Les Pasdaran, leur origine et leur rôle dans l’actualité

Les organisations telles que les Pasdaran (Corps des Gardiens de la Révolution islamique) sont le sommet d’un iceberg dont la plus grande partie plonge dans un passé lointain. Ils ne sont pas nés avec la Révolution islamique de 1979 ni au début de la guerre avec l’Irak des années 1980. L’armée du vieux régime monarchique comportait déjà de forts éléments nationalistes, malgré sa dépendance de l’impérialisme US au niveau de son équipement et la présence de 36.000 conseillers militaires étatsuniens. De nombreux pilotes des forces aériennes du Shah, formés dans les écoles US, ont participé à la défense de l’Iran et sont morts au combat pour la défense de l’Etat islamique en faisant preuve d’ abnégation et de courage. Il en fut de même pour la Marine qui affronta avec moins que rien et jusqu’à la mort  les navires et l’aviation  US. L’armée du Shah avait pris le parti de l’ayatollah Khomeiny et le Shah lui-même n’avait pas été jusqu’à une répression lourde et ne donna pas l’ordre de bombarder Téhéran. Les Américains ne voulaient pas non plus en arriver à ce point et avaient cherché  à organiser le remplacement du Shah – qui était depuis un certain temps en rupture avec les Etats-Unis et avait nommé Bazargan chef d’un gouvernement laïque et envoyé Khomeiny en exil dans son « Vatican » de Qom.

Ces comportements, tant celui du Shah que celui de Khomeiny, avaient leurs racines dans la lointaine guerre de résistance contre l’Empire ottoman et contre le colonialisme britannique qui avait provoqué la séparation de la province d’Afghanistan, et contre le pillage par les Britanniques des provisions de blé, provocant des pénuries, des famines et des épidémies qui ont tué près d’un tiers de la population iranienne. En 1942 également, certains détachements de la gendarmerie et de l’armée s’étaient emparés du pouvoir partout où ils le pouvaient, contre les hauts commandements des Britanniques.

Ce 25 avril 2018 se célèbre l’anniversaire de la constitution de « Spahi Pasdaran », l’armée des Gardiens de la Révolution. En 1979-1980, Khomeiny donna l’ordre de créer une organisation militaire populaire parallèle à l’armée, pour mieux combattre l’attaque irakienne et les tentatives de coups d’état d’une partie des chefs militaires (l’aviation), ainsi que les tentatives d’invasion US dans le désert de Tabas. Le but était de mieux organiser l’armée en y incorporant les milices organisées spontanément en défense de la révolution ainsi que les groupes populaires qui faisaient le djihad pour construire des infrastructures et développer l’agriculture.  C’est ainsi que sont nés les actuels Gardiens de la Révolution et que s’est constitué le double pouvoir révolutionnaire face à la contre-révolution qui grandissait dans les organes du pouvoir et de l’appareil de la république islamique.

Les Pasdaran ne poursuivaient pas seulement un objectif national. L’idéologie de Khomeiny concluait aussi la lutte entre justice et injustice au niveau du monde entier et se proposait d’exporter la révolution dans tout le monde islamique. Mais des commandants des Pasdaran, comme le commandant Chamram, agissaient déjà dans cette direction avant l’éclatement de la révolution islamique, en s’unissant avec l’imam Moussa Sadr au Liban pour créer le Hezbollah en vue de combattre l’occupation d’une partie du Liban par Israël, en se liant à la révolution libyenne et Kadhafi. Ces combattants, tant iraniens qu’arabes, voulaient que les Pasdaran deviennent une organisation révolutionnaire internationale pour la libération de tout le monde islamique. Cette idée fut repoussée par Khomeiny mais elle reste vive dans la pratique.

Tout cela veut dire que l’armée des Pasdaran avait des caractéristiques et une pratique de révolution nationale, régionale et internationale, populaire et anti-impérialiste. Cette dynamique a donné aux Pasdaran une structure et un fonctionnement tellement puissant qu’ils ont pu résister à toutes les intrigues, aux assassinats individuels ou groupés de beaucoup de leurs commandants, aux complots internationaux, à certaines dégénérescences et corruptions intérieures, et aux interventions permanentes d’Israël.

Des liens étroits entre les Pasdaran, l’Etat révolutionnaire syrien et l’armée russe

Pendant les 8 années de guerre contre l’armée irakienne (1), l’Etat révolutionnaire syrien est le seul pays arabe à être resté aux côtés de l’Iran, même si, au début, l’Etat révolutionnaire libyen donna son appui en envoyant deux navires remplis de munitions.  Ce soutien constant de la Syrie  a empêché que cette guerre devienne une guerre ethnique entre le monde arabe et le monde iranien. La présence des Pasdaran en Syrie et leur défense de la Syrie ont été pour eux-mêmes un élément de vitale importance car cela leur a permis de se maintenir comme tels, de renforcer même leur caractère international, révolutionnaire et anti-impérialiste. Il faut y ajouter la puissante et essentielle présence de l’armée russe en Syrie, au-delà des nombreuses oscillations politiques au sein même des forces russes. Voilà quels sont les deux facteurs nationaux et internationaux qui ont formé et renforcé l’armée des Gardiens de la Révolution islamique iranienne.

Un autre élément qui explique la puissance et la continuité des Pasdaran dans cette lutte de double pouvoir contre la bourgeoisie privatisante bien incrustée dans les appareils et les pouvoirs parallèles, est l’enracinement et l’activité sociale, culturelle et productive intense des Pasdaran  dans le domaine des infrastructures, de l’agriculture, de l’économie civile et militaire, de la production d’uranium enrichi et de missiles.

Dans le domaine productif, les Pasdaran interviennent aux côtés de l’armée, ils ont constitué une organisation paraétatique qui fonctionne en fait comme une organisation de l’Etat. Celle-ci regroupe 350 sociétés privées, elle emploie un million de personnes, c’est la plus grande entreprise productive du pays. Elle intervient dans la construction des infrastructures, des routes, des autoroutes, des oléoducs, des chantiers navals, des pétroliers. Elle a construit la plus grande raffinerie du Moyen Orient, « l’Etoile du Sud », qui est achevée à 90% et qui a dû s’arrêter à cause des sabotages du gouvernement.

L’organisation des Pasdaran est intervenue avec force après le dernier tremblement de terre de Kermânchâh, aux côtés de l’armée pour apporter des secours et construire des habitations provisoires dans chaque village, malgré les sabotages et les injonctions gouvernementales.

Le Sepah et les Bassidj (milices populaires), qui sont aussi une branche des Pasdaran, interviennent dans l’activité agricole, avec le soutien d’une banque. Les deux organisations ont affronté l’accaparement des eaux par les nouveaux latifundistes, ils se sont opposés au monopole du gouvernement sur l’exportation de produits agricoles au détriment du marché intérieur et sur l’importation d’autres produits sous prétexte de la sécheresse, à l’obéissance de ce gouvernement envers les plans de l’OMC (WTO) et envers Monsanto qui impose les produits transgéniques. Les Pasdaran ont affronté le boycott gouvernemental de la construction d’usines de dessalement et construit de nouvelles centrales nucléaires avec l’aide des Russes. Dans plusieurs régions de l’Iran, les Pasdaran et la population ont transformé des zones abandonnées et desséchées en centres de production agricole d’avant-garde, ils ont revitalisé les antiques systèmes d’irrigation (les Ganat, les Kaariz) sur les terres semi-arides du haut plateau iranien.  Ils sont présents également dans les activités culturelles, éducatives, dans les campagnes d’alphabétisation, la construction d’écoles dans les villages.

Cette lutte continue, à tous les niveaux et dans tous les domaines. On verra quelle attitude adopteront les commandants des Pasdaran face aux soumissions et aux conciliations de plus en plus graves de l’appareil gouvernemental iranien au camp impérialiste.

Courrier d’Iran, 24.4.2018

(1) Voir ci-contre, les articles de J. Posadas: « La révolution permanente en Iran ».