La France vient de connaître en 2022 deux élections d’importance, la présidentielle en avril et les législatives en juin, dans un contexte politique marqué par la guerre en Ukraine, l’accroissement de la crise du système capitaliste après deux années de pandémie dont la gestion a été catastrophique, l’aggravation des inégalités et des conditions de vie de la population, la poussée de l’extrême droite.
La guerre s’est invitée dans la campagne électorale, entraînant une grande confusion et une division supplémentaire à gauche avec des positions très diverses et opposées, la plupart mettant au centre l’appui inconditionnel à l’Ukraine et à l’envoi d’armes par la France et l’Union européenne, alors que d’autres posent la nécessité de combattre l’OTAN responsable du conflit actuel. Cette guerre a été largement instrumentalisée et relayée par des chaînes d’infos en continu aux mains des multinationales, et donc de milliardaires défendant les intérêts de la grande finance et des entreprises d’armements. Ces mêmes chaînes ont ouvert l’audience aux secteurs d’extrême-droite les plus durs, dont Éric Zemmour et sa révision de l’histoire, sa théorie du « grand remplacement » qui prône la haine raciale, qualifie les migrants d’assassins, de voleurs et de violeurs, participant à une surenchère médiatique violente et nauséabonde.
L’apparition d’un candidat à la présidence comme Éric Zemmour n’est pas anodine. Face à l’aiguisement des affrontements de classe et à la crise de plus en plus aiguë du système capitaliste, la droite démontre son besoin d’un discours beaucoup plus musclé et d’un gouvernement plus autoritaire que celui d’Emmanuel Macron, même si la restriction des libertés individuelles et collectives et les dérives sécuritaires sont en marche depuis plusieurs années. A côté de ce discours extrême de Zemmour, celui de Marine Le Pen apparaît comme tout à fait banal et sûrement plus acceptable pour certains, alors qu’en fait leurs objectifs ne sont pas différents.
La France a donc vu pour la première fois de son histoire deux courants d’extrême droite se développer, mais aussi un courant de la droite bourgeoise traditionnelle qui a abandonné les valeurs républicaines qu’elle défendait et qui n’a plus aucun scrupule à se montrer aujourd’hui aux côtés de la droite extrême. Quant à la gauche, très divisée depuis trop longtemps, grandement affaiblie par ses dissensions qui la rend incapable de créer un véritable contre-pouvoir à la politique ultralibérale de Macron, sa recomposition à travers la Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) pour les élections législatives ouvre un immense espoir mais pose aussi de nombreux questionnements.
Le résultat de l’élection présidentielle
Le fait le plus remarquable de l’élection présidentielle du premier tour est que, contrairement à ce que s’acharnait à faire croire la campagne du gouvernement et des médias, en diabolisant la gauche et plus particulièrement la France Insoumise devenue un groupement « d’anarchistes d’extrême gauche », le choix des électeurs ne se limitait pas qu’à deux possibilités : Emmanuel Macron ou Marine Le Pen. Une troisième composante était bien présente à travers Jean-Luc Mélenchon pour la France Insoumise, arrivé largement en tête dans des départements populaires ou dans des villes qui votaient traditionnellement à droite. La polarisation des voix s’est donc faite cette fois sur ces trois partis qui ont recueilli un total de 25.629.406 de voix sur 35.096.478 de votants, laissant peu de place aux autres candidats, l’abstention montant à plus de 13 millions (28,01%).
Emmanuel Macron a emporté ce premier tour avec 9.783.058 de voix (27,85%). Marine Le Pen a réalisé 8.133.828 de voix (23,15%) soit une augmentation par rapport à 2017, et le mouvement d’Éric Zemmour, s’il n’a pas eu l’audience qu’il escomptait, a obtenu 2.785.226 de voix (7,07%) se retrouvant ainsi à la 4e place du scrutin. Si on additionne ces deux composantes on arrive à un total de 10.919.054 d’électeurs qui ont donné leur voix à l’extrême droite, ce dont on peut réellement s’inquiéter pour l’avenir.
La bonne surprise est venue du score de Jean-Luc Mélenchon qui est arrivé en 3e position dans ce premier tour de la présidentielle et que peu de monde attendait avec un total de 7.712.520 de voix (21,98%). Il n’a donc pas pu être présent au second tour pour affronter Emmanuel Macron, mais ce score démontre que la France Insoumise représente aujourd’hui le parti de gauche qui correspond le mieux aux attentes d’une grande partie de la population pour changer réellement la société. Même si on peut faire de nombreuses critiques sur le fonctionnement de la France Insoumise que certains jugent antidémocratique, ce mouvement s’est organisé pas à pas durant plusieurs années pour construire le Parlement d’Union Populaire composé pour moitié de militants politiques et de représentants des mouvements sociaux, du monde syndical, associatif et artistique, sur la base d’un programme partagé « L’avenir en commun » qui a fait l’objet de nombreux ateliers et débats.
Dans cette situation politique nouvelle, la droite classique représentée par Valérie Pécresse pour Les Républicains a été balayée, passant de la 3e place en 2017 avec 7.212.995 de voix (20,01%) à 1.679.001 en 2022 (4,78%). La division est importante au sein des courants de la bourgeoisie, résultat de la politique engagée par E. Macron mais aussi du travail de sape mené par l’extrême droite rendant la ligne entre les deux courants de plus en plus ténue, certains représentants des Républicains n’hésitant plus à afficher des positions développées par Marine Le Pen, comme la préférence nationale en matière d’emploi ou la destruction du logement social.
Europe Ecologie Les Verts avec Yannick Jadot a réussi à obtenir 1.627.853 de voix (4,63%), très loin de faire le résultat des élections européennes de 2019 pour lesquelles le parti avait obtenu un peu plus de 3 millions de voix (13,48%). Pour le Parti Socialiste, avec la candidature d’Anne Hidalgo, la débâcle a été encore plus grande puisqu’il passe de 2.291.288 voix en 2017 à 616.478 voix en 2022 (1,75%). C’est le résultat de vingt années de politique sociale-démocrate, marquée plus particulièrement par les années de gouvernement de François Hollande à partir de 2012, qui ont été caractérisées par d’importantes réformes libérales, comme la loi travail. La politique menée à cette époque a signifié une rupture importante avec les classes populaires et les initiatives citoyennes, ce qui a conduit à une grande désillusion et un désintérêt croissant d’une partie des citoyens pour les partis politiques classiques.
Quant au Parti Communiste, la candidature de Fabien Roussel a obtenu 802.422 voix (2,28%). La position du PCF prise lors de son 38e congrès a été celle d’élargir son audience en tant que parti politique : 66% des délégués se sont prononcés pour que le PCF présente son propre candidat à la présidentielle, comme dans toutes les autres élections, et 73% ont fait le choix que cette candidature soit représentée par son secrétaire national Fabien Roussel. C’est donc la première fois depuis 15 ans que le PCF se présentait seul à une élection présidentielle, ayant pour objectif de « reconstruire la gauche » à partir du résultat obtenu : il est clair que cet objectif n’a pas été atteint. S’il y avait eu ne serait-ce qu’un simple accord électoral entre le PCF et LFI dans cette élection, c’est le sort de toute la France qui aurait pu être changé en mettant la gauche dans une position favorable pour le second tour de la présidentielle, bien avant Marine Le Pen.
Le deuxième tour de l’élection présidentielle a reconduit Emmanuel Macron à son poste de président, avec un score de 18.769.639 de voix (58,55%), représentant une baisse conséquente de son audience de près de 2 millions de voix par rapport à 2017. Quant à Marine Le Pen avec un score de 13.288.688 de voix, elle a gagné un peu plus de 2,65 millions de voix par rapport à 2017. Ce résultat est dû en partie au fait qu’un secteur de la droite a préféré reporter ses voix sur elle plutôt que sur Macron. D’autre part l’abstention a énormément augmenté entre les deux tours de l’élection, avec plus de 1,55 million de personnes qui ne se sont pas déplacées. Ceci montre que contrairement à 2017, la campagne menée autour du soi-disant « front républicain » pour faire barrage à l’extrême droite n’a pas fonctionné dans ce second tour et qu’une grande partie de l’électorat a refusé de voter pour Emmanuel Macron.
La création de la Nupes et l’avenir de la gauche
Le résultat de la France Insoumise à l’élection présidentielle a été un pas important pour arriver à l’événement qu’a représenté l’existence de l’accord pour une Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) aux élections législatives. Cette union s’est faite contre toute attente en une dizaine de jours, un véritable marathon de discussions entre LFI et les autres composantes de la gauche. Elle était réclamée par une grande partie des citoyens et des militants de gauche comme une nécessité, et LFI l’a rendue possible. Pourtant sa concrétisation en si peu de temps n’était absolument pas gagnée d’avance vu les dissensions importantes affichées depuis la fin du Front de Gauche, acté par le départ du Parti de Gauche et la constitution de La France Insoumise en 2016.
Les scores des autres partis de gauche réalisés à la présidentielle, principalement ceux du PCF, du PS, d’EELV, bien en-dessous des 5% permettant le remboursement des frais de campagne électorale, ont obligé ces formations à réviser leur stratégie sous peine de disparition. C’est aussi une des raisons qui a permis de réaliser un tel accord électoral pour les législatives. Le programme partagé de gouvernement signé collectivement est clairement un compromis, avec des points de divergences laissés pour plus tard sur nombre de questions comme l’Europe, la guerre en Ukraine et les livraisons d’armes, la position vis-à-vis de l’OTAN, l’emploi et les retraites, le nucléaire et les énergies renouvelables, les nationalisations.
Mais les dissensions au sein de la gauche existent toujours. Une nouvelle rupture est en train de se faire dans le Parti Socialiste où la tendance sociale-démocrate rejette Jean-Luc Mélenchon et la Nupes et parle de créer un nouveau parti, maintenant que son actuel premier secrétaire Olivier Faure est devenu le « socialiste le plus insoumis ». Dans le PCF les tensions sont vives entre différents secteurs qui rendent LFI responsable de tous les maux, du fait que l’extrême-droite et l’abstention sont en augmentation, que le programme de la Nupes serait faible et incohérent, que le mouvement social serait en recul, que son objectif serait l’élimination du parti… La discussion qui se joue en interne démontre qu’il existe beaucoup de colère mais aussi une mauvaise foi évidente et un grand sectarisme qui, s’ils se maintiennent, seront des obstacles pour avancer dans la construction d’un véritable mouvement de gauche capable de transformer la société.
La Nupes a permis une nouvelle composition de l’Assemblée nationale avec 131 députés de gauche, dont le chiffre n’aurait pas été atteint autrement. Ceci permet, même si la Nupes n’a pas réalisé le score qu’elle espérait pour un basculement plus spectaculaire, d’avoir un poids beaucoup plus important sur les orientations des projets de lois. Ce qui est un peu plus compliqué et incertain c’est le jeu des alliances dans les votes entre la droite et l’extrême droite, avec notamment la présence de 89 députés du Rassemblement National. Mais les députés des différentes forces de la Nupes démontrent également une certaine difficulté à faire front sur certaines questions, comme on l’a constaté début août lorsque le PS et EELV ont voté pour l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN alors que LFI et le PCF votaient contre.
La nouvelle répartition plus à gauche de l’Assemblée nationale rend possible en tous les cas aujourd’hui de vrais débats politiques et de fond sur les projets de lois pour en modifier les fondements. C’est là une situation complètement nouvelle depuis 2017 où Macron et sa majorité s’imposaient pour empêcher tout passage d’amendement et toute discussion.
La question centrale qui se pose aujourd’hui au sein de la gauche est bien celle de la stratégie à mener. Des critiques peuvent et doivent s’exprimer entre les différents partis de gauche, sur le fonctionnement interne, sur le programme et les enjeux essentiels aujourd’hui, sur les points laissés ouverts, mais elles doivent avoir lieu dans un contexte permettant d’avancer et de construire l’avenir. Dans cette union le rôle des partis n’est pas gommé, chacun peut y avoir une fonction à partir du moment où l’intérêt général prime sur les intérêts particuliers.
C’est là que le PCF peut trouver sa place et mener une politique intelligente, non en se cantonnant dans une critique stérile et des rancœurs accumulées depuis de nombreuses années. La réalité de la situation actuelle et les causes réelles du score obtenu à la présidentielle doivent être prises en compte et discutées, le PCF prenant sa part de responsabilités dans l’absence d’union à gauche : pourquoi de nombreux dirigeants du parti ont donné leur appui à Jean-Luc Mélenchon, l’objectif de LFI est-il réellement de siphonner les voix du PCF pour l’éliminer du paysage politique dans une volonté d’hégémonie, la stratégie du parti de présenter son propre candidat était-elle la bonne, que peut apporter le parti à la Nupes, en quoi son programme est-il si différent du sien ?
Toutes ces questions doivent être posées clairement au sein du Parti Communiste et de la Nupes si on veut que cette union ne soit pas simplement un accord électoral de plus qui sera abandonné aux prochaines élections. Il est certain que la transformation de la société ne se fera pas uniquement à travers les séquences électorales, mais en mobilisant le maximum de personnes autour d’actions communes qui répondent à l’urgence sociale et environnementale. Ces actions et la création d’un autre rapport de forces ne pourront se faire qu’à travers l’union des forces de gauche. Il faut pour cela s’ouvrir au pluralisme des idées tout en permettant à chacun de s’exprimer, que ce soit dans le PCF comme au sein de la Nupes.
Le PCF a mené jusqu’ici une politique dominée par une logique de concurrence et non par une attitude faisant du parti un bien commun nécessaire pour rompre avec le capitalisme et participer à la construction communiste de l’humanité. Il peut pourtant jouer un rôle essentiel sur le terrain, partout où il le peut au niveau local comme au niveau national, pour faire vivre le Parlement d’union populaire, élargir son audience et la participation du plus grand nombre à l’émergence d’une autre société, apporter des réponses aux problèmes posés par ce système capitaliste à l’ensemble de la population.
La Nupes représente un grand espoir pour la France, chaque parti qui la compose est responsable collectivement de son maintien, de son développement et de son avenir.
Les Posadistes – 12 août 2022
Photo : le rassemblement de création de la Nupes le 7 mai 2022