Partout dans le monde les mobilisations des femmes n’ont jamais été aussi importantes que maintenant. Elles n’interviennent pas exclusivement pour la défense de leurs droits, comme le droit à la contraception et à l’avortement, ou l’égalité salariale, mais pour changer la société en profondeur dans un contexte de violences accrues par les politiques ultralibérales d’austérité, qui aiguisent les inégalités et réduisent les libertés individuelles et collectives.
Ces luttes font bouger les lignes, elles libèrent la parole des femmes qui ont subi des agressions sexuelles et remettent profondément en question l’arriération du patriarcat, les relations de pouvoir et de domination, le poids des religions quelles qu’elles soient. Les mouvements féministes d’aujourd’hui s’incorporent dans une lutte plus large dont le centre est le système capitaliste et ce qu’il génère comme violences, agressions, contraintes, discriminations, non respect de l’être humain.
La mobilisation des femmes aux Etats-Unis
Des millions de femmes se sont soulevées aux Etats-Unis contre l’investiture de Donald Trump depuis janvier 2017. Le mouvement de la Marche des Femmes (Women’s March) a rassemblé dans tout le pays plus de participants qu’au plus fort des mobilisations contre la guerre du Vietnam de 1969 et 1970 ou que la guerre en Irak de 2003. Il a été suivi par le mouvement #MeToo, des femmes qui se sont déclarées victimes de harcèlement sexuel, de viol, de menaces et pressions psychologiques dans le monde du travail comme dans le monde étudiant et universitaire. Le mouvement #MeToo aux Etats-Unis s’est répandu partout et est devenu un phénomène social visible. Il a été suivi en France d’un autre appel #Balancetonporc qui a mobilisé des dizaines de milliers de messages en très peu de temps.
Marche des femmes à Denver en janvier 2017
Quand cette libération de la parole atteint même des actrices d’Hollywood, qui brisent le tabou qui les soumet aux violences sexuelles de certains producteurs, scénaristes ou acteurs pour obtenir un rôle, provoquant des réactions en chaîne sur les réseaux sociaux dans tous les secteurs de la société, cela signifie qu’il existe un mûrissement profond de la société.
Le monde politique n’est pas épargné, avec en première ligne les dénonciations d’abus de pouvoir perpétrés par Donald Trump, qui se vantait à la télévision « d’attraper les femmes par la chatte », à l’encontre d’actrices, de journalistes ou de réceptionnistes de la Trump Tower. Ce comportement a conduit 300 femmes de Californie élues au Parlement de Sacramento à dénoncer la culture machiste mise en place et le harcèlement dont elles sont victimes au quotidien. L’argent est au cœur de toutes choses, il achète le silence des victimes, il est source de chantage au travail, il est le reflet d’une société en pleine déliquescence.
Les femmes démontrent, en marchant pour leur vie, qu’il y a urgence à s’allier et à s’organiser contre la politique menée par le gouvernement des Etats-Unis, qu’il est nécessaire de mêler la défense des minorités, le refus de la précarité et le droit des femmes à disposer de leur corps, à la lutte contre la guerre, la vente libre d’armes à feu, l’exploitation économique, le non respect de la transition écologique, le sort inhumain réservé aux immigrés. Ce mouvement donne une autre dimension aux mobilisations des femmes dans le monde.
De l’Espagne à l’Irlande, de l‘Inde à l’Amérique Latine
Cette année la journée internationale des femmes du 8 mars a été l’occasion d’un formidable mouvement de conscience collective. En Espagne près de 6 millions de femmes se sont mobilisées en se déclarant en grève, en menant des actions pour dénoncer les écarts de salaire importants entre hommes et femmes, le temps partiel subi par la majorité des femmes et leur grave précarité, l’augmentation du taux de TVA sur les produits féminins… « Trop de raisons de faire grève » alors que dans le même temps les 900 membres du Parti Populaire soupçonnés de corruption n’ont eu aucune inculpation !
Grève générale des femmes le 8 mars 2018
Ce type d’injustice s’est produit le 28 avril à Pampelune où les femmes ont manifesté leur colère dans les rues face au verdict rendu contre 5 hommes qui ont violé une jeune femme de 18 ans en 2016, dont les images avaient été diffusées sur internet, qui venaient d’être inculpés à 9 ans de prison pour un simple « abus sexuel » justifié par le fait que « la victime n’avait pas assez résisté ». Les femmes ont réagi avec indignation contre cette banalisation du viol et cette justice dominée par le patriarcat et le machisme, en faisant circuler une pétition demandant la révocation de 3 juges qui a reçu plus d’un million de signatures.
En Irlande, la victoire du oui pour abroger les dispositions constitutionnelles qui interdisent l’avortement, au référendum du 25 mai dernier, a signifié un progrès très important dans ce pays ultra conservateur et catholique où la hiérarchie de l’église considère l’IVG comme un meurtre. Le mouvement « Together for yes » (Ensemble pour le oui) a dépassé tous les sondages et les pronostics, avec une forte participation des femmes (70%) et des jeunes. C’est une victoire historique pour les femmes irlandaises qui depuis une trentaine d’années étaient obligées d’aller se faire avorter à l’étranger pour accéder à des conditions sanitaires décentes.
En Inde, depuis de nombreuses années, les femmes luttent contre le poids de la religion et des traditions hindouistes, qui signifient pour elles une soumission constante et totale à l’homme, le père quand elles sont jeunes, ensuite le mari et les fils quand celui-ci meurt. Les pratiques autour de la dot engendrent des violences inouïes allant jusqu’aux meurtres de petites filles à la naissance, du fait des contraintes financières énormes qu’elles génèrent. Et pourtant l’égalité des citoyens en droits est inscrite dans la constitution indienne. Le viol collectif d’une jeune fille dans un bus à New Dehli en décembre 2013 a catalysé de grandes mobilisations pour la dignité humaine, une réelle égalité des sexes et la dénonciation de ces traditions patriarcales et féodales, qui ont obligé le gouvernement à prendre des mesures pour mieux protéger les femmes.
En Amérique Latine les mobilisations des femmes sont aussi très fortes. Au Pérou elles ont permis qu’une enquête puisse s’ouvrir contre l’ex président Alberto Fujimori pour avoir procéder à la stérilisation forcée de près de 300.000 femmes entre 1996 et 2000 et à la vasectomie de 22.000 hommes, dans le cadre d’un programme national de santé reproductive et de planification familiale. Ce programme visait en fait un groupe social particulier, les indigènes pauvres et parlant le quechua. Priver une partie de la population de descendance signifie des pratiques qui relèvent non seulement de violences sexuelles mais aussi de crimes racistes, qui n’ont jusqu’à maintenant pas pu être jugés. Fujimori a été condamné à 25 ans de prison pour crimes contre l’humanité – ce dont il a été gracié en décembre 2017 – mais non pour les mutilations et les violences sexuelles qu’il a fait subir du temps de son mandat.
Victimes de la stérilisation forcée au Pérou
En Argentine l’avortement est toujours un délit passible de prison pour homicide. Un projet de loi a été déposé – pour la septième fois – en mars par la plateforme de la campagne nationale pour l’avortement légal, avec le soutien de 71 parlementaires de gauche comme de droite. Les conséquences des avortements clandestins sont dramatiques du point de vue de la santé et entraînent la mort dans de nombreux cas. Les femmes réclament « une éducation sexuelle pour décider, des contraceptifs pour ne pas avoir à avorter, et un avortement légal pour ne pas mourir ». Il s’agit là d’un combat politique de classe puisque l’égalité ne peut exister quand l’IVG peut atteindre le prix de 10.000 dollars dans une clinique privée.
Les dernières mobilisations du mois de juin en Argentine ont dénoncé les violences faites aux femmes avec la pénalisation de l’avortement. Le mouvement « Ni una menos » (Pas une de moins), qui dénonce depuis 3 ans le fléau des avortements illégaux avec 251 femmes mortes au cours de l’année 2017, affichait à Buenos Aires « Nous nous voulons vivantes, libres et désendettées ». Cette lutte des femmes s’est ajoutée à toutes les autres luttes qui existent dans le pays contre les mesures réactionnaires de Macri soumises au diktat du FMI et à l’austérité, et ce 7e projet de loi pour légaliser l’IVG jusqu’à 14 semaines dans des établissements sanitaires publics ou privés a été enfin adopté le 14 juin dernier par les députés, une première victoire sur le plan politique parce qu’il faut encore que le projet de loi soit adopté par le sénat en août.
Au Chili les étudiantes bloquent une trentaine d’universités depuis le mois d’avril pour dénoncer le harcèlement sexuel permanent qui existe dans l’enseignement de la part de professeurs sans qu’aucune sanction ne soit prise à leur encontre. Il s’agit là d’une banalisation de la violence qui existe contre les femmes à tous les niveaux de la société : dans la rue, au travail, chez le médecin, au foyer. Les femmes exigent une modification des lois, car la Constitution en vigueur est toujours celle établie par Pinochet, afin d’inscrire l’égalité femmes – hommes comme devoir de l’Etat, faire évoluer les mentalités par rapport au divorce, aux droits des enfants conçus hors mariage, ou l’autorisation de la pilule du lendemain. Après avoir gagné en 2017, après 28 ans d’interdiction, la légalisation de l’avortement en cas de viol, de risque pour la santé de la femme ou de non viabilité du fœtus, la lutte des femmes en Argentine pour le droit à l’avortement gratuit, sûr et universel, a signifié pour les femmes chiliennes un espoir pour les prochaines batailles à mener.
Mobilisation des étudiantes au Chili
Et la situation en France aujourd’hui ?
L’égalité femmes – hommes serait la grande cause du quinquennat d’Emmanuel Macron qui a affirmé en novembre 2017 que « La France ne doit plus être un de ces pays où les femmes ont peur ». Il a accordé un million d’euros pour mener des actions nouvelles en ce sens après le 8 mars 2018, en lançant entre autres choses un appel à projets, qui joue la concurrence avec les actions menées par les associations spécialisées et reconnues depuis des années dans la défense des droits des femmes.
Une association comme AVTF (association européenne contre les violences faites aux femmes) est depuis décembre 2017 submergée d’appels de femmes victimes de violences et de harcèlement, mais quand elle demande une augmentation de subvention pour pouvoir mener à bien son travail, celle-ci lui est refusée. Elle a donc été contrainte de bloquer son standard pendant cinq mois afin de pouvoir traiter tous les dossiers en cours.
Un projet de loi est en discussion pour renforcer la lutte contre les violences sexistes et sexuelles mais certaines décisions de justice ont mis récemment en évidence des requalifications de viols en « simples atteintes sexuelles » ou donné lieu à acquittement pour des faits similaires au prétexte qu’il n’y avait « pas eu contrainte sur la victime ». Ceci revient donc à minimaliser les faits de viols avérés et à culpabiliser les victimes, rendant l’égalité entre femmes et hommes une réalité qui n’est pas encore pour demain.
Il faut rappeler par ailleurs que sur 86.000 femmes victimes de viols en France 21% vont jusqu’à un commissariat et 10% seulement portent plainte. Il s’agit là d’un problème de société qui place au centre du débat les moyens mis en place pour l’accueil des victimes qu’on décourage à porter plainte ou qu’on culpabilise, laissant une complète impunité aux responsables de crimes sexuels. Et quand ces violences sont subies au sein du couple, cette impunité est encore plus grande et les dégâts sont encore plus graves. Ces situations interpellent aussi sur le suivi des actes de violences physiques ou sexuelles subies par les victimes, hommes ou femmes, le manque d’accompagnement de celles qui ne sont pas reconnues et leurs effets sur la santé qui peuvent aller du stade de la dépression au suicide, ce qui a un impact économique extrêmement important sur l’ensemble de la société.
Paris le 8 mai 2018 contre un violeur acquitté
Il existe donc une justice qui n’est pas identique pour tous. Une récente étude du « défenseur des droits » * a démontré que les femmes avocates sont aussi très souvent harcelées et moins bien payées que leurs homologues masculins. 53% des avocates disent avoir été victimes de discriminations sur leur lieu de travail et une majorité d’entre elles n’a rien fait car cela ne servirait à rien, qu’elles n’auraient pas de preuves suffisantes pour monter un dossier ou qu’elles auraient peur de représailles. Le sexisme ordinaire dans la profession se résume à un travail injustement dévalorisé par des tâches ingrates qu’on leur donne à faire, du temps partiel subi et des pressions en cas de congé de maternité.
Le Haut Conseil à l’égalité entre femmes et hommes propose d’inscrire dans le cadre de la réforme de la Constitution cette égalité comme valeur fondamentale, ainsi que le droit à la contraception et à l’avortement, puisque ces droits se verraient menacés aujourd’hui en Europe et dans le monde, dans un contexte politique d’avancée des mouvements d’extrême droite et de recrudescence des mouvements religieux réactionnaires, comme on le voit en Pologne au travers de la campagne des évêques catholiques pour mettre fin à l’avortement.
Le système capitaliste est incapable de changer l’ordre des choses et d’instaurer une réelle égalité entre les femmes et les hommes, parce qu’il se base sur des rapports de pouvoir, de concurrence, sur des relations fondées sur la propriété privée qui génèrent une organisation conservatrice de la famille et relèguent la femme dans un rôle subalterne.
C’est ainsi que sous couvert d’un partage égalitaire il a créé il y a quelques années la loi sur la parité dans le monde politique. Cette mesure n’a rien de progressiste et ne fera jamais de la femme l’égal de l’homme en se basant sur des quotas. Elle n’est qu’un simulacre facile à mesurer : si en 1997 10% des députés étaient des femmes, avec la loi sur la parité ce pourcentage n’a jamais atteint les 50% annoncés, puisqu’il n’existe que 38,7% de femmes à l’Assemblée Nationale et 31,6% au Sénat.
Il reste donc encore fort à faire en matière d’égalité entre les femmes et les hommes, dans le pays des droits de l’homme, qui se transformeront peut-être bientôt dans la Constitution en « pays des droits humains », visant à mettre ainsi sur le même plan les femmes et les hommes, tout au moins sur le papier.
Le 28 juillet 2018
* Le « défenseur des droits » en France est une autorité administrative indépendante de l’Etat, inscrite dans la Constitution, qui a été créée en 2011 pour défendre les personnes dont les droits ne sont pas respectés et permettre l’égalité de tous dans l’accès aux droits. Toute personne subissant une discrimination, quelle qu’elle soit, peut faire appel à cette autorité.
Photo illustrant l’article : Irlandaises à l’annonce de la victoire du referendum sur l’avortement