Une « Europe de la Défense » dominée par l’OTAN

Le défilé du 14 juillet 2022 à Paris a été placé sous le signe de « l’unité européenne et de la solidarité otanienne ». De quelle unité européenne s’agit-il ? Où se situe la solidarité dans l’alliance militaire que représente l’OTAN ?

La guerre en Ukraine a modifié profondément le contexte géopolitique et la perception de l’ensemble des pays capitalistes, qui ne peuvent supporter qu’un pays comme la Russie se permette d’affronter l’OTAN. L’intervention russe en Ukraine serait pour beaucoup, à droite comme à gauche, « une guerre illégale », comme si les autres guerres menées par l’impérialisme en Yougoslavie, en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Libye et dans bien d’autres pays pouvaient quant à elles passer pour légales !

Le sommet de l’OTAN qui vient de se tenir à Madrid le 29 juin a réussi à fédérer l’ensemble des pays de l’Union Européenne derrière elle dans son nouveau concept stratégique et ses objectifs pour 2030. La Russie est qualifiée de pays terroriste parce qu’elle a pris l’initiative d’arrêter l’avancée à l’est de l’Alliance atlantique contre sa propre souveraineté, et de surenchérir à la soixantaine de sanctions qui ont été prises contre elle pour tenter de l’isoler par tous les moyens.

La déclaration finale du sommet dit qu’il faut « éviter toute agression contre le territoire de l’OTAN ». Elle aurait donc aujourd’hui son propre « territoire », celui de l’ensemble des pays dits démocratiques constituant l’Alliance atlantique. Mais l’Ukraine n’est pas membre de l’OTAN, ni même de l’Union européenne, alors comment ladite agression de la Russie contre ce pays pourrait être considérée comme une agression faite à tous les pays membres, sauf si bien sûr les intérêts directs de l’impérialisme états-unien n’étaient ici en jeu ?

Les Etats-Unis sont parvenus à leurs objectifs dans ce conflit : mobiliser l’ensemble de l’Union européenne et des pays membres de l’OTAN pour qu’ils participent aux sanctions contre la Russie, qu’ils achètent des énergies en provenance des USA comme le gaz de schiste, qu’ils s’accordent pour augmenter leurs dépenses militaires à 2% de leur PIB et envoyer en nombre des armes à l’Ukraine. Ils arrivent même à élargir l’Alliance en faisant adhérer la Finlande et la Suède qui ont une large frontière avec la Russie, deux pays jusqu’ici restés neutres vis-à-vis de l’OTAN. De plus ils cherchent à faciliter l’entrée de l’Ukraine à la fois dans l’Union Européenne et dans l’OTAN, un pays ayant un gouvernement considéré comme « l’un des plus corrompus d’Europe », selon certains syndicalistes ukrainiens en lutte contre les réformes ultralibérales mises en œuvre par le président Zelinsky, qui profite de la situation de guerre pour accélérer la destruction du code du travail.

La France et l’OTAN

La France fait bien partie aujourd’hui des acteurs centraux de l’OTAN. Elle ne l’a jamais réellement quittée d’ailleurs, le général De Gaulle étant à son époque uniquement sorti du commandement intégré de l’OTAN, répondant aux intérêts de l’impérialisme français qui voulait mener ses propres guerres post-coloniales en Afrique. Les relations entre la France et l’OTAN ont toujours fait l’objet de rivalités, la France voulant obtenir une meilleure place dans l’organisation. C’est ainsi qu’en 2019 Emmanuel Macron déclarait à l’hebdomadaire The Economist que « ce qu’on est en train de vivre, c’est la mort cérébrale de l’OTAN ». Il critiquait le manque d’organisation et de cohésion au sein de l’Alliance atlantique et posait la nécessité d’une autonomie stratégique de l’Europe sur le plan militaire.

La position de la France au sein de l’OTAN peut apparaître aujourd’hui comme un revirement, en réalité elle n’a fait que renforcer ses positions dans l’organisation depuis 2019. Elle a permis le débarquement dans le port de La Rochelle de troupes US vers l’Allemagne en juillet 2020, elle a participé avec sa flotte, dont un sous-marin nucléaire d’attaque, à de grandes manœuvres de l’OTAN en mer de Chine, et a favorisé l’installation en France de plusieurs bases militaires de l’OTAN.

Lors de ce 14 Juillet Emmanuel Macron a montré au pays, mais aussi au monde, la modernisation des équipements et le développement des forces militaires mobilisées sur le flanc Est de l’Europe, avec 9 pays de l’ancienne Union Soviétique ralliés à l’Union Européenne et à l’OTAN : la Bulgarie, l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie, la Hongrie, la Pologne, la République Tchèque, la Roumanie et la Slovaquie. Le grand public a donc ainsi appris que 40.000 militaires étaient présents dans ces 9 pays pour renforcer l’Alliance Atlantique, que la France était directement impliquée dans l’entraînement des troupes de ces pays, et que son objectif était de « consolider l’effort fait depuis 2018, l’intensifier, produire plus vite, plus fort, des capacités d’armement en plus grande masse et plus rapidement ».

C’est donc une escalade dans la guerre à laquelle on assiste, non seulement en Europe mais dans la région Asie-Pacifique puisque la Chine est l’ennemi numéro deux déclaré par l’OTAN, derrière l’ennemi numéro un qu’est la Russie. Dans ce contexte Emmanuel Macron peut effectivement annoncer que la guerre en Ukraine risque de durer longtemps, d’autant que les intérêts de l’OTAN affichés pour 2030 par le nouveau concept stratégique ont été définis bien avant l’entrée en guerre de la Russie de février dernier. Ils l’évoquaient déjà en 2014 après le résultat du referendum en Crimée où la population a voté en masse pour son rattachement à la Russie.

L’aggravation de la crise capitaliste

La guerre en Ukraine est en train d’approfondir la crise du système capitaliste. La foule de sanctions décidées contre la Russie va avant tout porter atteinte aux populations des pays capitalistes et revenir sous forme de boomerang économique, politique et social. On en voit déjà les conséquences avec l’augmentation des prix des céréales et des matières premières, de l’énergie, avec l’accroissement du nombre de réfugiés que l’Europe doit prendre en compte en urgence aux dépens des réfugiés des précédentes guerres, créant encore plus d’inégalités et de situations intenables.

La crise du système capitaliste se situe à tous les niveaux : incapacité à résoudre les questions sanitaires et la pandémie, incapacité à réduire les inégalités sociales, incapacité à répondre aux enjeux du réchauffement climatique et aux besoins impérieux de maintenir et de reconstituer la biodiversité. Les conséquences de la guerre en Ukraine ne font qu’accroître une situation dans laquelle de nombreux pays européens sont devenus dépendants des énergies russes. C’est donc surtout à ce niveau que la crise s’exprime de la façon la plus aiguë. La montée des prix des matières premières et la baisse de débit du gaz et du pétrole en provenance de Russie font que des grands groupes comme EDF en France ou BASF en Allemagne subissent un effondrement financier très important.

En France l’arrêt de 19 réacteurs nucléaires, les retards pris sur les décisions de construction de nouvelles centrales EPR, les surcharges des coûts liés à la guerre en Ukraine, les rachats d’entreprises imposés par le gouvernement, font qu’EDF a subi d’énormes pertes financières, prévoyant 65 milliards d’euros de dettes en fin d’année. Cette situation critique fait que depuis début juillet il est question de nationaliser l’entreprise dont l’Etat reprendrait 100% des parts prenant ainsi les dettes en charge. Selon la 1re ministre Elisabeth Borne cette opération représenterait « une pleine maîtrise retrouvée de la production d’électricité » et une « réponse à l’urgence climatique ». Les syndicats français dénoncent au contraire une opération dans laquelle l’Etat, ayant dorénavant en mains la totalité de l’entreprise, aurait toute latitude pour démanteler l’ensemble du réseau de production et de distribution de l’énergie électrique.

Quant à l’Allemagne, qui est en train d’augmenter énormément ses capacités militaires et de production d’armes et prend une plus grande part dans les activités de l’OTAN, elle est devenue dans les dernières années dépendante du gaz russe et entretient des liens étroits avec la société Gazprom, dans le cadre de l’aide technologique apportée à la construction des pipelines Nord Stream passant par l’Ukraine et la Biélorussie. Ceci fait que le groupe Uniper, 1er importateur de gaz russe en Europe, doit faire face à un impact financier de l’ordre de 900 millions d’euros de pertes par mois – ce qui reste toutefois une goutte d’eau pour ce grand groupe qui ferait des bénéfices colossaux de plusieurs milliards chaque année. Cette situation qualifiée de « guerre énergétique menée par V. Poutine » impose une baisse de production de l’entreprise BASF et la mise en place d’un plan d’urgence du gouvernement incluant un projet de loi sur la réactivation des centrales à charbon, ainsi qu’un dispositif de sauvetage passant par la nationalisation de l’entreprise.

La crise capitaliste a été également le centre des discussions du Forum économique de Davos qui s’est tenu en mai dernier et qui a regroupé près de 3000 personnes liées à la finance et à l’économie mondiale. Tous les enjeux actuels ont été évoqués : les deux ans de pandémie, l’urgence à répondre au réchauffement climatique, la récession mondiale et la guerre en Ukraine, tout cela contribuant à remettre en question les grands équilibres mondiaux. C’est donc l’incertitude de l’avenir de l’élite financière mondiale qui a été mise en avant, tout comme l’insécurité et la peur de disparaître, la poussant à s’unir derrière « l’alliance des démocrates » contre la Russie et la Chine, à accroître de façon importante les dépenses militaires et à procéder à un réalignement global sur les Etats-Unis. Il suffit de voir les achats de F-35 ou du gaz de schiste de plusieurs pays européens pour s’en convaincre.

On en arrive donc à ce paradoxe où la volonté commune des pays dits développés est d’élargir l’OTAN alors que c’est cet élargissement de l’OTAN à l’est qui a conduit à cette situation de guerre en Ukraine. Dans ce contexte il semble hasardeux de penser que le centre des préoccupations de l’OTAN sur le sort de l’Ukraine et de sa population serait lié à la signature d’un accord de paix avec la Russie. Il semble plutôt que le conflit risque bien de s’étendre. Par ailleurs la France et les pays membres de l’OTAN n’ont toujours pas ratifié le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN). La France était donc la grande absente de la première réunion des Etats signataires du traité qui s’est tenue en juin à l’Office des Nations-Unies de Vienne, où ils ont réitéré leur « engagement en faveur d’un monde exempt d’armes nucléaires ».

L’impérialisme ne peut résoudre ses contradictions qu’au moyen des guerres et finira par utiliser les armes atomiques, malgré les hésitations et la peur panique de disparaître. L’affrontement avec le bloc des pays dits socialistes aurait dû se terminer en 1991 avec la disparition de l’URSS. Et pourtant l’OTAN, dont l’expansion vers l’est a vu le nombre de ses membres tripler depuis sa création en 1949, emmènent aujourd’hui les pays de l’Union européenne derrière eux, considérant toujours la Russie, et maintenant la Chine, comme les ennemis systémiques à abattre. Il y a eu avant eux, prenant comme prétexte les événements du 11 septembre 2001 à New York, le déclenchement de la guerre au terrorisme contre « l’axe du mal », avec les conflits menés contre l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, la Syrie…

L’Union européenne et la course aux armements

Depuis des années, et notamment depuis la dissolution du Pacte de Varsovie, l’Union européenne cherche à créer les conditions d’une « Europe de la Défense ». Mais celle-ci n’est qu’un leurre. En mars dernier l’UE, poussée par la guerre en Ukraine, a inventé la « boussole stratégique », un concept qui montre bien la perte de repères des pays constituant l’Union. En fait de boussole c’est celle des Etats-Unis et de l’OTAN qu’ils suivent. Le Parlement européen a débloqué des fonds spécifiques de 7,9 milliards d’euros pour alimenter un soi-disant Fonds européen de la défense d’ici à 2027, et l’UE aurait prévu plus de 450 millions d’euros pour l’achat d’armements qui seraient une « facilité européenne de paix » ! Quelle confiance pouvons-nous avoir dans ces institutions qui ne représentent que les intérêts de la bourgeoisie européenne et des grandes multinationales qui mènent des actions de lobbying pour imposer leurs points de vue ?

En France, la loi de programmation militaire 2019-2025 prévoit un budget de 295 milliards d’euros sur 7 ans pour la rénovation et la modernisation des infrastructures et des équipements des forces armées, dont nous avons eu un aperçu lors de ce défilé du 14 juillet, après une baisse régulière et des réductions importantes d’effectifs. Les 2% du PIB correspondant à l’augmentation des dépenses d’armement imposées par l’OTAN ont été actés par tous les membres au dernier sommet, même ceux qui y étaient jusqu’alors réticents.

On peut rappeler qu’il y a eu l’année dernière des remous dans l’armée et l’intervention de hauts gradés refusant que la France et l’Europe soient de plus en plus inféodées à l’Alliance atlantique. Ils posaient alors qu’il fallait revenir à une défense nationale, renforcer la capacité militaire de la France et rompre avec l’OTAN. Qu’en est-il aujourd’hui de ces positions alors que la France est de plus en plus mobilisée aux côtés des Etats-Unis et apparaît comme un membre très engagé vis-à-vis de l’OTAN, dans une volonté accrue de course aux armements ?

La situation actuelle de la guerre en Ukraine doit être discutée dans l’ensemble des partis de gauche en France. Le fait pour certains d’entre eux d’appeler à envoyer des armes à l’Ukraine, de soutenir l’Union européenne dans ses objectifs bellicistes, signifie appeler à soutenir un système capitaliste défaillant et obsolète, à donner plus de moyens et de capacités à l’impérialisme américain et à l’OTAN pour continuer à jouer leur rôle de gendarmes du monde.

La paix ne peut être imposée que par la lutte contre le système capitaliste, un système où la concurrence et le profit sont au centre de toutes les actions. Dans ce contexte les valeurs de solidarité n’ont rien à voir avec l’OTAN. Celle-ci n’est qu’une alliance militaire ayant des objectifs clairement définis qui vont à l’encontre de la volonté des peuples à vivre mieux, en paix et en sécurité. Il faut donc se battre en premier lieu pour que la France sorte de l’OTAN. C’est la seule condition possible pour pouvoir construire une société dans laquelle les aspirations de tous soient prises en compte et qu’un programme de transformations sociales soit réellement mis en œuvre.

Les Posadistes – 20 juillet 2022

Photo : défilé du 14 juillet à Paris, les troupes étrangères à l’honneur