Un nouveau gouvernement en France encore plus à droite que le précédent

Après les élections législatives du 7 juillet 2024, où le rassemblement de gauche du Nouveau Front Populaire (NFP) est arrivé en tête du scrutin, la vie politique française a été suspendue pendant deux mois, les ministres dits démissionnaires assurant toujours plus ou moins leur fonction.

Emmanuel Macron, les députés du centre, de droite et d’extrême droite de l’Assemblée nationale, ont alors manifesté violemment leur opposition à un gouvernement qui comporterait des ministres de La France Insoumise (LFI) et à toute application des mesures du programme du NFP, un programme qu’ils définissaient à tort mais volontairement comme celui de LFI, en brandissant la menace d’utiliser la motion de censure pour bloquer toute mesure de gauche. Cette campagne de démolition envers LFI s’est accentuée depuis le 7 octobre 2023 où le Hamas a attaqué l’Etat d’Israël, à coups de contre-vérités et d’arguments fallacieux, qui n’est malheureusement pas propre à la France, selon lesquels l’opposition à la politique fasciste menée par le Premier ministre d’Israël aurait pour nom antisémitisme, laissant la part belle au Rassemblement National (RN) qui devient tout d’un coup très fréquentable.

C’est dans un tel contexte que LFI a déclaré renoncer à des postes de ministres dans ce gouvernement, afin de donner sa chance au front de gauche. Malgré cela, Emmanuel Macron a rejeté la proposition de candidature au poste de Premier ministre de Lucie Castets, une haute fonctionnaire qui avait la charge de la direction des finances et des achats de la Ville de Paris, sur laquelle tous les membres du NFP s’étaient mis d’accord.

Le choix du Premier ministre et la constitution du gouvernement

Emmanuel Macron a tout d’abord déclaré que personne n’ayant la majorité absolue, personne n’avait gagné ! Il a repoussé à mi-août sa décision sur la nomination du Premier ministre, laissant la priorité au bon déroulement des Jeux Olympiques. Puis il a ensuite annoncé l’ouverture de consultations avec toutes les directions des partis politiques représentés à l’Assemblée nationale à partir du 23 août.

Ce sont les représentants du NFP, accompagnés de Lucie Castets, qui ont été reçus les premiers à l’Elysée. Ils ont montré qu’ils étaient prêts à faire des compromis, à mener un travail collectif avec les parlementaires sur certains sujets et les partenaires sociaux sur les questions du salaire minimum, des retraites et de la défense des services publics. Lors de cette entrevue Macron aurait reconnu que le résultat des élections avait montré que les Français voulaient une autre politique, mais 3 jours après il rejetait cette candidature à gauche sous prétexte que celle-ci allait remettre en question la « stabilité institutionnelle » et qu’il allait poursuivre ses consultations.

De quelle « stabilité institutionnelle » parlait-il ? L’Assemblée nationale est aujourd’hui divisée en trois blocs distincts, ce qui est le résultat d’une situation politique qu’il a lui-même créée à partir de la dissolution du gouvernement au lendemain des élections européennes du 9 juin, où les représentants du RN ont obtenu un score très élevé. L’instabilité politique vient donc de son fait, de sa volonté à ne pas reconnaître la nouvelle configuration sortie des urnes aux élections législatives et l’échec de ses propres décisions et de son mouvement. Elle vient aussi de ses manœuvres pour provoquer un éclatement du NFP en proposant le poste de Premier ministre à certains membres du PS restés hostiles à l’union des forces de gauche, qui ont heureusement rejeté toute participation à ce gouvernement, et à chercher à tout prix à éliminer LFI de l’équation.

Le programme du NFP n’est pourtant pas un programme anticapitaliste, ce n’est qu’un contrat de législature reprenant des mesures économiques et sociales minimales sur lesquelles les forces de gauche se sont mises d’accord. Mais il ne fait aucun doute que même ainsi l’application de ce programme est en complète opposition avec les objectifs politiques de Macron, qui ne sont pas de répondre aux besoins de la population, ni à l’intérêt général du pays, mais aux intérêts des multinationales et de la haute finance. Il continue ainsi les méthodes de travail qu’il a appliquées depuis 2017 pour imposer ses réformes, et réitère son mépris vis-à-vis des institutions, particulièrement de la démocratie parlementaire.

Recourir aux consultations des partis politiques lui permet de mesurer avec qui il va pouvoir faire alliance pour mener sa feuille de route, qu’il veut absolument poursuivre jusqu’à la fin de son mandat, mais aussi de faire porter la responsabilité d’un blocage politique sur les autres partis. Dans un premier temps les Républicains (LR), parti de droite qui n’a obtenu que 5,41% des voix et 38 députés – le pire score de ces dernières années -, ont refusé l’idée d’une coalition gouvernementale et de se porter candidat au poste de Premier ministre.

C’est le 5 septembre que Macron, après de nombreuses tractations, se décide à nommer Michel Barnier comme Premier ministre, un homme politique qui a suivi le parti gaulliste dans toute son évolution jusqu’au parti des Républicains. Il a été successivement depuis 1995 ministre de l’Environnement, délégué aux Affaires européennes, puis ministre des Affaires étrangères et de l’agriculture, jusqu’à devenir Commissaire européen en charge du marché intérieur et des services, ce qui lui a valu de négocier le Brexit pour l’Union européenne.

L’annonce du nouveau gouvernement s’est faite le 21 septembre avec la nomination de 41 ministres où dominent les différents partis de droite et le mouvement Renaissance créé par Macron. Bien que le RN soit exclu de ce gouvernement, il est clair pour tout le monde qu’il pèse et a son mot à dire dans le programme qu’il va mettre en place avec pour objectif d’aller vers plus d’autorité, plus d’austérité, plus de violence et de répression. Il suffit de revoir les positions que certains de ces ministres ont prises antérieurement, compatibles avec les positions d’extrême droite, particulièrement sur des sujets tels que l’immigration, l’IVG ou les mesures anti-sociales, pour être certain que les conditions de vie de la population vont s’aggraver.

Le débat parlementaire sur le budget, retardé de huit jours à cause de la prise de fonction tardive des nouveaux ministres, sera décisif pour l’avenir. Avec 1000 milliards d’euros de dette supplémentaire qui ont mis la France dans le collimateur de la Commission européenne, il ne fait aucun doute que les 10 à 30 milliards d’économies annoncées comme nécessaires vont peser très lourdement sur la population et la classe travailleuse, sur la qualité des services publics comme l’éducation ou la santé, mais aussi sur les conditions de travail. Le patronat de son côté, très inquiet du résultat des élections législatives, avait appelé dès le lendemain du scrutin à poursuivre la politique économique menée par Macron qui, selon le communiqué du Mouvement des Entreprises de France (Medef) « a produit des résultats en termes de croissance et d’emplois… car elle est la bonne réponse pour affronter les défis des transitions écologique et numérique que le pays doit relever ».

Selon un ancien inspecteur général des finances, ces 1000 milliards de dette supplémentaire durant la présidence de Macron auraient été créés pour moitié par les retraites ! Cette déclaration montre à quel point la situation politique en France va devenir vite intenable. La presse a annoncé, alors que la feuille de route du gouvernement n’a pas encore été établie et que les parlementaires n’ont eu accès à aucun document comptable, que certains postes du budget de l’Etat allaient être drastiquement diminués pour atteindre une baisse immédiate de 3 milliards d’euros : aide au développement -21%, sport -12,3%, travail et emploi -8,8%, agriculture -7,8%, immigration -6,4%, pour ne citer que les plus importants.

Ce nouveau gouvernement à peine formé a déjà soulevé plusieurs polémiques. Alors que pendant les JOP Paris 2024 l’unanimité s’est faite pour encenser le sport et permettre de reconnaître les problématiques de 12 millions de personnes en situation de handicap en France, auxquels s’ajoutent 10 millions d’aidants, ce poste subirait une des baisses les plus importantes et le handicap ne serait pas pris en compte par ce gouvernement. C’est sous la pression de nombreuses associations et d’élus que Michel Barnier a dû nommer le 27 septembre une ministre déléguée aux personnes en situation de handicap, toujours parmi les partis de droite.

Macron défend l’économie de guerre quoiqu’il en coûte

En prenant Michel Barnier comme Premier ministre, Emmanuel Macron cherche à imposer sa ligne politique tout en gardant la main sur des postes clés comme l’économie et les finances, la défense et les armées. La preuve en est qu’un des deux seuls ministres du gouvernement précédent à avoir été reconduits est Sébastien Lecornu, ministre des Armées.

La ligne politique fixée précédemment va donc se poursuivre comme s’il n’y avait pas eu de nouvelles élections dont le résultat affirme une volonté de changement. Il faut rappeler que Macron annonçait clairement le 13 juin 2022 au Salon mondial de la défense et de la sécurité (Eurosatory) que la France était entrée dans une économie de guerre. Cela signifie pour le pays, mais aussi pour l’ensemble des pays de l’Union européenne membres de l’Alliance atlantique, la volonté affichée de se préparer à faire face à un « conflit de haute intensité ».

Le passage à cette économie de guerre comprend différents niveaux. Le premier est l’accélération de la reconstitution de stocks de munitions et de matériels, incitant fortement les industriels de la défense à « produire plus et plus vite ». Ceci nécessite d’augmenter les moyens financiers permettant à ces industriels de répondre favorablement à cet accroissement de production, mais aussi de sécuriser l’approvisionnement en matières premières et la relocalisation des entreprises qui étaient parties à l’étranger.

C’est aussi dans le cadre de cette économie de guerre qu’il faut remettre ce que Macron a évoqué quant à l’autonomie et la souveraineté économique afin de ne plus dépendre de pays étrangers, particulièrement de la Chine, pour ce qui est des composants indispensables à la fabrication des batteries des véhicules électriques, des téléphones et équipements technologiques de pointe comme ceux de l’intelligence artificielle. C’est dans ce cadre qu’il faut voir le développement des grands projets de réindustrialisation, comme l’implantation de nouvelles mines en France, quels que soient les risques vis-à-vis de la sécurité et de la santé de la population ou même de la préservation de l’environnement et de la biodiversité.

Ceci pose la question de qui décide en France ? Le système capitaliste est soumis à de fortes tensions qui dans un contexte d’escalade de la guerre le pousse à accélérer ses préparatifs et ses besoins en armements. C’est donc l’armée et les multinationales qui décident et non le résultat des urnes, pour le plus grand bien des grands groupes de défense tels que Airbus Group, Dassault Aviation, Naval Group, Thales, MBDA, Nexter, Arquus et Safran. La France doit rester absolument à sa 3e place du classement des pays exportateurs d’armement dans le monde.

Tous ces objectifs, particulièrement la militarisation de l’économie, font partie de la déclaration signée par les chefs d’Etat et de gouvernement au Sommet de l’OTAN à Washington le 10 juillet dernier à l’occasion de ses 75 ans d’existence. Chaque pays membre est embarqué de force dans la préparation de la guerre au nom de la « sauvegarde de la paix » et la défense de « chaque centimètre carré du territoire de l’Alliance », démontrant que les pays européens qui en font partie s’engagent collectivement à agir dans cet intérêt, contre les intérêts de leur propre pays et sans discussion avec les citoyens. Cela signifie d’autre part que l’OTAN se prépare à mener la guerre à tous ceux qui s’opposent à l’ordre international que l’impérialisme a établi. C’est ce que montre ce sommet de l’OTAN en déclarant « ennemis systémiques » non seulement la Russie et la Chine mais aussi l’Iran, et de nouveaux pays comme la Biélorussie, la Corée du nord, les pays d’Afrique ou du Moyen-Orient en rupture avec les » valeurs de l’Occident », mais aussi tous les mouvements de contestation qui mettraient en péril « l’ordre de sécurité ».

L’économie de guerre en France sera le centre de la politique à venir et pèsera sur le budget qui sera mis en discussion. L’OTAN est au cœur du détournement des fonds publics pour la guerre à travers l’obligation qui est posée à ses membres de consacrer plus de 2% de leur PIB aux dépenses de défense et de participer aux exercices communs menés à travers l’Europe. Pour la France l’augmentation du budget de la défense a déjà été établi avec la loi de programmation militaire 2024-2030, prévoyant 413 milliards d’euros de dépenses sur sept ans dans le but de transformer les armées. Il est certain qu’il n’y aura pas de débat sur le sujet à l’Assemble nationale !

L’Union européenne est une composante essentielle de l’OTAN. Sur les 27 Etats membres de l’UE l’immense majorité fait partie de l’Alliance atlantique et est aussi « va-t-en-guerre » que les USA contre la Russie. C’est ce que démontre le niveau sans précédent de la coopération menée dans le cas spécifique du soutien plein et entier à l’Ukraine « parce qu’il ne faut surtout pas que la Russie gagne ». Dans ce contexte l’OTAN utilise toutes les formes possibles de désinformation et d’arguments mensongers, ainsi que la répression des voix dissidentes critiquant les fauteurs de guerre qui sont considérés comme des « traitres ».

Un système capitaliste en fin de vie, une opportunité pour la gauche

La situation mondiale démontre que le système capitaliste n’a pas d’autre choix pour maintenir son économie et son système que de préparer la guerre. Il se prépare à un nouvel affrontement mondial, incluant l’utilisation de l’armement nucléaire s’il y est contraint, face aux défis que représentent l’avancée des mouvements anti-impérialistes dans le monde, la remise en cause du dollar comme centre des échanges internationaux, la défense d’un monde multipolaire mettant l’humain au  cœur de la transformation de la société, tout ce qui conteste les valeurs communes qu’il affiche de liberté individuelle, de démocratie, d’Etat de droit.

Il est important dans le contexte actuel qu’un débat puisse avoir lieu au sein de la gauche dont les positions internationales élaborées dans le programme du NFP posent de vrais questionnements . Dans le chapitre L’urgence de la paix sont affirmés « le soutien et l’envoi d’armements à l’Ukraine » sans expliquer les fondements qui sont à la base de l’intervention militaire de la Russie en Ukraine, ainsi que la promotion « d’une diplomatie garantissant la préservation de notre environnement, la démilitarisation et la dépollution de l’espace » . Pourtant l’impérialisme a démontré dans le cas d’Israël et de la Palestine que l’étape de la diplomatie est largement dépassée et que la bataille pour l’environnement est en constante régression. 

Il est vrai que le programme du NFP est un consensus entre des positions opposées parmi la diversité des composantes de la gauche. Ceci est bien visible sur les questions internationales qui ne définissent pas un positionnement de classe et de système contre système, permettant de comprendre que nous allons inéluctablement vers la 3e guerre mondiale. D’autre part nulle mention n’est faite sur la sortie de la France de l’OTAN, une revendication essentielle portée au programme de LFI et du Parti Communiste qu’il est important de remettre en avant aujourd’hui.

Le système capitaliste est dans un état de délabrement avancé. Le soi-disant progrès de la politique économique de Macron encensé par le Medef en termes de croissance et d’emplois est une grande fumisterie, alors que la presse se fait l’écho d’un record de faillites d’entreprises en juillet 2024 et pour la première fois non plus de petites entreprises mais d’entreprises moyennes, que de nouveaux plans de licenciements ont lieu dans tout le pays.

Le NFP et l’ensemble des partis et mouvements qui se battent pour transformer la société doivent utiliser cette faiblesse pour établir un nouveau rapport de forces. Se lamenter sur le déni démocratique de Macron et de ce gouvernement est insuffisant. Il faut étendre la dynamique créée par le NFP dans les élections pour avancer sur les mesures économiques, sociales et environnementales souhaitées par la gauche, sur la constitution des fondements de la 6e République : mobilisation des partis et des syndicats de la classe ouvrière et des travailleurs dans les usines et les entreprises, poursuite de la mobilisation des associations et des citoyens contre les idées d’extrême droite.

Ceci ne peut se faire au travers de compromis avec Macron et la bourgeoisie, ni même au travers de la démocratie parlementaire devenue obsolète. Il ne fait aucun doute que la place de la gauche et du NFP n’est pas dans ce gouvernement mais dans les luttes au quotidien pour rétablir l’équilibre des pouvoirs de l’Assemblée nationale face à la dictature de la finance et du capital, construire une dynamique capable d’embarquer le maximum de citoyens, et imposer par les luttes les mesures anticapitalistes permettant une transformation radicale de la société.

30 septembre 2024

Photo de une : la manifestation de la journée de grève du 1er octobre 2024 à Paris à l’appel des syndicats