La Syrie face au défunt droit international et à la défunte Charte de l’ONU

Nous publions ci-après deux interventions importantes de Bashar Al-Jaafari, l’actuel représentant de la République arabe syrienne au siège des Nations-Unis à New York. Nous reproduisons son discours du 29 juin 2020 et un extrait de son discours du 29 juillet 2020 où il exprime avec détermination et courage les positions du gouvernement.

DISCOURS DE BASHAR AL-JAAFARI, 29 juin 2020

Monsieur le Président, 

Socrate a parlé vrai lorsqu’il a dit que l’humanité n’est pas une religion, mais un niveau atteint par certains humains. Dans ce contexte, il est indubitable que les gouvernements de certains pays occidentaux qui tentent de se faire passer pour des parangons de l’humanité et de l’éthique n’ont pas réussi à atteindre un tel niveau.

Certitude confirmée lorsque les gouvernements de ces pays ont fait la sourde oreille à l’appel du Secrétaire général des Nations Unies les invitant, le 23 mars 2020, à renoncer aux mesures coercitives unilatérales. À savoir qu’au sein de cette organisation, nous ne parlons pas de sanctions, mais de « mesures coercitives unilatérales » parce qu’illégales et illégitimes. Des mesures dont, contrairement à l’appel du Secrétaire général, ces gouvernements se sont empressés d’annoncer la prolongation et même le durcissement avec, par conséquent, la confirmation de leur échec au test de crédibilité et d’humanité.

La souffrance de deux milliards de personnes causée par de telles mesures ne mérite-t-elle pas la tenue de séances extraordinaires d’urgence de votre conseil, pour mettre un terme à ce crime contre l’humanité et demander des comptes aux responsables ?

Et la levée de ces mesures coercitives unilatérales qui frappent vingt-quatre millions de Syriens ne mérite-t-elle pas une action immédiate de la part des prétendus porte-plume humanitaires, au lieu de ce à quoi nous avons assisté aujourd’hui comme au cours d’autres sessions du même genre, tels les efforts fébriles cherchant à promouvoir de fausses allégations ou accusations, et telles les tentatives infructueuses pour échapper à la responsabilité du terrorisme économique et des punitions collectives pratiqués contre des millions de civils syriens ?

Comment espérez-vous qu’une personne sensée puisse croire que l’Allemagne et la Belgique, les porte-plume humanitaires d’aujourd’hui, soutenues par les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, nourrissent une quelconque bonne volonté ou la moindre préoccupation humanitaire pour la sécurité et le bien-être des Syriens, alors que les gouvernements de ces pays nuisent à chacun d’entre eux en ciblant leurs moyens de subsistance, leur accès aux médicaments, la nourriture de leurs enfants, la sécurité et les ressources de leur pays ? Le tout, en plus de leur soutien à l’occupation américano-turco-israélienne de certaines parties de mon pays et des crimes commis directement, ou indirectement par le biais de milices séparatistes et d’organisations terroristes ?

Il est terriblement triste pour les personnes libres en ce monde de voir ces pays tenir, à la fois, le rôle de juge, de jury et de bourreau au sein de ce Conseil.

Monsieur le Président,

Les gouvernements de certains États membres de ce conseil ont poussé leurs politiques hostiles à l’égard de mon pays au point qu’ils sont désormais totalement inaptes à jouer un rôle positif et constructif concernant la situation en Syrie et dans toute la région. La preuve en est le silence et la pression imposés au Conseil de sécurité par ces mêmes gouvernements qui tentent d’en faire une plate-forme pour l’OTAN, plutôt que pour le maintien de la paix et de la sécurité.

Et ce, d’autant plus qu’il semble que les gouvernements en question aient cédé aux caprices et aux ambitions de l’administration américaine et soient devenus des admirateurs des politiques d’occupation, de turcification et de soutien au terrorisme pratiquées par le régime d’Erdogan sur le territoire de mon pays.

Erdogan, dont ils soutiennent aussi les ambitions expansionnistes, les crimes contre la Syrie, l’Irak, l’Égypte, la Libye, la Tunisie, l’Arménie, la Grèce et Chypre, ainsi que les violations des droits de ses opposants parmi le peuple turc ami. Violations manifestes dès le lendemain de la prétendue tentative de coup d’État [en Turquie] ; laquelle, comme vous le savez tous, a été suivie de violations massives des droits de dizaines de milliers de civils et de fonctionnaires de l’État turc.

Soyons clairs : si certains rêvent de répéter, dans mon pays, l’expérience de l’occupation turque d’une partie du territoire chypriote depuis 1974, nous ne le permettrons pas, même si l’OTAN est derrière Erdogan.

J’invite mes collègues représentants de l’OTAN au sein de ce Conseil à répondre franchement et sans équivoque à nos questions :

  • Soutenez-vous le droit international et la Charte des Nations Unies ou bien soutenez-vous l’occupation américano-turco-israélienne de certaines parties de mon pays ?
  • Respectez-vous ce que disent les résolutions de votre Conseil sur la souveraineté, l’unité et l’intégrité territoriale de mon pays, ou bien soutenez-vous les tentatives visant la partition, la poursuite de la déstabilisation et de l’insécurité dans mon pays et dans la région ?
  • Croyez-vous en l’utilité de la lutte contre le terrorisme et de la libération des civils du contrôle d’organisations terroristes, ou bien l’investissement dans le terrorisme est permis et souhaité lorsqu’il sert vos agendas ?
  • Croyez-vous aux principes du travail humanitaire – ou bien s’en prendre aux Syriens, les assiéger et les intimider est légitime tant qu’il sert vos intérêts et vos agendas ?
  • Comment expliquez-vous votre silence quant au refus d’Erdogan de laisser passer les convois humanitaires de l’intérieur de la Syrie vers les zones qu’il occupe dans le nord-ouest de la Syrie, comme ce fut le cas pour le convoi qui devait se rendre le 14 avril 2020, avec l’approbation du gouvernement syrien, dans la région d’Al-Atarib et ses environs ; convoi toujours pas acheminé par l’OCHA [Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU] ?
  • Et si vous empêchez ce Conseil de s’acquitter de ses principales responsabilités en matière de maintien de la paix et de la sécurité internationales, quelle serait la référence internationale alternative à laquelle nous pourrions confier les principes et les objectifs des Nations Unies ?

Monsieur le Président,

Les porte-plume humanitaires préparent, une fois de plus, un projet de résolution destiné à étendre les effets de la résolution 2165 (2014) portant sur les aides humanitaires transfrontalières [5].  Je ne m’étendrai pas sur la position bien connue de mon pays qui rejette de telles résolutions totalement éloignées des objectifs humanitaires et des dispositions de la résolution 46/182 de l’Assemblée générale [6].  Résolutions qui visent à servir les agendas de gouvernements hostiles, violent la souveraineté et l’intégrité territoriale de la République arabe syrienne sur la base d’allégations politisées et de rapports déformés de l’OCHA (bureau de la coordination des affaires humanitaires, ou BCAH), et ignorent les efforts considérables déployés par les institutions de l’État syrien dans ce domaine en coopération avec ses partenaires, les pays alliés et amis.

La résolution 2165 (2014), reconduite par la résolution 2449 (2018) puis par la résolution 2504 (2020), est une mesure exceptionnelle et temporaire, adoptée par le Conseil de sécurité dans des circonstances révolues. Sa persistance ne peut être autorisée ni renforcée par l’insertion de nouveaux passages transfrontaliers pouvant servir l’occupation et menacer l’intégrité et l’unité des territoires syriens. Seuls sont disponibles les points de passage d’Al-boukamal et de Nassib et les aéroports d’Alep et de Qamichli. Autrement dit, l’OCHA peut acheminer son aide humanitaire en Syrie via deux passages transfrontaliers et deux aéroports.

Au lieu de perdre du temps avec les détails inutiles et les rapports trompeurs de l’OCHA, votre Conseil devrait s’attaquer aux causes profondes de la crise. Cela rétablirait la sécurité et la stabilité et améliorerait la situation humanitaire. Ce qui signifie qu’il faudrait mettre fin à l’occupation américano-turque et à ses crimes, dont la destruction des infrastructures syriennes, le pillage de toutes sortes de ressources et les incendies des cultures agricoles. Et ce qui implique de soutenir les efforts de l’État syrien et de ses alliés dans leur combat contre le terrorisme, en plus de la levée immédiate des mesures coercitives unilatérales.

Des mesures qui ne se limitent pas à tarir les moyens de subsistance de millions de Syriens mais visent, entre autres, à diviser mon pays, comme le prouve la fameuse « loi César » dont les dispositions ne s’appliquent pas au nord-est de la Syrie, afin d’encourager les tendances séparatistes parmi les milices inféodées aux occupants et de créer de nouvelles réalités sur le terrain.

Monsieur le Président,

Ma délégation renouvelle son appel aux pays qui se sont engagés à respecter le droit international et le maintien de la paix et de la sécurité internationales, à mettre fin à la politisation de la question humanitaire dans mon pays, à soutenir les efforts  de l’État syrien dans les domaines de l’humanitaire et du développement, et aussi à rejeter les conditions politiques et les diktats imposés par certains gouvernements dans le but d’entraver les efforts de rétablissement et le retour des Syriens déplacés.

Concernant les « conférences de Bruxelles », mon gouvernement réitère sa position et souligne le fait qu’elles ne sont rien d’autre que de la propagande visant à servir l’agenda de certains pays organisateurs profondément déterminés à politiser l’action humanitaire et à imposer leurs conditions ; réaffirme qu’il ne reconnaît aucune initiative ou réunion concernant la Syrie sans sa participation et son entière coordination ; redemande à l’ONU de ne pas participer à de telles manifestations afin de respecter son rôle impartial et les principes directeurs de l’action humanitaire tels qu’énoncés dans la résolution 46/182.

En conclusion, Monsieur le Président,

L’invitation de faux témoins devant ce Conseil ne sert pas la noble cause qu’il se serait efforcé de défendre tout au long d’une centaine de sessions tenues jusqu’ici, mais consiste à délibérément détourner ses mécanismes dans l’intention de fausser les faits et d’induire en erreur les représentants des États membres.

Ces invitations répétées d’« instruments » de falsification des faits, qu’il s’agisse de la situation humanitaire, du dossier politique ou chimique, témoignent du niveau de préjudices ourdis par les ennemis de mon pays et de l’étendue de leur frustration devant l’échec de leur pari sur le terrorisme et sur les « sanctions » pendant toutes ces années de crise.

Les invités de la Présidence de ce Conseil pour son information sur une quelconque question humanitaire doivent tenir un rôle responsable et non seulement un rôle de critique, de nuisance et d’incitation contre le gouvernement et le peuple de mon pays.

Quiconque parle de situation humanitaire, de quelque pays que ce soit, doit être digne de confiance et bien informé des dispositions de la Charte et des disciplines du discours.

Merci, Monsieur le Président.

Dr Bachar al-Jaafari – Envoyé spécial de la Syrie auprès des Nations Unies – 29/06/2020

Traduction de l’anglais par Mouna Alno-Nakhal pour Mondialisation.ca

Source : The Syrian Mission to the United Nations  (vidéo) / https://www.youtube.com/watch?v=OBW-Pa567vs

Notes :

[1][Supporting the future of Syria and the region – Brussels IV Conference, 30 June 2020]

[2][Syrie – Aide humanitaire – Participation de Jean-Baptiste Lemoyne à la quatrième conférence de Bruxelles sur l’aide à apporter pour l’avenir de la Syrie et des pays de la région (en visioconférence, 30 juin 2020)]

[3][Angélus du 28 juin 2020 –Pape François](de14’24’’à15’54’’)

[4][Syrie: le Coordonnateur des secours d’urgence appelle le Conseil de sécurité à reconduire les opérations transfrontalières vers le Nord-Ouest syrien, à 11 jours de leur expiration]

[5][ONU : Une 31ème résolution pour passer outre la souveraineté syrienne…]

|6][OCHA d’une seule voix : la résolution 46/182 de l’Assemblée générale.

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EXTRAIT DE L’INTERVENTION DE BASHAR AL-JAAFARI AU CONSEIL DE SECURITE DE L’ONU, 29 juillet 2020

“Ceux qui revendiquent la défense de questions humanitaires doivent regarder les faits tels qu’ils sont, non tels qu’ils sont présentés dans des agendas, par définition, hostiles à mon pays. À ce propos, permettez que je rappelle brièvement les points suivants en rapport avec les efforts déployés par la Syrie en la matière :

  • Le 14 avril 2020, le gouvernement de mon pays a informé les Nations Unies qu’il était disposé à faciliter l’acheminement d’un convoi d’aide humanitaire vers la ville d’Atareb et ses environs dans le nord-ouest de la Syrie. Aujourd’hui, cent jours après, OCHA n’a toujours rien entrepris pour la livraison de ce convoi. Merci Monsieur Lowcock ! [Secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires et Coordonnateur des secours d’urgence].
  • Le gouvernement syrien a facilité la livraison, par voie terrestre, d’une cargaison d’aide médicale affrétée par l’OMS, de Lattaquié vers le nord-ouest de la Syrie. Une deuxième cargaison, présente en Irak depuis un moment, est aussi récemment arrivée en Syrie ; le gouvernement syrien ayant facilité son transport, par voie aérienne, de l’aéroport irakien d’Erbil vers l’aéroport international de Damas, avant de l’acheminer par la route vers la région de Qamichli dans le nord-est de la Syrie. Ce qui réfute toute allégation concernant l’impossibilité de livrer l’aide transfrontalière à toutes les régions de la République arabe syrienne.
  • Le gouvernement syrien a informé l’OCHA qu’il pouvait travailler en inter-humanitaire sur le territoire syrien et utiliser les points de passage officiellement désignés, y compris le passage d’Albou-kamal ouvert sur l’Irak, le passage de Nassib ouvert sur la Jordanie, l’aéroport d’Alep et l’aéroport de Qamichli. Ce qui réfute la nécessaire obligation du travail humanitaire transfrontalier et même la nécessité d’une résolution du Conseil de sécurité. Cependant, l’OCHA n’a rien entrepris pour profiter de cette proposition.

Monsieur le Président,

Ma délégation réaffirme le contenu de la plainte officielle adressée le 31 mai 2020 par le gouvernement syrien au Secrétaire général des Nations Unies et au Président du Conseil de sécurité. Elle dénonce les pratiques de certains gouvernements d’États membres, en particulier les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et la Turquie ; notamment celles concernant les mesures coercitives unilatérales imposées par ces mêmes pays à la Syrie et à d’autres pays, l’occupation illégale de notre territoire, la répression et l’assassinat délibéré de nos citoyens.

Trois mois après, nous attendons toujours une réponse officielle. Et à ce propos, nous regrettons que le porte-parole du Secrétaire général, interrogé à trois reprises sur l’action entreprise par son secrétariat suite à notre plainte, ait toujours refusé de nous répondre ».

Dr Bachar al-Jaafari – Envoyé spécial de la Syrie auprès des Nations Unies – 29/07/2020