Une semaine ordinaire en France : de la répression intérieure à l’envoi de missiles en Syrie

La semaine qui vient de s’écouler – du 9 au 15 avril 2018 – est symptomatique de la situation qui existe en France et de l’écart qui se creuse entre le mouvement social et la politique libérale menée par le gouvernement. Partout des gens en colère sont mobilisés contre les projets de réformes menés à toute vitesse et à tous les niveaux par un président qui n’hésite pas à utiliser mensonges et contre vérités pour imposer un point de vue qui est de moins en moins partagé, comme l’expriment les derniers sondages auprès de la population ou les oppositions de certains députés de LREM (La République en Marche).

Il n’hésite pas non plus à appuyer l’envoi de la police et des CRS pour réprimer de façon disproportionnée les mobilisations des étudiants de plusieurs universités et expulser les « zadistes » (occupants de la ZAD : zone à défendre) qui occupent le site de Notre-Dame-Des-Landes. C’est aussi la même violence qui s’applique aux populations migrantes avec une nouvelle loi asile et immigration encore plus répressive.

Il décide par ailleurs, sans aucun débat avec la classe politique, parce qu’il suffit qu’il soit le « chef des armées » pour avoir toute légitimité de le faire, d’envoyer des missiles en Syrie en prétextant avoir toutes les preuves d’une intervention d’armes chimiques de la part du gouvernement de Bachar Al Assad, sans jamais les montrer.

Et pour couronner le tout il nous inflige deux conférences télévisées pour s’enorgueillir de sa politique et des réformes entreprises, nous démontrer qu’il n’y a pas d’autre voie que celle de l’ordre et du travail, et qu’il compte bien maintenir cette politique jusqu’au bout de son mandat.

L’ampleur des mouvements sociaux

Les mouvements sociaux et les colères qui s’expriment contre cette politique de casse systématique des acquis sociaux, des droits individuels et collectifs, des services publics, ont atteint une ampleur inégalée. Elles concernent tous les secteurs de la société :

  • les retraités à qui on baisse leur pouvoir d’achat par une ponction fiscale supplémentaire, et que ce président remercie de la façon la plus cynique pour leur participation,
  • les personnels de santé et les hôpitaux qui sont en grève depuis des mois pour défendre une santé de qualité et qui se battent contre la baisse constante de leurs moyens,
  • les cheminots et le personnel de la SNCF en grève contre l’ouverture à la concurrence du réseau ferroviaire, la remise en cause de leur statut qui serait selon Macron responsable des déficits de l’entreprise,
  • les personnels toutes catégories d’Air France dont les salaires sont gelés depuis 2011 et qui ont annoncé plusieurs jours de grève sur une période de trois mois, pour réclamer une revalorisation d’au moins 6% des rémunérations, alors que 11000 emplois ont été supprimés dans les dernières années et qu’en 2017 l’entreprise a réalisé 1,5 milliard d’euros de bénéfices,
  • les avocats et magistrats qui manifestent contre des logiques de gestion qui conduisent à la déshumanisation de la justice,
  • les lycéens et les étudiants qui se mobilisent contre la réforme de l’éducation qui risque d’imposer plus de sélection à l’entrée des universités et encore plus d’inégalités sociales,
  • les associations de défense des migrants scandalisées contre la loi actuellement en débat qui remet en cause le droit d’asile, aggrave les conditions de rétention des étrangers, réduit les délais de recours et fait en sorte d’interdire systématiquement leur retour en France,
  • les maires des communes qui s’opposent à l’austérité, à la baisse de leurs moyens financiers et à l’accroissement du contrôle de l’Etat sur leurs prises de décisions…

Paris manif cheminots 9 avril 2018

Autant de fronts ouverts pour les luttes auxquels s’ajoutent celles de milliers d’employés et de travailleurs contre leurs entreprises qui délocalisent, remettent les emplois en question, alors que les bénéfices et les dividendes distribués aux actionnaires n’ont jamais été aussi élevés, alors que la politique menée en matière fiscale ne favorise que les riches et les grosses entreprises sous prétexte qu’elles doivent pouvoir réinvestir dans le pays.

Les injustices sociales sont de plus en plus flagrantes depuis bientôt un an que Macron et ses ministres se sont attaqués à ce qui restait de l’Etat social, son système de solidarité institué au niveau de l’assurance maladie, de l’assurance chômage, des retraites, et du Code du travail. Ils ont aussi supprimé les droits individuels et collectifs par le renforcement de la sécurité intérieure, soi-disant pour faire face au terrorisme, instituant un Etat d’urgence généralisé et des formes nouvelles de contrôle vis-à-vis de la contestation militante. Ceci a entraîné la criminalisation des syndicalistes, des personnes lanceurs d’alertes ou exerçant leur solidarité auprès des migrants, et tous ceux que Macron nomme « les professionnels du désordre ».

La remise en cause de l’ordre moral et républicain dont se targue ce président conduit à des violences extrêmes de toutes natures, une répression hors norme contre les mouvements sociaux qui ont cours dans le pays. Ses discours renvoient dos à dos les intervenants, cherchant à diviser et empêcher qu’il y ait convergence dans les luttes, allant jusqu’à affirmer que certaines colères seraient légitimes et d’autres pas !

La répression dans les universités

Le projet de loi Vidal, du nom de la ministre de l’enseignement supérieur, pour l’orientation et la réussite des étudiants, a été adopté par l’Assemblée Nationale et le Sénat le 15 février dernier. Cette loi modifie en profondeur les modalités d’accès aux universités, pour éviter soi-disant le tirage au sort qui existait jusqu’à présent lorsque le nombre de candidats était supérieur au nombre de places disponibles dans une filière. Mais en fait il s’agit d’une nouvelle sélection des candidats à leur entrée à l’université, un tri social à travers une plateforme d’orientation s’appuyant sur des critères de compétences, qui affiche pour objectif d’améliorer la réussite des candidats. Mais qu’en sera-t-il des candidats qui ne répondront pas aux critères prévus pour leur entrée à l’université ? On inverse ici le droit d’accès de tous à l’éducation et on ne répond pas aux besoins d’ouvrir de nouvelles possibilités de places et d’études pour les jeunes en demande dont le nombre s’accroît chaque année.

Les orientations qui sont en cours dans l’éducation nationale vont à l’encontre de l’intérêt général et reproduisent, sous couvert de garantir une place pour tous à l’université, davantage d’inégalités sociales. Un mouvement de grève et d’occupation des étudiants s’est développé depuis l’adoption de cette loi dans une quinzaine de grandes universités en France, avec l’appui de professeurs. Ce mouvement remet en cause ce fameux ordre dont se réclame Mr. Macron.

France Manif lycéens avril 2018

Après le scandale de la fac de droit de Montpellier et l’intervention de nervis cagoulés et armés de bâtons envoyés par le doyen dans la nuit du 22 au 23 mars 2018, c’est à l’expulsion par les forces de police des étudiants de l’université de Nanterre en assemblée générale que nous avons assisté lundi 9 avril. Cette action a été suivie dans la semaine par l’évacuation musclée d’autres facultés comme la Sorbonne ou Tolbiac à Paris et dans d’autres grandes villes, et où sont pris pour cibles les meneurs syndicaux du mouvement.

Ces réformes de l’enseignement relèvent de choix politiques qui décident de créer la sélection par la concurrence entre lycéens et universités. Ce gouvernement préfère la confrontation plutôt que le dialogue, dans une situation tendue où se prépare la célébration des 50 ans de Mai 1968. Selon Macron « les professionnels du désordre doivent comprendre qu’on est dans un Etat d’ordre », mais une telle attitude risque au contraire d’approfondir le mouvement d’occupation et de mettre le feu aux poudres dans nombre d’universités.

La répression des « zadistes » de Notre-Dame-Des-Landes

Ces « professionnels du désordre » sont aussi pour Macron ces individus qui à Notre-Dame-Des-Landes occupent toujours depuis plusieurs années un terrain appartenant à l’Etat. Alors que le gouvernement a annoncé il y a trois mois l’arrêt du projet de construction de l’aéroport, que des négociations étaient en cours pour régulariser une partie des terres agricoles occupées, 2500 gendarmes sont envoyés le lundi 9 avril à l’aube pour expulser et détruire en quelques jours les installations réalisées collectivement. Ceci démontre tout le mépris de ce gouvernement pour des gens conduisant des projets agricoles alternatifs considérés comme exerçant « la tyrannie des minorités ».

Un tel déploiement de forces policières pour déloger de façon aussi violente une poignée de personnes et détruire tout ce qu’elles ont construit, même si elles occupaient illégalement quelques hectares de terrain appartenant au domaine public, est une provocation qui a suscité encore plus de colère dans la population et a mobilisé un soutien citoyen important.

France NDDL aide pour Reconstruction 

En lançant cette guerre contre les « zadistes », qui font partie des « colères non légitimes » dont parle Macron, le gouvernement montre son acharnement à faire respecter l’ordre mais aussi son impuissance à faire face à des projets partagés collectivement qui contestent toutes formes de propriété privée. Cette attitude d’autorité bafouée de l’Etat et sa volonté de monter les secteurs les uns contre les autres ne va produire qu’un accroissement du mouvement social et de la colère encore diffuse dans l’ensemble du pays. C’est ce qu’ont déjà exprimé au lendemain de cette tentative de reprise de contrôle de la zone par l’Etat les centaines de personnes qui ont afflué pour aider à la reconstruction des bâtiments détruits, tout comme les manifestations de soutien qui se sont déroulées à Nantes et ailleurs.

Les frappes de missiles en Syrie

Cette même violence s’exprime dans l’envoi des missiles sur la Syrie, dans la nuit du 13 au 14 avril, où Macron agit comme maître du monde et leader d’une « coalition internationale » qui ne comprend que 3 pays : la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Ces missiles ont été envoyés sur la Syrie la veille du jour où la commission d’enquête devait arriver sur place pour faire la clarté sur la question de l’utilisation présumée des armes chimiques. Une façon bien particulière de laisser les choses dans le flou et d’esquiver la démonstration de ces fameuses preuves qu’il aurait en sa possession ! Mais c’est surtout la reprise en mains d’une grande partie du pays par les forces armées syriennes, avec l’aide de la Russie, de l’Iran et aussi de la Chine, qui pose problème aux pays de cette fameuse coalition.

L’envoi de ces missiles est la démonstration de l’impuissance de l’impérialisme à empêcher la victoire de la Syrie sur les terroristes. Elle met aussi au jour l’échec de la stratégie mise place depuis 2011 par les pays occidentaux, et en particulier la France depuis son retour dans le commandement intégré de l’OTAN, qui était d’apporter un soutien aux soi-disant groupes d’opposants islamistes afin d’éliminer Bachar Al Assad et non de lutter contre le terrorisme.

Cette intervention aurait pour but de « faire respecter le droit international » et trouver une « solution politique permettant une transition durable ». Il est clair pour tout le monde que lancer des missiles sur un pays n’est pas une déclaration de guerre, comme nous le répète Macron, mais un « acte légitime de représailles ». On avait déjà eu droit par le passé, avec les épisodes pas très glorieux de l’Irak et de la Libye, à la « guerre préventive » et la « guerre humanitaire », on a aujourd’hui un nouveau concept d’intervention militaire qui devrait instaurer la paix et la discussion politique ! Cette décision de lancer ces missiles sur la Syrie est complètement insensée car c’est prendre le risque du déclenchement de la 3e guerre mondiale !

Outre le fait que Macron se soit allié à Donald Trump dans cette intervention, ce qui pose quelques questions à la classe politique française, cette décision d’envoi de missiles sur la Syrie n’a pas été discutée à l’Assemblée Nationale et ne fera l’objet que d’une information sans débat. Dans quelle démocratie vivons-nous donc aujourd’hui ?

Le projet de loi constitutionnel en cours réduirait de façon drastique le nombre de députés et de sénateurs, interdirait tout apport d’amendements aux projets de lois, – après une gouvernance sans entrave par ordonnances – ce qui signifie la volonté de concentrer tous les pouvoirs entre les mains d’une seule personne : le président de la République.

D’autre part la loi de programmation militaire prévoit une hausse de 23% des dépenses, avec un passage de 32,4 milliards d’euros en 2017 à 295 milliards prévus pour le budget des armées d’ici à 2025. Ceci fait de la France un bon petit élève de l’OTAN puisque l’objectif affiché pour 2025 est d’arriver à 2% du PIB alors qu’on en est aujourd’hui à 1,7%.

La politique de Macron et l’état de la gauche

Emmanuel Macron avance très rapidement dans ses projets de réformes qui touchent tous les secteurs de la société : le logement social, les prisons, le secret des affaires, l’assurance chômage, la formation professionnelle, la transition énergétique, la vie associative, la fonction publique, la constitution… Tous ces projets de lois ont pour objectif de redonner la main au privé et au capital, de démanteler ce qui reste des services publics et de rétrécir les droits individuels et collectifs.

Il suffit d’écouter le président incapable de reprendre le terme de « paradis fiscaux » face aux questions des journalistes, qui refuse de parler de cadeaux fiscaux faits aux entreprises et qui disserte plutôt sur « l’optimisation fiscale » quand on lui parle d’évasion fiscale organisée par les grandes entreprises et les multinationales, pour comprendre où se situent ses véritables alliés politiques.

Les concertations existantes sur tous les sujets qui font l’objet de réformes ne sont que des simulacres de démocratie. Elles ne sont là que parce qu’elles répondent au cadre légal, mais n’ont que peu d’impact sur les décisions prises puisque celles-ci sont définies en amont par le gouvernement, approuvées ensuite sans débat politique, avec parfois quelques amendements à la marge, et la plupart du temps par ordonnances. Les députés LREM qui montreraient certaines réticences face à une démocratie tronquée et à une absence de débat dans leurs propres rangs sont même invités à voter dans le sens de la proposition de loi sous peine de sanction.

Le capitalisme aujourd’hui a besoin d’affirmer son pouvoir et sa toute puissance par des politiques de plus en plus répressives, comme on peut le constater dans le développement des partis de droite et d’extrême droite dans une grande partie des pays d’Europe. Macron, comme ses ministres, a un discours bien rodé, qui n’hésite pas à mettre en opposition les cheminots grévistes de la SNCF et les usagers du chemin de fer, les étudiants en grève contre ceux qui sont empêchés de passer leurs examens. Le ministre de l’intérieur Gérard Collomb ose même parler sur les migrants de « submersion migratoire » et menace d’exclusion les députés de LREM qui s’insurgent contre cette position et ne voudraient pas voter la loi !

Manif cheminots Paris 22 mars 2018

Si Macron et son gouvernement peuvent avancer aussi rapidement dans ces mesures c’est parce qu’il existe un immense déficit au sein de la gauche en France. Le Parti Socialiste est exsangue, il a perdu une grande partie de ses membres et de ses élus aux dernières élections, après le mandat catastrophique de François Hollande, il a subi plusieurs scissions, même au sein de son mouvement de jeunesse, et son poids politique est aujourd’hui très faible.

Le Front de Gauche s’est dilué dans des conflits politiques lors de la campagne électorale pour les présidentielles, où la victoire de Macron a été rendue possible par une partie des militants qui étaient persuadés qu’il fallait voter pour lui afin de contrer le Front National. Le résultat est là dans la situation d’aujourd’hui, alors que ce n’est qu’avec 18% des inscrits que Macron été élu : un des plus mauvais scores pour une présidentielle de toute la Ve République ! De quel côté se trouve donc « la tyrannie des minorités » ?

Il y a nécessité aujourd’hui de reconstruire une grande force d’opposition à gauche pour contrecarrer les mesures prises par le capitalisme. France Insoumise se cantonne dans son idée de rassembler à lui tout seul en tant que mouvement et non parti politique, refusant l’unification pourtant nécessaire contre les projets destructeurs de ce gouvernement. Il y a urgence aujourd’hui à unifier les luttes, qu’il s’agisse des syndicats, des organisations politiques, des mouvements sociaux, des associations, autour d’objectifs communs.

Les formes de répression qui sont en cours actuellement contre les mouvements sociaux ne vont faire qu’aiguiser les colères. C’est une autre situation qui s’ouvre aujourd’hui où se dessinent déjà pour le 19 avril et les jours prochains des mobilisations dans toute la France qui se veulent unitaires et convergentes, cheminots en tête avec l’appui des personnels de santé, des étudiants, des retraités, de certains élus, pour montrer notre attachement au service public mais aussi nos choix pour construire une autre société.

Les Posadistes – 17 avril 2018