Les élections départementales : 3e débâcle pour le Parti Socialiste

Les 22 et 29 mars ont eu lieu les élections des nouveaux conseillers en charge des départements, un échelon de collectivités ayant un poids important dans notre vie quotidienne puisqu’ils décident de la politique à mener pour l’action sociale, la petite enfance, le handicap, la vie associative, le logement, les collèges, les transports scolaires, la voirie, c’est-à-dire en matière de services publics au niveau local.

Ces élections se sont déroulées dans un contexte de plus en plus difficile pour les collectivités territoriales, notamment pour les communes et les départements qui, avec les baisses de dotations de l’Etat et son nouveau plan drastique d’économies annoncées de 2015 à 2017, se trouvent confrontés à l’impossibilité de maintenir le même niveau de services de proximité alors que les besoins locaux s’accroissent de façon dramatique.

La politique menée par le gouvernement Hollande – Valls poursuit les mêmes logiques ultralibérales qu’applique l’Union Européenne, imposant toujours plus de mesures d’austérité qui creusent chaque fois plus profondément les inégalités. Au lieu de développer une politique permettant à la population d’augmenter son pouvoir d’achat, ses revenus, sa consommation, de vivre mieux, d’avoir accès à un travail, un logement décent, ce gouvernement mène à l’inverse une politique au service du patronat, des marchés financiers, des banques, sur la base de logiques de concurrence qui remettent en cause les droits sociaux durement acquis par des décennies de luttes. Ces choix politiques, malgré les milliards de cadeaux consentis aux entreprises sans contrepartie, ne génèrent aucune relance de l’économie ni aucune nouvelle perspective d’emplois, mais provoquent au contraire toujours plus de fermetures d’entreprises, entraînant un accroissement du chômage, de la précarité, de la pauvreté et un sentiment d’abandon dans les quartiers d’habitat populaire.

 Le grand vainqueur des élections : l’abstention

Depuis les élections présidentielles de 2012 et la victoire de François Hollande, ce scrutin est le troisième que perd de façon cuisante le Parti Socialiste, après les échecs des élections municipales et européennes de 2014.  Le résultat se solde par 26 départements repris par la droite faisant revenir le score du PS au niveau de 1998, passant de 1519 conseillers départementaux à 990, soit une perte de plus d’un tiers de ses élus. Et pourtant tout avait été conçu dans ces élections pour avantager les élus socialistes, avec un nouveau mode de scrutin et un nouveau redécoupage des territoires qui devaient selon eux les favoriser et éliminer en partie les possibilités de développement du Front de Gauche et de ses alliés.

Mais le Front de Gauche a montré sa capacité à résister dans ces élections, alors qu’il était pratiquement absent dans les médias et dans la désignation officielle des candidats appelés « divers gauche » quand ils se présentaient sur des listes de rassemblement citoyen, en obtenant 178 conseillers départementaux. Même si le nombre de ses conseillers a diminué, et alors qu’il est pratiquement impossible de comparer ces scores à ceux de 2011 en fonction des charcutages du territoire réalisés par le Ministère de l’Intérieur, le Front de Gauche a maintenu un niveau de voix conséquent et en légère progression, totalisant 9,46% des exprimés – et même jusqu’à 13% là où la liste des candidats était élargie aux écologistes, à Nouvelle Donne, aux socialistes ou aux mouvements sociaux et associatifs – alors que les sondages le faisaient plafonner à 6%.

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La droite UMP (Union pour un Mouvement Populaire), dans la plupart des cas alliée aux candidats centristes de l’UDI (Union des Démocrates et Indépendants), a remporté la majorité des sièges de ces élections en prenant la tête de 66 départements et en obtenant 2336 conseillers départementaux (contre 1676 aux élections antérieures). Mais il s’agit d’une victoire toute relative car le nombre de voix obtenues a été inférieur à celui de 2011. Le Front National quant à lui n’obtient pas les résultats qu’il avait escomptés, même si la progression en voix du parti d’extrême droite est plus importante qu’aux municipales de 2014 (5,1 millions contre 4,7 millions), arrivant à obtenir 62 conseillers départementaux contre 3 précédemment.

Il ne fait aucun doute que le grand vainqueur de ces élections est une fois de plus l’abstention. Elle a tourné autour de 50% au niveau national, représentant un peu plus de 20 millions des inscrits qui ne se sont pas dérangés pour aller voter, et a atteint dans certains départements, notamment dans les grands centres d’habitat populaire, un niveau record dépassant les 70%. Une grande majorité de la population a refusé d’aller voter, infligeant une grave sanction au Parti Socialiste pour avoir dénaturé l’espoir que représentait la victoire de Hollande aux présidentielles de 2012.

 L’aveuglement du gouvernement socialiste

La campagne menée dans ces élections départementales fut chaque jour un matraquage autour d’une bataille qui allait se jouer entre 3 partis : le Parti Socialiste à gauche, l’UMP à droite et le Front National à l’extrême droite. On a eu droit aux discours de la droite sur la nécessité d’en finir avec la pauvreté et ses assistés visant à restreindre les mesures sociales qui permettent à une partie de la population de survivre, de mettre fin aux repas de substitution dans les cantines cherchant à stigmatiser une fois de plus les enfants d’origine immigrée, ou d’ôter les subventions aux associations qui soutiennent les Roms, c’est-à-dire des positions à la limite de celles défendues par l’extrême-droite.

Malgré cette propagande, les sondages et les chiffres annoncés, dont les médias se sont faits largement le relais, se sont révélés complètement erronés, avec un Front National qui devait « déferler sur la France » et qui n’arrive qu’en 4e position derrière le Front de Gauche. Par contre, le fait que le Front National ait élargi son audience dans des régions où il n’était pas ou faiblement représenté jusqu’à maintenant, est à attribuer au Parti Socialiste et à ses choix politiques, qui engendrent d’importants dégâts dans la population, suscitant une certaine désespérance qui pousse certains au repli identitaire et sécuritaire.

Les conclusions de Manuel Valls et de ses acolytes du PS affirment qu’il ne faut pas changer de cap, que ces résultats viennent de la division qui existe à gauche ! Le gouvernement annonce même une reprise économique de l’activité en France alors que les derniers chiffres officiels attestent d’une nouvelle baisse de l’emploi au 1er trimestre 2015, d’une précarité en hausse avec le gel des salaires et des pensions, d’une augmentation du chômage touchant plus de 10% de la population active.

Cette situation est en train de creuser encore plus profondément les divisions internes au Parti Socialiste, avec un secteur de gauche exaspéré par l’aveuglement de cette politique qui a vu depuis l’élection de François Hollande en 2012 une augmentation de 880.000 chômeurs, la désindustrialisation de nombreux territoires, un accroissement de la pauvreté (8,6 millions aujourd’hui soit 14% de la population), des inégalités de plus en plus grandes quant à l’accès au travail, au logement, à la santé, et même pour la première fois une baisse de l’espérance de vie pour les hommes et les femmes de notre pays.

 La loi Macron et l’accélération de la casse sociale

Mais Manuel Valls ne remet en cause ni son poste ni sa politique malgré la grogne qui se développe au sein du PS, l’hémorragie de sa base militante, le rétrécissement du nombre de ses élus et par voie de conséquence ses propres bases financières. Au contraire, il nous promet aujourd’hui une 2e loi Macron – Emmanuel Macron, Ministre de l’Economie venant des milieux financiers – alors que pour la première, rejetée par les élus de gauche et de son propre parti, il a dû appliquer l’article 49.3 pour la faire passer en force à l’Assemblée Nationale et arrêter le débat.

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Cette loi Macron est un pur produit du libéralisme, soumise aux intérêts privés des marchés financiers et du patronat, et touche les codes juridiques de nombreux secteurs : environnement, urbanisme, logement, travail, commerce, transports, marchés publics. Elle pose des questions concernant la démocratie puisqu’elle prévoit des procédures accélérées sous forme d’ordonnances dans le but d’empêcher le débat et les échanges entre l’Assemblée Nationale et le Sénat. Elle remet en cause les droits des salariés en banalisant le travail du dimanche et le travail de nuit, en facilitant les licenciements collectifs, en cherchant à empêcher les interventions des instances représentatives du personnel. Elle accélère la privatisation des services publics entre autres dans les transports et le secteur de la santé. Elle remet en question les droits des citoyens qui ne pourront plus s’opposer aux grands projets en matière d’environnement ou d’urbanisme.

Ce projet de loi, actuellement en discussion au Sénat, fait l’objet de toutes les résistances de la part de la gauche, y compris des frondeurs et de la gauche socialiste. Elle était au centre des grèves et mobilisations lancées par 4 syndicats – CGT, FO, FSU, Solidaires – le 9 avril dernier, unis contre l’austérité. Ces mobilisations ont rassemblé 100.000 manifestants à Paris et 300.000 dans toute la France, avec la participation de nombreuses entreprises en lutte du secteur public et privé, soutenues par le Collectif Alternative à l’Austérité comprenant partis de gauche, syndicats, associations et citoyens.

Cette mobilisation a montré de façon importante que le syndicalisme n’est pas mort contrairement aux analyses des penseurs capitalistes, qui cherchent par tous les moyens à restreindre le pouvoir syndical dans les entreprises afin de pouvoir revenir à ce qu’ils appellent « une économie de liberté ». Elle démontre aussi que des résistances existent dans tout le pays pour la défense de valeurs de justice sociale et de solidarité, contre toutes les formes d’exclusion et de racisme qui se développent aujourd’hui.

La seconde loi Macron en cours d’élaboration devrait aller encore au-delà dans la déréglementation du droit du travail, répondant aux instances du patronat qui cherche d’un côté à réformer les contrats de travail à durée indéterminée afin de pouvoir échapper aux licenciements « sans cause réelle et sérieuse prévue par la loi », mais aussi à réduire au maximum les charges des cotisations sociales et la pression fiscale. Mais les réformes de ce gouvernement ne s’arrêtent pas qu’aux simples aspects économiques. Il est en train de préparer un nouveau projet de loi sur le renseignement qui, sous prétexte de la lutte contre le terrorisme, doit déboucher sur une surveillance de masse – qui sera sous-traitée à des entreprises privées – et qui aura tous pouvoirs d’intrusion dans le champ politique et syndical, hors du contrôle des juges, dans le but de « préserver des intérêts économiques et scientifiques majeurs ».

 La gauche se réorganise pour une issue politique alternative

La gauche politique, syndicale et sociale en France refuse cette situation qui s’attaque aux libertés individuelles et collectives, cette politique qui par son aveuglement et son acharnement est en train de créer dans notre pays des fractures sociales de plus en plus profondes. Suite aux attentats contre Charlie Hebdo le gouvernement appelait au « sursaut républicain » lors de la manifestation du 11 janvier à Paris, mais celui-ci fut de très courte durée. Les 31% d’opinion positive annoncée dès le lendemain en faveur de Hollande n’ont duré que quelques jours : le Sénat est repassé à droite, la défiance à l’égard des politiques s’est rapidement accrue, le débat s’est fait plus violent contre l’islam et la religion musulmane présentée comme une menace pour la République, le tout aggravé par les guerres menées par ce gouvernement qui sont un gouffre pour les finances publiques alors que s’accroissent les mesures antisociales en France.

Les plans d’austérité successifs qui demandent  toujours plus de sacrifices à la population mènent à l’impasse. C’est l’ensemble des élus des villes, des départements, les associations et les citoyens qui se mobilisent contre les baisses des dotations de l’Etat et lancent des cris d’alarme car il devient impossible de gérer les besoins sociaux et les dépenses de solidarité avec toujours moins de moyens financiers. Ce sont eux également qui dénoncent une politique qui mène à une débâche culturelle avec 179 manifestations et festivals annulés cette année faute de financements.

Manifestation intersyndicale contre la loi Macron.

Dans cette situation la gauche est en train de se réorganiser, comme on l’a vu dans ces élections où des listes du Front de Gauche se sont ouvertes à d’autres composantes comme Europe-Ecologie-Les-Verts, Nouvelle Donne, des socialistes critiques ou des citoyens. La Grèce et la victoire de Syriza, avec toutes les difficultés qu’elle doit affronter pour s’imposer, a été un élément catalyseur dans la nécessité de se rassembler largement pour mener une autre politique.

Le 11 avril a débuté dans une trentaine de villes les premiers Chantiers d’Espoir, qui à l’appel de 500 personnalités de tous horizons, ouvrent une expérience nouvelle de rassemblements citoyens, associant partis politiques, organisations syndicales, mouvements associatifs pour un large débat ayant pour objectif d’arriver à un socle de propositions communes pour élaborer une politique alternative à gauche.

Le Parti Socialiste quant à lui est en train de préparer son congrès qui se tiendra début juin avec une aile gauche qui présente une motion de contestation de cette politique menée par Hollande et Valls reposant sur le renoncement parce qu’il n’y aurait « pas d’autre alternative possible » et remet en discussion les valeurs du socialisme.  Pour la direction du Parti Socialiste, représentée par Cambadélis, c’est l’ensemble de la gauche radicale (le Front de Gauche) qui est au centre d’une manoeuvre politique visant à faire éclater le PS. Ce congrès devrait être un terrain d’affrontements politiques importants, mais la direction du Parti Socialiste a toujours montré jusqu’à maintenant sa capacité à réduire à néant tous ses débats internes et à faire taire son aile gauche. Ce congrès sera donc à suivre avec beaucoup d’attention.

 16 avril 2015