du centième anniversaire de sa mort. Il nous semble important de rappeler son rôle et la fonction fondamentale qu’il a jouée dans le triomphe de la révolution russe et durant les premières années de l’Union Soviétique, notamment dans la période actuelle où de profondes divergences existent au sein du mouvement communiste mondial et où le Parti Communiste Français vient de publier un Humanité Magazine hors-série intitulé « Que faire avec Lénine 100 ans après sa mort ». Cet article est le premier d’une série reprenant des points fondamentaux des œuvres de Lénine et de ses principes, que nous ajoutons en tant que contribution aux différentes réflexions et discussions en cours.
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Revendiquer Lénine aujourd’hui, c’est revendiquer la signification des sept premières années de la Révolution russe et affirmer que la grande qualité de Lénine et sa fonction historique a été de comprendre l’importance de la construction du Parti dans la lutte pour le pouvoir et la construction de l’État ouvrier.
Ses textes, livres, articles, congrès, avaient pour but de développer les meilleures qualités chez les militants et de leur donner l’assurance afin de la transmettre à la classe ouvrière et l’attirer dans la lutte dont l’objectif est le socialisme.
À chaque moment de l’histoire, il y a des processus, des politiques et des programmes à définir, ainsi que des instruments nécessaires pour accomplir ces tâches. Marx et Engels se consacrèrent à élaborer la pensée dialectique, à connaître le processus de la nature, de l’histoire, pour pouvoir organiser la transformation de la société. Et cette compréhension de l’histoire était le processus de la lutte des classes. C’est pourquoi le marxisme n’est pas seulement un outil destiné à comprendre le cours des événements, mais aussi à organiser les forces pour renverser le capitalisme et construire le socialisme.
C’est pourquoi Karl Marx a rédigé le Manifeste communiste et a organisé la Première Internationale, afin de garantir que le socialisme était possible. Lénine s’est appuyé sur cette activité et a compris que, pour appliquer les principes et la perspective que le marxisme indiquait, le Parti était nécessaire.
Jusqu’alors, en Russie, les partis qui existaient étaient combatifs mais n’avaient pas de programme pour le pouvoir. Leur lutte était fondée sur des revendications mais non sur le rôle historique de la classe ouvrière, ils avaient uniquement la volonté d’améliorer les conditions de la population face à l’oppression et à la répression du régime tsariste.
Le développement du parti social-démocrate russe est dû à ce contexte historique, et bien que son organisateur Plekhanov l’ait fait sur la base du marxisme, la direction du Parti n’a pas tenu compte de la participation politique de la classe ouvrière, du débat et de son activité, parce qu’ils ne se donnaient pas comme perspective de renverser le tsarisme. Il fallait une politique révolutionnaire pour construire le parti, et c’est ce que Lénine a fait.
Comme le dit J. Posadas « La fonction historique de Lénine a été celle de bâtisseur du Parti qui était le centre capable d’organiser la volonté de millions et de millions pour changer la société et, à travers le Parti, les unifier dans la volonté de prendre le pouvoir et de construire l’Etat ouvrier à travers les soviets ».
C’est pourquoi il est impossible d’analyser l’activité de Lénine sans le Parti et sans les soviets, qui signifiaient la démocratie socialiste à travers laquelle intervenait le prolétariat comme classe dirigeante en transmettant à l’ensemble des masses l’assurance dans l’Etat ouvrier et l’avenir socialiste. Le soviet était un instrument de débat, de discussion, d’échange d’idées dans lequel l’intervention de l’avant-garde influençait et élevait politiquement l’ensemble de la société.
Le soviet devenait ainsi un organe de délibération, de front unique avec tous les secteurs de la population et d’application de ce qui était débattu et convenu. Mais, pour qu’il fonctionne et qu’il soit agile et résolutif, il fallait le Parti, les cadres communistes qui porteraient les propositions, la politique révolutionnaire, pour attirer l’ensemble des masses.
Lénine s’est consacré à construire le Parti bolchevique, à éduquer les cadres pour comprendre la structure du capitalisme, ses crises internes et le niveau d’affrontement et de participation du mouvement ouvrier et de l’ensemble de la société. Il fallait assurer la sécurité des militants et les préparer à faire face à toutes les éventualités. La seule expérience de lutte pour le pouvoir avait été la Commune de Paris, avec une vie très éphémère, sans qu’il existe d’autres processus de double pouvoir aussi profonds.
Si Lénine n’avait pas préparé le Parti, la défaite de la révolution de 1905 aurait découragé le Parti bolchevique. C’était un coup très important, mais les bolcheviques ont su tirer des conclusions sur les causes de ce recul et se sont concentrés sur l’organisation du Front ouvrier – paysan et sur la construction de la direction révolutionnaire. Le prolétariat n’a pas perdu sa confiance en tant que classe et a appris de la défaite à coordonner sa lutte avec la paysannerie.
Après 1905, le Parti a dû changer de tactique et d’action révolutionnaire du fait de la diminution des luttes et de la répression de la police tsariste. Il s’est préparé à affronter de nouveaux défis. Lénine a organisé le débat au sein du parti, lui a fait vivre cette expérience, et les militants ont communiqué à la classe ouvrière leurs conclusions en leur transmettant ces enseignements, en contribuant à sa maturation et en élevant la capacité dirigeante à entraîner le mouvement paysan, les intellectuels, la petite-bourgeoisie.
Devant la nécessité de répondre au débat au sein du mouvement révolutionnaire de l’époque et à la polémique des tendances au sein du Parti social-démocrate, Lénine a écrit des textes fondamentaux comme « Que faire ? » en 1902 et « Un pas en avant, deux pas en arrière » en 1904, entre autres.
La Première Internationale se proposait de donner assurance à la classe ouvrière qu’elle était capable de s’organiser et de diriger l’ensemble de la population exploitée. Elle n’a pas pu étendre son influence parce qu’elle a disparu. La Deuxième Internationale était une organisation réformiste qui a laissé de côté les expériences de Marx, d’Engels, de la Commune de Paris et des luttes du prolétariat qui s’étaient produites jusqu’à sa création.
La Première Guerre mondiale a montré les contradictions du système capitaliste et toute sa faiblesse, ainsi que son manque d’autorité sur la population. Il y avait des conditions pour affronter le capitalisme, mais il fallait comprendre la profondeur de la crise du système et la nécessité pour le Parti de profiter de ces circonstances.
Le Parti bolchevique s’était préparé à utiliser toutes les forces et à les ordonner dans un but : renverser le régime tsariste et construire l’Etat ouvrier. Les bolcheviques, par l’intervention du mouvement ouvrier et dirigés par Lénine et Trotsky, gagnèrent les paysans avec le mot d’ordre « pain, paix et terre ».
Pour réaliser ces objectifs, il fallait fondamentalement mettre fin à la guerre et en même temps transmettre à l’ensemble du mouvement ouvrier européen les intentions de l’Etat ouvrier. C’est ainsi que l’accord de paix a été retardé pour montrer les intentions militaristes des Allemands.
Le traité de Brest-Litovsk a été signé le 3 mars 1918 entre la Russie et les puissances centrales et mettait fin à la participation russe à la Première Guerre mondiale. C’était une paix voulue par Lénine et le Parti bolchevique pour répondre aux exigences de la population. L’accord se concrétisa avec l’Allemagne, l’Autriche – Hongrie, l’Empire ottoman et la Bulgarie, face aux difficultés militaires et économiques de la révolution naissante.
La population russe vivait dans la pauvreté et la misère sous le régime tsariste et les effets de la guerre se sont ajoutés à cette situation. Dans l’accord, la Pologne, la Lituanie et la Biélorussie ont été cédées à l’empire allemand et la Russie a reconnu l’indépendance de l’Ukraine, de l’Estonie, de la Lettonie et de la Finlande.
L’objectif de la paix étant atteint, il fallait résoudre le problème de la production agricole. C’est pourquoi Lénine a élaboré la NEP (Nouvelle Politique Économique) dont l’objectif était d’établir un lien entre l’économie paysanne et celle qui s’organisait dans les usines nationalisées, socialisées et dans les « sovkhoses » (fermes d’Etat).
Dans les premières années de la révolution, la paysannerie a été soumise à des impôts importants pour faire face à la guerre, ce qui a augmenté sa pauvreté. La direction bolchevique a décidé qu’il était temps de faire des concessions et d’attirer le petit paysan. C’est pour répondre aux besoins de l’économie paysanne que des sociétés mixtes regroupant capitalistes privés et communistes ont été créées.
La prise du pouvoir et la construction de l’Union Soviétique ont ouvert une étape d’une démocratie profonde dans l’Etat ouvrier. Les soviets ont été la base pour attirer l’ensemble de la population et assurer l’instauration de la dictature du prolétariat.
L’Union Soviétique et le Parti bolchevique se consacrèrent à éduquer un secteur très important de l’avant-garde prolétarienne mondiale à travers le fonctionnement de l’Etat ouvrier et la construction de la Troisième Internationale. Lénine, Trotsky et l’avant-garde bolchevique comptaient sur les masses du monde pour accepter le programme de l’Etat ouvrier. Son devoir était de se développer et de chercher des points d’appui pour s’étendre.
La fonction fondamentale de la Troisième Internationale a été de coordonner et d’organiser les partis communistes du monde et les masses exploitées dans la lutte pour le pouvoir. Son activité se basait sur les expériences et les conclusions organisationnelles de la Première Internationale de Marx et Engels, avec pour objectif de transmettre l’activité du Parti bolchevique et des soviets à l’ensemble du mouvement communiste et révolutionnaire mondial.
La paralysie de la Troisième Internationale, après la mort de Lénine et l’expulsion de Trotsky et d’autres dirigeants, a permis l’isolement de l’URSS et l’usurpation du pouvoir politique par la bureaucratie, qui a surgi de conditions historiques (défaite de la révolution en Allemagne, en Pologne, en Autriche, en Hongrie et en Chine par la suite), qui ont développé une politique conciliatrice et opportuniste.
Lénine représente le dirigeant révolutionnaire le plus complet. Pensée et action ont atteint un équilibre parfait. Le Parti est son œuvre, ce qui a fait de lui le porte-drapeau du prolétariat mondial. « Il a réuni la représentation de la pensée révolutionnaire et l’énergie inflexible de la classe prolétarienne. Il a fait usage de la riche expérience du mouvement ouvrier international, a transformé son idéologie en un levier pour l’action, puis s’est levé à l’horizon politique dans sa grandeur totale. C’est la figure de Lénine, le plus grand homme de notre époque révolutionnaire« . C’est ainsi que Trotsky le caractérisait dans son article « Lénine blessé » de 1918.
Les Posadistes – Janvier 2024