En cette fin d’année 2020, la situation que connait la France tant au niveau sanitaire, économique, social, environnemental, politique que démocratique, pose de très nombreuses questions quant à l’avenir du pays. Certains pensaient naïvement il y a quelques mois que « le monde d’après » ne pouvait être que meilleur et bénéfique pour l’ensemble de la société, mais l’évolution de la politique du gouvernement, avec ses réformes prises à toute allure et ses différents projets de lois liberticides, nous incite plutôt à penser que ce monde pourrait être bien pire que celui que nous avons connu jusqu’à maintenant, si nous ne faisons rien pour le changer.
Une gestion catastrophique de la crise sanitaire
Le système capitaliste a démontré au niveau mondial son incapacité à faire face à la pandémie, à anticiper la situation et en maîtriser sa gestion. En France cela s’est traduit par l’activation du « conseil de défense covid-19 » qu’Emmanuel Macron a conçu sur la même base que le Conseil de défense et de sécurité, composé de responsables politiques, de hauts fonctionnaires et d’experts, qui se réunissent chaque semaine pour faire le point sur la situation sanitaire, tous soumis au secret défense. Ce mode de fonctionnement, qui illustre ce qu’avait déclaré Emmanuel Macron le 16 mars dernier – que le pays est en guerre et qu’il s’arroge les pleins pouvoirs à travers un régime d’exception, utilisant toute une panoplie d’ordonnances et de décrets – interdit donc toute transparence des décisions prises et de leurs justifications.
Ce conseil de défense sanitaire donne des chiffres difficilement vérifiables et prend des décisions stratégiques qui semblent incohérentes : confinement, déconfinement et reconfinement, ouverture de magasins et de grandes surfaces, poursuite à l’identique des transports en commun, mais fermeture des bars, restaurants et des lieux culturels jugés non indispensables. C’est ainsi qu’avant même l’annonce de 40.000 cas positifs au covid-19 qui seraient apparus à Noël, on nous annonçait que le réveillon du jour de l’an serait soumis au couvre-feu dans tout le pays. Cette nuit-là les forces de police et de gendarmerie seront très mobilisées pour verbaliser les contrevenants et parer à n’importe quel trouble à l’ordre public.
On aurait pu penser que la crise sanitaire aurait permis de développer de nouveaux moyens pour l’hôpital public, mais il s’avère qu’aucun changement de cap n’a eu lieu depuis la première vague de la pandémie et les fameuses mesures du « Ségur de la santé » qui ont permis entre autres choses des augmentations de rémunérations pour les professionnels de santé mais qui en réalité n’ont fait que rattraper le gel des salaires depuis dix ans. Aujourd’hui en pleine deuxième vague de la pandémie on assiste surtout à des restructurations dans les hôpitaux devant permettre plus de productivité, au moyen de fermetures de lits supplémentaires et de réductions de personnel, obligeant les soignants à accroître leur charge de travail et à devoir choisir les personnes dont il faut s’occuper en priorité. Alors que 15.000 postes devaient être pourvus, ce secteur souffrirait de 7500 postes rendus vacants en grande partie à cause de conditions de travail de plus en plus dégradées.
Au-delà de cette gestion chaotique de l’épidémie du covid-19, les hôpitaux publics se retrouvent sans moyens pour faire face aux autres maladies, notamment les cancers. 2 millions d’opérations auraient été reportées à plus tard, et les examens de dépistage n’auraient pas pu avoir lieu à cause de l’engorgement des services dû au virus. Une étude des professionnels de santé avance que lors du premier confinement la déprogrammation des actes chirurgicaux aurait fait entre 1000 et 6000 décès supplémentaires à ceux constatés pour le covid-19, dont le nombre s’élève à 64.381 à ce jour. Qu’en est-il pour d’autres maladies et l’absence de suivi médical d’une grande partie de la population pendant cette période ? Personne ne peut le dire avec certitude, mais ce qui est sûr c’est que l’état de délabrement des services de santé est le résultat de la destruction systématique des services publics à l’œuvre depuis plusieurs années dans le pays.
Manifestation en défense de l’hôpital public à Paris en juin 2020
Les conséquences économiques et sociales
Alors que le gouvernement a mobilisé un grand plan de relance de 100 milliards d’euros pour que les entreprises puissent se maintenir et éviter les faillites, la logique financière des multinationales est restée la même qu’avant l’épidémie : augmenter les bénéfices pour satisfaire un accroissement des dividendes aux actionnaires. La manne financière de l’Etat n’est intervenue que pour servir les intérêts privés des grands groupes industriels et répondre à cette logique capitaliste dans laquelle la recherche du profit maximum fait qu’il faut en tout premier lieu diminuer le volume des salaires et la main d’œuvre. On assiste aujourd’hui à une accélération des restructurations massives et des délocalisations vers d’autres pays comme la Pologne ou l’Inde où la main d’œuvre est plus accessible et beaucoup moins chère.
La fermeture des sites de production sur le territoire français entraîne par voie de conséquence la disparition des secteurs Recherche et Développement des grands groupes : 400 emplois supprimés dans ce secteur correspondraient à 4 milliards d’euros de dividendes pour les actionnaires. La disparition des meilleures têtes pensantes de notre pays signifie donc une catastrophe au niveau national, comme le montre l’exemple du grand groupe pharmaceutique français Sanofi incapable de répondre à l’urgence de la fabrication d’un vaccin contre le covid-19, qui au mieux ne pourrait être mis au point que pour décembre 2021 !
Des plans de licenciements massifs sont en cours dans tous les secteurs d’activités, sans compter les fermetures d’établissements qui auront lieu pour ceux qui n’ont pas pu reprendre leur activité. Les prévisions font état d’à peu près 900.000 personnes qui pourraient perdre leur emploi d’ici à l’année prochaine. Cette situation génère encore plus d’inégalités et de pauvreté, et le recul du pouvoir d’achat n’a jamais été aussi important que maintenant. Ce sont 10 millions de personnes aujourd’hui qui souffrent de la faim et les associations s’occupant de l’aide alimentaire voient arriver chaque jour de nouvelles familles et de nouveaux types de population, comme l’afflux de jeunes de moins de 25 ans.
Pour survivre de nombreuses familles souscrivent des crédits à la consommation, complaisamment proposés par certaines banques, et se retrouvent rapidement en surendettement avec des loyers impayés. Les emprunts qui ne pourront pas être remboursés sont évalués à plus de 12 milliards d’euros en 2021. Les banques se débarrassent alors de leurs créances et les revendent à des sociétés de recouvrement qui utilisent le harcèlement et l’intimidation pour récupérer les sommes dues. C’est un cercle infernal qui risque de pousser nombre de familles à la rue à brève échéance.
On voit déjà aujourd’hui l’accroissement des demandeurs d’emploi mais aussi des bénéficiaires des minima sociaux. Fin octobre ces bénéficiaires atteignaient plus de 2 millions de personnes, provoquant de grandes inquiétudes au sein des collectivités locales (les départements en l’occurrence pour ce qui concerne le RSA – revenu de solidarité active) qui doivent répondre d’urgence à cette hausse de la demande alors qu’elles sont elles-mêmes soumises à un étranglement budgétaire chaque fois plus important.
Et ce n’est pas la réforme du chômage qui se prépare pour 2021 qui arrangera les choses, bien au contraire. Si les possibilités d’emploi vont se faire plus rares à l’avenir, les chômeurs de longue durée vont voir leurs droits se terminer et l’aide des minima sociaux comme le RSA, soumis à des conditions de reprise d’activité, ne pourront pas se maintenir. On assiste déjà aujourd’hui à des radiations de personnes pour le simple fait qu’elles n’auraient pas suffisamment recherché un emploi. Lors du premier confinement ces radiations avaient été gelées, ce qui n’a pas été le cas pour le deuxième. Même si l’Etat a accru le financement des secteurs de l’insertion, à qui on demande en contrepartie de créer 60.000 emplois au cours de l’année à venir, ces derniers seront dans l’incapacité de répondre à l’explosion du nombre de demandeurs d’emploi, en dehors du fait que leur but est de redonner en deux ans des possibilités de remise en condition de travail à des chômeurs de longue durée et non à résoudre la question du chômage.
L’aggravation de la situation économique et sociale, les suites de la crise sanitaire dont personne ne sait à quel moment elle se terminera, avec l’assignation à résidence que représente le confinement pour des personnes vivant dans des logements étroits et surpeuplés, et la rupture des relations sociales de base, vont avoir des conséquences désastreuses sur leur vie et leur santé. C’est dans les quartiers populaires qu’on observe le plus de décès dus à la pandémie et que s’accroissent la peur, le stress, les dépressions et les maladies mentales. Certaines études font déjà apparaître une recrudescence des agressions et des violences physiques en 2020, démontrant une société qui commence à craquer de partout faute de perspectives.
Mobilisation à Paris en décembre 2020 pour la défense des libertés
La marche forcée des projets de lois et des mesures répressives
Malgré cette situation préoccupante, le gouvernement continue la même politique, en faisant avancer à marche forcée des projets de lois liberticides et dangereux. La loi initialement appelée par E. Macron « lutte contre les séparatismes » est devenue « loi confortant le respect des principes de la République ». Elle est censée répondre aux derniers attentats « islamistes » commis en France, notamment l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty, avec une cohorte de mesures très diverses allant de l’école obligatoire à partir de 3 ans à la lutte contre les mariages forcés et la polygamie. Elle remet en question l’équilibre de la loi de 1905 sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat et sur la laïcité, elle fait un amalgame une fois de plus entre terrorisme et religion musulmane, accentuant les peurs et les discriminations. Elle prévoit un contrôle de l’ensemble des associations, qu’elles soient cultuelles ou non, ainsi que des fédérations sportives qui devront signer un « contrat d’engagement républicain » pour avoir droit à des financements publics. Elle crée en plus deux nouveaux délits : celui de la haine en ligne en lien avec la loi de 1881 sur la liberté de la presse dont les infractions pourront être jugées par une procédure accélérée, et celui de la mise en danger de la vie d’autrui par la divulgation d’éléments sur sa vie privée dans le but de lui porter atteinte. C’est donc ici l’intention de nuire qui est ciblée et qui sera à démontrer !
Comment peut-on faire respecter aujourd’hui les principes de la République que sont la liberté, l’égalité et la fraternité quand ils sont bafoués par les règlementations, ou par la volonté de donner en 2021 une pérennité aux mesures d’exception qu’était l’Etat d’urgence sanitaire ? Où est la France de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? Les libertés individuelles et collectives sont soumises à des interdictions de toutes sortes, y compris les rassemblements sur la voie publique, l’égalité a laissé la place aux discriminations et aux inégalités sociales avec des écarts de plus en plus grands entre riches et pauvres, la fraternité ne se joue plus que dans les actions de solidarité menées par la population et les associations, tous ceux qui défendent les services publics contre les intérêts privés, qui prennent des initiatives collectives désintéressées, qui instaurent de la cohésion sociale par le bénévolat, l’entraide entre voisins et le soutien aux migrants.
La loi sur la sécurité globale quant à elle permet aux forces de police d’intervenir de façon incontrôlée et incontrôlable puisqu’il ne sera plus possible de la filmer et de diffuser ses actes de violences. Cette loi a déclenché la colère de dizaines de milliers de personnes dans toute la France avec la constitution d’une coordination pour la défense des libertés publiques regroupant des avocats, des journalistes, des artistes, les associations, les forces de gauche et de progrès. Et le jour où cette loi a été votée le 23 novembre dernier, l’expulsion violente et inhumaine des migrants qui a eu lieu Place de la République à Paris a déchaîné encore plus de colère et de mobilisations.
Les projets en cours vont tous dans le même sens. Les réformes qui avaient été suspendues à cause de la pandémie vont reprendre d’ici peu : celle des retraites, de la Sécurité sociale, de l’assurance chômage, et la note sera dure pour les artistes et l’ensemble des intermittents du spectacle qui faute de contrats et de revenus n’auront plus droit aux allocations.
A cette situation déjà très tendue s’ajoute la publication le 2 décembre de 3 décrets élargissant le fichage des citoyens pour opinions politiques, convictions philosophiques, religieuses et pour appartenance syndicale : une panoplie supplémentaire de mesures liberticides. Un livre blanc sur la sécurité intérieure prévoit pour 2022 une nouvelle loi permettant l’utilisation légale des mesures biométriques, de la reconnaissance faciale, de l’intelligence artificielle, des drones pour la surveillance des manifestations et le maintien de l’ordre. La science-fiction est dépassée : c’est à l’aide de la technologie que la guerre contre la population est à présent déclarée.
Les migrants Place de la République à Paris avant leur expulsion
Les actions de résistance
Il faut s’attendre à une situation catastrophique pour nombre de petits commerces, restaurants, bars, salles de spectacles et de cinéma, activités touristiques, culturelles, événementielles, qui n’ont pas repris un cours normal depuis des mois. Des mobilisations ont lieu dans de nombreuses entreprises contre les plans de licenciement comme chez Bridgestone, ArcelorMittal, Airbus, Onet, Safran, Derichebourg, etc. mais aussi contre les projets de privatisation chez EDF, Engie, la RATP. L’intersyndicale reconstituée prévoit de multiples journées de mobilisation pour le début d’année 2021 : le 21 janvier avec les secteurs de la santé, le 26 janvier avec l’Education nationale, le 28 janvier avec les secteurs de l’énergie, et une grande journée de grève et de lutte est annoncée pour le 4 février prochain.
Mais la catastrophe annoncée ne se limite pas aux aspects économiques et sociaux, elle atteint les questions écologiques et environnementales. Les projets gouvernementaux profitent de la pandémie pour accélérer des installations sur des hectares de terres agricoles et artificialiser les sols sous prétexte de relance économique. C’est ainsi que l’installation en accéléré de 78 sites industriels va pouvoir se faire sans avoir besoin de remplir les démarches administratives qui existaient auparavant. Alors que le gouvernement avait posé dans son plan biodiversité de 2018 l’objectif de « zéro artificialisation nette », réaffirmé par E. Macron en 2020 lors de la Convention citoyenne pour le climat, on assiste à un revirement de position par décrets autorisant des contournements législatifs et des dérogations au droit de l’environnement.
Le 19 novembre dernier le Conseil d’Etat, saisi par plusieurs maires et associations de défense de l’environnement, mettant l’Etat en demeure pour inaction climatique, s’est prononcé en faveur de cette requête et a sommé le gouvernement à agir dans les 3 mois pour que la trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre prévue par l’Accord de Paris sur le climat du 12 décembre 2015 soit respectée. C’est un pas en avant important sur le sujet, même si on peut douter de l’issue de cette affaire au moment où E. Macron annonçait il y a quelques jours ses propres renoncements devant la Convention citoyenne pour le climat.
Les artistes et les professionnels de la culture sont mobilisés pour faire du spectacle vivant et du cinéma un centre indispensable à la vie. Ils se déclarent prêts à entrer en résistance et annoncent des actions de désobéissance civile dans tous les endroits possibles ouverts au public, qu’il s’agisse d’églises, de centres commerciaux ou de galeries marchandes. Les associations de lutte pour l’environnement sont dans le même état d’esprit : mener des actions coup de poing pour alerter et essayer de faire infléchir les décisions prises à tous les niveaux, localement ou nationalement.
Les mobilisations n’ont pas cessé avec la pandémie dans tous les secteurs de la société : éboueurs, égoutiers, sans papiers, travailleurs précaires et saisonniers, libraires, gilets jaunes… Elles ont repris de plus belle avec les diverses lois qui ont été votées dernièrement et qui n’ont fait qu’accroître la colère des citoyens. La nécessité de reprise du lien social a commencé à créer de nouvelles mises en réseau dans tout le pays, entre citoyens, associations et collectifs, partis de gauche et syndicats, pour lutter contre tous les projets visant au saccage de l’environnement, ou portant atteinte aux libertés individuelles et collectives et à la démocratie, pour défendre les services publics, la culture et toutes les mesures nécessaires à la satisfaction des besoins vitaux de la population.
Pour cela nous avons besoin de partis de gauche capables de se parler, de se comprendre, de se mettre d’accord et de s’unir dans des luttes conjointes pour en finir avec ce système capitaliste et répondre aux besoins de la population. Il est impensable qu’en 2020 chaque parti de gauche soit encore sur la position de présenter son propre candidat à l’élection présidentielle de 2022, alors que l’urgence de la situation aujourd’hui pose tous les éléments d’une explosion économique, financière et sociale à très court terme.
Les Posadistes – 30 décembre 2020
Photo : Manifestation à Paris contre la loi de sécurité globale le 28 novembre 2020